Lorsque l’avion de la compagnie Royal air Maroc, que j’avais pris à Paris, atterrit à l’aéroport de Nouakchott, à la tombée d’une nuit tendrement chaude dont je reconnus tout de suite les inflexions et les modulations suaves quinze ans après mon dernier passage dans cette capitale de mon pays, mon cœur se serra d’une tendresse brusque et d’une joie devant cette image.
Des milliers de souvenirs jaillirent de mon esprit et je me mis en prière devant Dieu, Nouakchott, par sa musique, par ses arts, par son monde de la culture et de la pensée,berça mes années d’adolescence à la fois studieuse et ludique.Nouakchott de mes jeunes amours. Nouakchott de mes ardentes amitiés.Nouakchott de mes maîtres à penser. Nouakchott de mes rêves et de mes jouissances infinies.
Tout cela défila en moi sans que je sacheque la magie ainsi déclenchée sera brusquement brisée, de manière inattendue.
En effet, dans la salle de contrôle des papiers d’identité vers laquelle j’avançais, le cœur illuminé d’espoir et l’âme ivre de passion pour mon pays, une ruée désordonnée se déclencha,comme si tout le monde voulait envahir en même temps les guichets pour que chaque passager soit le premier à arriver au grand hall où l’on retire les bagages. Le désordre ainsi créé choqua et agaça profondément un passager venu de Bruxelles qui s’écria,juste derrière moi : « Ce pays ne changera jamais ! ».
Cette première parole que j’entendais à mon arrivée au pays natal eut sur moi l’effet d’un coup de fouet et me tira de ma rêverie.
j’avais hâte de montrer à mes collègues venus avec moi ce que je considère comme le génie de ma nation : une certaine joie de vivre et une indomptable foi en l’énergie vitale, une impressionnante force d’affronter les malheurs et une capacité infinie de les dépasser, un grand courage d’être et une puissante volonté d’espérer contre toute espérance, la ferme conviction qu’au bout des luttes contre les pesanteurs du mal et les affres de l’inhumain sous toutes leurs formes, la vie et le bien finissent toujours par vaincre, par triompher.
Je voulais montrer une Mauritanie en reconstruction : la Mauritanie de la renaissance africaine.Parce que mon esprit était porté par cette exaltation de retrouver, palpitante et belle, la capitale qui eut à un certain moment la réputation d’être Nouakchott la belle, j’avais imaginé que ce que je devais voir différerait de la nouvelle image de Nouakchott dont ton parle partout dans le monde : une poubelle glauque et un immense dépotoir de toutes les désespérances humaines du pays.
Dès l’arrivée, mon espoir était battu en brèche par cette phrase lourde de sens sortie de la bouche de mon compatriote à l’aéroport : « – Ce pays ne changera jamais. »La phrase me fut insupportable et je me retournais vers celui qui me l’avait assénée dans le dos pour lui dire : « – Mon frère,ce pays changera. »
L’homme fut surpris par la causticité avec laquelle je lui avais parlé et il perçut dans mon regard toute la colère qui s’y était concentrée. Je m’en pris vertement à sondé son désespoir : « – Nous ne pouvons pas avoir un pays comme celui-ci et croire qu’il ne peut pas changer, ce n’est pas possible et il faut tout faire pour qu’il change. »
Mon interlocuteur me regarda fixement et je vis dans ses yeux une souffrance aiguë, une sorte de pitié pour la Mauritanie . Une pitié profonde mêlée à une attente sourde de voir un miracle se produire dans le pays. Il me répondit avec gentillesse par une question qui semblait l’obséder et qu’il devait s’être posée sans doute mille fois : « Qui changera ce pays ? »
C’est avec cette question dans tout mon être que j’entrai dans Nouakchott, prêt à découvrir les forces du changement qui doivent sûrement s’y concentrer et s’y déployer, contrairement à l’image désastreuse que le pays a dans le monde entier.
A suivre…../
Sidahmed Khlil
source adrar-info.net