Par sa dimension géostratégique et les états, ouvertement ou non engagés, la guerre en Ukraine a relégué les autres conflits dans le monde au… troisième plan. Ceci est encore plus vrai de la guerre qui dévaste le Sahel, en particulier le Mali, depuis 2012. Cette imprudente négligence se paye déjà à un prix fort au Sahel et en particulier au niveau des populations, des infrastructures et des cohésions nationales affaiblies et fragmentées. La facture pour les autres régions du monde – en particulier Europe, Etats Unis et Russie – corsée par les réseaux sociaux et des propagandes dignes des pratiques de la guerre froide, pourrait être énorme en particulier en termes de relations diplomatiques, de migrations et les trafics illicites. Avec ces réalités en place, le Sahel peut-il encore s’en sortir et si oui comment ?
L’insécurité dans le Sahel – ce vaste espace délimité d’Ouest en Est, des côtes atlantiques à celles de la mer Rouge et, du Nord au Sud, des marches du Maghreb aux confins de la Savane – a explosé il y a plus d’une décennie et demie. C’était en 2005 à la suite de multiples attaques armées dans cette bande s’étendant sur 3.300 km d’ouest en est et de 1.600 km du nord au sud. Leurs causes les plus marquantes étaient et demeurent : la vulnérabilité des populations frontalières victimes de longues années de sécheresse, le retour massif des ex combattants d’Afghanistan fiers et forts de leur épopée djihadiste, les gouvernances souvent dominées par la culture des partis uniques tribalistes et sources d’une corruption impunie. En 2011, la crise libyenne a aggravé la situation, déversant sur la région plus d’armes et facilitant les divers trafics dont celui de la drogue.
L’insécurité s’est racinée et propagée. Un fait est bien connu : plus un conflit dure et plus il se renforce de ses propres et divers dégâts. Le Sahel en est une parfaite illustration. Depuis 2013, le nombre des morts, de blessés et de destructions d’infrastructures physiques n’a cessé de se multiplier. Celui des refugiés a explosé. Pire, les attaques lancées par les principaux groupes rebelles – le Front de Libération du Macina, FLM ; la Jema’at Al Islam Wal Mouslimin, JNIM, et l’Etat Islamique dans le Grand Sahara, EIGS, sont de plus en plus professionnelles c’est-à-dire techniquement mieux organisées et politiquement plus ciblées pour discréditer davantage les gouvernements. La dernière opération contre la ville caserne de Kati, près de Bamako, en est une dangereuse illustration.
Ces attaques, y compris au Burkina Faso, au Niger et ailleurs, ne semblent freinées que par les violentes guerres intestines entre l’EIGS et ses deux autres rivaux. Les massacres de civils et les guerres entre groupes terroristes eux-mêmes, n’empêchent pas ces derniers de forcer les soutiens des tribus et communautés villageoises. Malgré ces contradictions, leur stratégie demeure la mobilisation de tous contre les gouvernements centraux. Pour l’heure, quand elles ne sont pas refugiées ou déplacées internes, les populations ont peu de choix.
Au-delà de l’assistance humanitaire, la présence courageuse d’agences des Nations Unies et d’ONG est aussi celle de témoins neutres et donc gênants pour les oppresseurs. Toutefois, la lancinante angoisse qui hante les populations est : ‘’jusqu’à quand durera cet atroce calvaire de massacres, de destructions et d’incertitudes ?’’ Comment s’en sortir ?
Le Sahel peut-il s’en sortir ?
Dans ce contexte asphyxiant se confirme le vieil adage : ‘’un malheur ne vient jamais seul’’. Les divers et multiples dégâts dus à l’insécurité chronique et ses conséquences désastreuses sont aggravées par les variations climatiques. Les cycles de sécheresses extrêmes, suivis de pluies et d’inondons exceptionnellement fortes, ne se comptent plus. L’insécurité alimentaire, désormais chronique, n’est plus vécue comme une intolérable anomalie. Les gouvernements, même les plus volontaires, se trouvent désarmés. L’exode vers les chefs-lieux des provinces et les capitales nationales, déjà surpeuplées, couteuses et peu organisées, alimente davantage l’insécurité et les migrations interétatiques. Dans une région où les émissions de carbone sont globalement inférieures à 0,13 %, contre plus de 75 % dans les pays du Groupe des 20, la question de compensation internationale, ‘’qui pollue paye’’ devient plus logique. Face à tant de défis – rareté de l’eau mais abondance et violence des pluies, désertification, menaces sur la biodiversité et érosion des côtes atlantiques – que va annoncer ou offrir au Sahel, la prochaine COP 27 prévue ce novembre en Egypte ?
