M. Ahmed Salem Ould Saleck est un ancien cadre de la SNIM. Devenu directeur de la société des Mines de l’Inchiri (SAMIN), il hérite du poste de fédéral PRDS du Tagant. Période pendant laquelle il s’est fait remarquer par sa franchise et son indépendance d’esprit. Évidement, chacune des tendances politiques qui se disputaient l’arène politique lui trouvait des noises. Face à cela, il nous disait, lors d’une interview avec le Calame, en 1996 ceci : ‘’autant je condamne la précipitation des jeunes à pousser dehors, l’ancienne classe, autant je m’oppose au refus de ces derniers à refuser de faire de la place au soleil à la nouvelle génération’’. Après cette parenthèse politique, il est propulsé ministre du développement rural, secrétaire général de l’OMVS et enfin ambassadeur de Mauritanie en Tunisie. Une carrière particulièrement riche. A la retraite depuis quelques années, il continue à garder toute sa verve, tout son franc-parler. ‘’Je dis ce que je pense, sans détour, martèle-t-il, je ne sais pas si c’est une qualité ou un défaut dans un pays où l’hypocrisie a fini de désarticuler toutes les échelles de valeurs’’.
Dans une interview exclusive accordée au Calame, Ahmed Salem Ould Saleck jette un regard lucide, parfois passionné sur toutes les questions politiques, économiques et sociales de la patrie. Il dit ce qu’il pense du candidat Ghazwani, ce qu’il attend de lui, pourquoi l’UPR ne l’a pas investi, ses espoirs pour le pays et ses citoyens et tacle enfin sévèrement l’opposition. A lire et à méditer
Le Calame : Le Calame comme de nombreux mauritaniens, vous avez suivi la déclaration de la candidature du général Ghazwani, le 1er mars au stade de la capitale. Qu’avez-vous retenu de sa première prise de parole ? Et parmi les thèmes qu’il a abordés, lequel vous a paru plus pertinent ?
-Je remercie et à travers vous, toute l’équipe du Calame de l’occasion que vous m’offrez pour donner mon avis et opinion sur des questions importantes concernant la vie de notre chère patrie. La période est particulièrement difficile parce qu’elle coïncide avec l’alternance que nous souhaitons pacifique, démocratique et apaisée.
La Mauritanie a besoin de réussir son inscription dans une culture de démocratie. Sans démocratie, il ne peut y avoir de progrès et le progrès exige la qualité et la transparence dans la méthode. Le peuple mauritanien a des qualités certaines, mais culturellement, la notion de patrie et lignes rouges et sacrées n’est pas encore ancrée.
L’élite a, depuis 1978 failli et trahi et il faut le reconnaître sans complexe. Sans une prise de conscience élevée de tous les mauritaniens, l’attachement à la patrie restera éphémère. Il faut donc cultiver la citoyenneté pour réussir l’émancipation de ce peuple.
Nous ne sommes ni sénégalais, ni marocains, ni maliens, ni sahraouis, nous sommes des mauritaniens, mais des frères et voisins des autres peuples. Nous ne sommes ni berbères, ni arabes, ni arabo-berbères, ni négro-africains, nous sommes des mauritaniens. Est mauritanien celui qui aime, qui respecte et qui œuvre pour le bonheur de la Mauritanie. Tous les maures ne sont pas mauritaniens, tous les peulhs ne sont pas mauritaniens, tous les toucouleurs ne sont pas mauritaniens, tous les soninkés ne sont pas mauritaniens et tous les Ouolofs ne sont pas mauritaniens. Il n’y a qu’une seule identité mauritanienne qu’il faut aimer, chérir et préserver, sinon, elle demeurera une patrie de substitution, ce qui est inconcevable et inacceptable. Nous sommes donc une Mauritanie plurielle, mais notre pluriel est plus simple à conjuguer : il n’y a que quatre langues parlées et une seule religion. Notre équation est simple à résoudre que celle de tous nos voisins. Il ne manque que la volonté de construire ensemble une patrie : c’est le premier appel du père fondateur de la Nation, feu Moctar Ould Daddah, (Paix à son âme !), qui est la seule voie à réaliser un Etat moderne.
Je m’excuse d’avoir été long dans mon préambule, mais cela était, à mon avis, nécessaire.
Pour revenir à votre question, j’ai suivi avec beaucoup d’attention, le discours du candidat Ghazwani, à moins que le terme « général » ne soit protocolairement nécessaire, je lui préfère candidat à la présidence. Ce terme peut être perçu et interprété péjorativement, ce qui n’est pas souhaitable.
