L’ex-Président, qui avait choisi de garder le silence devant les membres de la CEP, les limiers de la police des délits économiques et financiers et le procureur de la République, a retrouvé la parole. En usant de trois tribunes. Les deux premières directement liées : une lettre adressée au peuple mauritanien pour lui demander de se mobiliser derrière le parti Ribat qu’il a choisi de rejoindre il y a quelques jours. Et de décrire le pays comme un bateau ivre qu’il faut sauver de la tempête. Le régime en place est « corrompu », dit-il, « antidémocratique » et surtout « fossoyeur de l’unité nationale ». Ould Abdel Aziz a le sentiment que son successeur et ex-ami de quarante ans est en train de détruire tout ce qu’il a construit pendant dix ans. Et face à un tel pouvoir, il se présente en rédempteur de la Mauritanie. En redescendant dans l’arène politique, une promesse qu’il avait déjà énoncée bien avant son départ du pouvoir en Août 2019 et qui semble désormais matérialisée depuis le 9 Avril avec l’officialisation, en grandes pompes, de son adhésion au parti Ribat du docteur Saad Louleïd qui l’a qualifié de « plus grand patriote et bâtisseur du ce pays ».
Distribuant les coups tous azimuts, Ould Abdel Aziz ne rate pas l’opposition qu’il traita avec tant mépris durant ses dix ans de règne ; jusqu’à maintenant prendre carrément sa place, en se positionnant en principal opposant de Ghazwani. Ôte-toi de là que je m’y mette… Pour réussir son offensive contre le pouvoir, il invite les Mauritaniens « épris de justice et d’équité » à le rejoindre et à adhérer massivement à Ribat, « sa » planche de salut pour rebondir en politique… si, bien entendu, la justice le blanchit des graves accusations portées par le rapport de la CEP de l’Assemblée nationale dont il continue à contester la légalité.
Glace brisée
Troisième tribune, une interview accordée à Jeune Afrique – sa com à l’international attitrée depuis une bonne décennie… – où l’ex-Président nie tous les faits qui lui sont reprochés ; mettant au défi quiconque de prouver qu’il a détourné une seule ouguiya ; sans oublier de reprocher à la justice mauritanienne d’empêcher ses avocats et lui-même d’accéder à son dossier.
Intervenant alors que la machine judiciaire se met en branle, confiscations et saisies de biens en tête de proue, ces sorties laissent penser qu’Ould Abdel Aziz a opté pour une offensive médiatique tous azimuts, avec une dimension internationale marquée où ses conseils auraient eux-mêmes à moudre. D’ailleurs et si l’on en croit diverses rumeurs, quelques chefs d’État ouest-africains craignant pour leur avenir, une fois sortis des palais dorés, auraient demandé au président Ghazwani de ne pas ouvrir la boîte de Pandore. Mais peut-il faire marche arrière, lui qui s’est évertué à claironner, à maintes reprises, que le gouvernement n’interfèrerait pas dans ce dossier pendant devant la justice ?
Semblant donner raison à ses détracteurs qui l'accablent de tous les maux, le silence de l'ex-Président commençait à peser et inquiéter ses proches. Voilà la glace brisée. Après le vent des étranges spéculations autour de la montée vertigineuse, aujourd’hui aggravée par le Ramadan, des prix des denrées de première nécessité, le contexte social donnerait-il opportunité au Général Aziz de ressortir la carte « Président des pauvres » ?
L’opposition proteste
Les manœuvres de l’ex-Président ne laissent en tout cas pas insensibles certains partis de l’opposition mauritanienne. Dans un communiqué publié le dimanche 18 Avril, cinq d’entre eux fustigent l’attitude de l’ancien chef de l’État. S’opposant à tout« retour en arrière », ils encouragent fortement le gouvernement à s’éloigner définitivement des méthodes et pratiques dévastatrices du pouvoir précédent, en se débarrassant notamment de tous ceux qui y furent impliqués et bénéficient, à un rythme soutenu, d’un équivoque et dangereux regain de confiance. Pour ces partis, la situation particulièrement difficile que vit le pays, accentuée par le COVID, a besoin d’un vaste consensus national pour instaurer un climat de paix et de concorde. Et d’attirer l’attention sur les risques d’instabilité et de chaos auxquels les ennemis du changement et de la rupture avec la sinistre décennie exposent la Nation. « Le dialogue inclusif national reste la seule solution », estiment-ils, « pour sortir de l’impasse actuelle ». Un discours au final très offensif, pour une opposition dont le silence, depuis l’arrivée au pouvoir d’Ould Ghazwani, est souvent critiqué. Les saillies d’Ould Abel Aziz auront-elles cette vertu de contraindre l’opposition à ne plus endosser les manquements du pouvoir actuel ?
La majorité silencieuse
Faces aux salves de leur ancien mentor contre leur nouveau, aucun parti de la majorité présidentielle n’a réagi. Un silence incompréhensible de la part de ceux qui n’hésitaient pas, hier, à tirer sur tous ceux qui avaient l’audace de s’attaquer à Ould Abdel Aziz. Ce dernier n’aurait donc pas tort de juger qu’« ils n’étaient fidèles qu’à leurs intérêts » ? Mais peut-être attendent-ils prudemment les hypothétiques commentaires du gouvernement au sortir du prochain Conseil des ministres… à défaut, bien évidemment, que celui-ci ne traite directement le sujet.
DL
lecalame.info