Dans cet environnement désespérant, en particulier pour les jeunesses désœuvrées, les groupes du FLM du JNIM et surtout l’EIGS jouissent de plusieurs longueurs d’avance sur certains gouvernements. Plus présents sur le terrain que les administrations nationales, ils fusionnent avec les populations par des pressions, menaces, recrutements et mariages plus ou moins forcés. Jouant sur les ressentiments, ils cherchent et réussissent parfois à diviser les citoyens et à les éloigner davantage des gouvernements. Souvent trop lointains physiquement et surtout politiquement !
Si ce n’était leurs rivalités meurtrières – lEIGS contre tous les autres – et l’ignorance de ses véritables dirigeants des cultures locales, ils auraient pu contrôler plus d’espaces géographiques et politiques. Leur objectif, arriver sur le golfe de Guinée, serait déjà atteint.
Cependant, les pays du Sahel peuvent et doivent s’en sortir. Pour cela une introspection est nécessaire. En effet au-delà des causes bien connues, la progression terroriste dans l’espace et dans les esprits, ne peut être totalement dissociée de récentes politiques nationales plus rivées sur le passé que sur le présent et surtout ignorant le futur. La ‘’retribalisation’’ ou déconstruction graduelle des états, presque unitaire à l’indépendance en 1960, menace les cohésions nationales. Les nouvelles priorités données aux résistances anti coloniales, divisent des populations et éloignent des objectifs légitimes d’intégration nationale et de développement.
In fine, pire, ces nouvelles idéologies légitiment, sans nécessairement le vouloir, le combat des terroristes. Elles empêchent ainsi le Sahel d’être un acteur de son devenir et pas simplement un sujet de préoccupation ou une source continuelle d’instabilité pour le monde. Cependant, des voix de réfugiés qui crient dans le désert c’est peu comparé à la guerre …en Ukraine.
Ahmedou Ould Abdallah, president centre4s.org
L’insécurité dans le Sahel – ce vaste espace délimité d’Ouest en Est, des côtes atlantiques à celles de la mer Rouge et, du Nord au Sud, des marches du Maghreb aux confins de la Savane – a explosé il y a plus d’une décennie et demie. C’était en 2005 à la suite de multiples attaques armées dans cette bande s’étendant sur 3.300 km d’ouest en est et de 1.600 km du nord au sud. Leurs causes les plus marquantes étaient et demeurent : la vulnérabilité des populations frontalières victimes de longues années de sécheresse, le retour massif des ex combattants d’Afghanistan fiers et forts de leur épopée djihadiste, les gouvernances souvent dominées par la culture des partis uniques tribalistes et sources d’une corruption impunie. En 2011, la crise libyenne a aggravé la situation, déversant sur la région plus d’armes et facilitant les divers trafics dont celui de la drogue.
L’insécurité s’est racinée et propagée. Un fait est bien connu : plus un conflit dure et plus il se renforce de ses propres et divers dégâts. Le Sahel en est une parfaite illustration. Depuis 2013, le nombre des morts, de blessés et de destructions d’infrastructures physiques n’a cessé de se multiplier. Celui des refugiés a explosé. Pire, les attaques lancées par les principaux groupes rebelles – le Front de Libération du Macina, FLM ; la Jema’at Al Islam Wal Mouslimin, JNIM, et l’Etat Islamique dans le Grand Sahara, EIGS, sont de plus en plus professionnelles c’est-à-dire techniquement mieux organisées et politiquement plus ciblées pour discréditer davantage les gouvernements. La dernière opération contre la ville caserne de Kati, près de Bamako, en est une dangereuse illustration.