Le discours est rassurant et véhicule beaucoup d’humilité, et un effort considérable pour élever le niveau du débat national : il est source d’espoir, parce que les thèmes majeurs qui nous préoccupent ont été abordés : intégrité territoriale, consolidation de l’Etat de droit et de démocratie, citoyenneté, diversité, discrimination positive, emploi des jeunes, émancipation de la femme etc.
-A votre avis, ce candidat qui a occupé durant plus de dix ans des postes stratégiques du système qui gouverne le pays depuis plus d’une dizaine d’années pourrait-il rompre avec les méthodes dudit système ou tout au moins y apporter des changements que bon nombre de mauritaniens souhaitent ? Son discours paraît aller dans le sens de l’un ou de l’autre?
-Cette question est posée par tous les observateurs. Elle mérite d’être discutée, mais il faut savoir raison garder et éviter les préjugés et les a-priori.
Le candidat a été successivement compagnon d’armes, l’ami et collaborateur de l’actuel président. Ceci est une réalité, mais il faut l’analyser avec un sens de la mesure. Le candidat actuel est resté pendant dix ans, chef d’état major de l’armée dont la mission originelle est de défendre l’intégrité territoriale. Or, tous les acteurs politiques et observateurs sont unanimes que cette mission a été bien accomplie pendant cette période. Personne ne peut mettre en cause l’une des rares réussites de cette décennie.
Il a donc réussi en tant que militaire et il faut lui accorder une chance de réussir dans sa vie civile. Au passage, je préfère préciser que les 5 C de gestion, tels qu’enseignés dans toutes les écoles de gestion sont historiquement militaires. Il s’agit, pour rappel de : concevoir, commander, coordonner, contrôler et corriger.
Il faut ajouter que la notion d’organigramme est aussi empruntée à l’institution militaire. Un ancien militaire d’un cursus normal et qui a occupé d’importantes responsabilités a les mêmes chances de réussir que tout autre candidat. Au contraire, il apportera deux qualités fondamentales mais spécifiques aux militaires : la rigueur et le courage dans la prise de décision.
En conclusion, le discours du candidat ne l’inscrit pas dans la continuité, mais la vie des nations est une suite. Un nouveau président engagera ses propres réformes, corrigera les disfonctionnements laissés par son prédécesseur, consolidera les actions réussies etc.
-Nombre d’observateurs se demandent pourquoi Ould Ghazwani, candidat déclaré d’Ould Abdel Aziz et de sa majorité n’a pas été investi par l’UPR qui a tenu son congrès le lendemain de la déclaration de son candidat? Savez-vous pourquoi ?
-Que le candidat ne soit pas investi par l’UPR est pour moi un bon signe. Un candidat à la présidence s’adresse à tout le peuple directement et c’est un contrat avec tout le peuple qu’il propose. Vous verrez que le candidat sera soutenu par beaucoup de cadres qui n’étaient pas de la majorité. Donc c’est un acte encourageant et il faut que sa campagne soit menée par une équipe dévouée, compétente et où se retrouvent tous les soutiens du candidat.
-A votre avis, l’UPR pourrait-il jouer un rôle déterminant dans le dispositif de campagne du candidat Ghazwani ?
-L’UPR, comme tous les instruments politiques jouera un rôle dans la campagne, mais contrairement à la philosophie de continuité du pouvoir, développée par des ministres du gouvernement actuel, cet instrument sera adapté à la volonté et au besoin de son utilisateur principal qui est le futur du président de la République. Le reste est une utopie Il n’est et ne sera pas plus solide que le PPM, le mouvement des structure des masses, le PRDS, ADIL etc. C’est autour du futur président que se construira la future majorité. Vouloir lui faire ombrage peut nuire au pays et créer de conditions d’un retour à la case départ. Il ne peut y avoir qu’un seul chef, mais qui doit savoir déléguer dans les formes définies par la loi.
-L’élection présidentielle se déroulera en juin prochain. Avec un candidat issu du système en place et l’absence de consensus ou de compromis entre le pouvoir qui monopolise l’essentiel des organes de préparation et de contrôle et l’opposition, le scrutin pourrait-il être transparent et crédible ? Que faudrait-il faire pour éviter des contestations ?
-Cette élection est techniquement plus simple à réaliser que les municipales, législatives et régionales dernières, et les électeurs sont de plus en plus habitués à exercer leur devoir civique: s’inscrire sur les listes et voter.
Le risque se situe en amont. C'est-à-dire qu’il faut que l’Etat ne soit utilisé, ni par son autorité, ni par ses moyens pour faire pencher la balance de son côté. Voter pour un président est plus simple et moins coûteux par ce que l’électeur peut voter dans son lieu de résidence principale.
Pour ce qui est de la CENI, je pense sincèrement que la dernière échéance, malgré sa complexité a été globalement une réussite – elle peut être enrichie de quelques membres indépendants ou de l’opposition, garder la présidence et le secrétariat général pour assurer la continuité, le temps n’est pas suffisant pour une remise en cause globale de l’institution.
-Si vous devriez porter un jugement sur les dix ans de règne du président Mohamed Ould Abdel Aziz, que diriez-vous, en quelques mots ?
-Je n’ai jamais rien partagé avec ce pouvoir en place depuis dix ans ; mais dès lors que l’alternance pacifique est un espoir pour tout le peuple, je préfère rester positif et m’inscrire dans le futur.
Il faut quand même avouer que toutes les échelles de valeurs ont été désarticulées pour ne pas dire renversées. Mais il faut rester optimiste et envisager de tout redresser sans grand dommage, sans chasse aux sorcières, mais avec une conscience vive.
-Dans son discours, le candidat Ghazwani s’est présenté en rassembleur, qui consolidera l’unité nationale et luttera contre toutes les formes d’injustices. A votre avis, la marche du 9 janvier contre la haine et la discrimination et les mesures prises par le gouvernement dans la foulée vous paraissent-elles opportunes et efficaces ?
-La marche du 9 février et le changement de nom de l’avenue G. Abdel Nacer sont une démonstration de la démagogie et du mensonge qui ont prévalu pendant cette période et qui ont écarté tout débat sincère. Les disfonctionnements graves du système sont la source principale de la haine, et le pouvoir n’a eu comme support que les « ismes » négatifs : tribalisme, régionalisme, racisme, clientélisme etc.
-En tant qu’ancien fonctionnaires des mines, que pensez-vous de la situation économique du pays ? Que diriez-vous aux mauritaniens sceptiques qui croient savoir que l’exploitation prochaine du gaz ne changera en rien leur quotidien, parce que les ressources tirées ne profiteront qu’à une infime partie des mauritaniens ? Qu’attendez-vous du candidat Ghazwani s’il est élu demain président de la République ?
-En tant qu’ancien cadre de la SNIM, sa situation actuelle me fait souffrir. La SNIM a été un bijou dans toute la région. Pas par le niveau de sa production, ni par le niveau des prix, ni par la technologie, mais par la mauritanisation parfaitement réussie. Aucune entreprise de sa dimension n‘était gérée entièrement par les nationaux dans toute la sous-région ; elle était une source de fierté ; elle était gérée suivant des procédures claires et transparentes. C’est l’occasion pour moi de rendre ici un hommage à tous les directeurs généraux que j’ai servis pour le résultat de leur action. Mais j’ai honte de ceux qui ont introduit le népotisme, la corruption, et les destructeurs de toutes les procédures de gestion. Je suis sûr que l’histoire les jugera ; ils ont commis plus qu’un crime.
Aucune richesse ne peut améliorer les conditions de vie des populations si la gestion de la ressource n’est pas sécurisée.
Si le candidat Ghazwani était élu demain président de la République, j’attends de lui qu’il respecte ses engagements et il nous a rassuré que culturellement, l’engagement a, pour lui, une valeur importante.
J’attends de lui en particulier de revenir à une présidence normale, c'est-à-dire un chef d’une équipe qui doit être compétente, patriote, intègre et représentative de toute la Mauritanie, dans sa diversité.
-de séparer la politique du technique ; les techniciens doivent être choisis pour leur compétence, donc l’homme qu’il faut à la place qu’il faut
-combattre ferment la corruption qui gangrène notre économie
-doter le pays d’une justice qui soit à la hauteur des exigences et lui assurer l’indépendance totale.
-Que pensez-vous de la décision de l’opposition (AEOD) de se trouver un candidat unique ? A votre avis, un civil de l’opposition a-t-il des chances de battre un candidat du pouvoir ?
-Je ne pense pas que l’opposition actuelle puisse relever aucun défi, c’est la faute du pouvoir qui ne lui a donné aucune chance, en la minant de l’intérieur par ses infiltrations et n’en a pas fait un partenaire indispensable au bon fonctionnement d’une démocratie.
Le futur président devra donc avoir à l’esprit que la consolidation de la démocratie qu’il a promise comporte nécessairement un volet réhabilitation de l’opposition pour jouer le rôle qui lui incombe, et utile à la gestion des Etats comme contrepoids.
Je ne saurais terminer cet entretien sans parler d’une question qui me tient particulièrement à cœur. Je suis absolument opposé à la peine de mort mais je souhaite que le futur président lève le moratoire pour deux cas :
- La vente de la drogue
- Le viol des enfants de moins de 13 ans ;
La situation actuelle est très grave et il va falloir dissuader les auteurs de tels actes.
Propos recueillis par Dalay Lam
source lecalame.info