Ces attaques, y compris au Burkina Faso, au Niger et ailleurs, ne semblent freinées que par les violentes guerres intestines entre l’EIGS et ses deux autres rivaux. Les massacres de civils et les guerres entre groupes terroristes eux-mêmes, n’empêchent pas ces derniers de forcer les soutiens des tribus et communautés villageoises. Malgré ces contradictions, leur stratégie demeure la mobilisation de tous contre les gouvernements centraux. Pour l’heure, quand elles ne sont pas refugiées ou déplacées internes, les populations ont peu de choix.
Au-delà de l’assistance humanitaire, la présence courageuse d’agences des Nations Unies et d’ONG est aussi celle de témoins neutres et donc gênants pour les oppresseurs. Toutefois, la lancinante angoisse qui hante les populations est : ‘’jusqu’à quand durera cet atroce calvaire de massacres, de destructions et d’incertitudes ?’’ Comment s’en sortir ?
Le Sahel peut-il s’en sortir ?
Dans ce contexte asphyxiant se confirme le vieil adage : ‘’un malheur ne vient jamais seul’’. Les divers et multiples dégâts dus à l’insécurité chronique et ses conséquences désastreuses sont aggravées par les variations climatiques. Les cycles de sécheresses extrêmes, suivis de pluies et d’inondons exceptionnellement fortes, ne se comptent plus. L’insécurité alimentaire, désormais chronique, n’est plus vécue comme une intolérable anomalie. Les gouvernements, même les plus volontaires, se trouvent désarmés. L’exode vers les chefs-lieux des provinces et les capitales nationales, déjà surpeuplées, couteuses et peu organisées, alimente davantage l’insécurité et les migrations interétatiques. Dans une région où les émissions de carbone sont globalement inférieures à 0,13 %, contre plus de 75 % dans les pays du Groupe des 20, la question de compensation internationale, ‘’qui pollue paye’’ devient plus logique. Face à tant de défis – rareté de l’eau mais abondance et violence des pluies, désertification, menaces sur la biodiversité et érosion des côtes atlantiques – que va annoncer ou offrir au Sahel, la prochaine COP 27 prévue ce novembre en Egypte ?
Dans cet environnement désespérant, en particulier pour les jeunesses désœuvrées, les groupes du FLM du JNIM et surtout l’EIGS jouissent de plusieurs longueurs d’avance sur certains gouvernements. Plus présents sur le terrain que les administrations nationales, ils fusionnent avec les populations par des pressions, menaces, recrutements et mariages plus ou moins forcés. Jouant sur les ressentiments, ils cherchent et réussissent parfois à diviser les citoyens et à les éloigner davantage des gouvernements. Souvent trop lointains physiquement et surtout politiquement !
Si ce n’était leurs rivalités meurtrières – lEIGS contre tous les autres – et l’ignorance de ses véritables dirigeants des cultures locales, ils auraient pu contrôler plus d’espaces géographiques et politiques. Leur objectif, arriver sur le golfe de Guinée, serait déjà atteint.
Cependant, les pays du Sahel peuvent et doivent s’en sortir. Pour cela une introspection est nécessaire. En effet au-delà des causes bien connues, la progression terroriste dans l’espace et dans les esprits, ne peut être totalement dissociée de récentes politiques nationales plus rivées sur le passé que sur le présent et surtout ignorant le futur. La ‘’retribalisation’’ ou déconstruction graduelle des états, presque unitaire à l’indépendance en 1960, menace les cohésions nationales. Les nouvelles priorités données aux résistances anti coloniales, divisent des populations et éloignent des objectifs légitimes d’intégration nationale et de développement.
In fine, pire, ces nouvelles idéologies légitiment, sans nécessairement le vouloir, le combat des terroristes. Elles empêchent ainsi le Sahel d’être un acteur de son devenir et pas simplement un sujet de préoccupation ou une source continuelle d’instabilité pour le monde. Cependant, des voix de réfugiés qui crient dans le désert c’est peu comparé à la guerre …en Ukraine.
Ahmedou Ould Abdallah, president centre4s.org