Ce papier parle du calvaire quotidien vécu par de nombreux citoyens mauritaniens tentant de rencontrer nos hauts responsables, pour leurs soumettre leurs nombreux problèmes. « L’administration au service du citoyen » ? Parlons donc de ce fameux thème, si cher aux pouvoirs publics.
Six heures du matin à Nouakchott, dans les locaux, les agents de sécurité en faction devant la porte d’entrée de l’une de nos grandes institutions sont en train prier, quand des gens se présentent. « Les bureaux sont encore fermés », lance un des gardiens. « Nous voulons être les premiers enregistrés pour l’unique journée d’audience de ce responsable », répond l’un des visiteurs. « Nous n’avons cessé, depuis trois semaines, d’aller et venir, sans jamais être reçus. La première fois, on nous a dit que ledit responsable était en voyage ; la deuxième, qu’il était en campagne électorale pour le compte du parti-État. La semaine dernière, nous sommes arrivés, comme aujourd’hui, à la même heure, pour être informés qu’il était encore parti, en permission, pour contrôler son cheptel en brousse », ajoute un autre. « Attendez l’heure, pour qu’on puisse vous laisser entrer», répondent les agents de sécurité.
Attente interminable
Vers sept heures et demie, les plantons arrivent. Ils ouvrent les portes et commencent le balayage des bureaux. A huit heures, on permet enfin au groupe, maintenant grossi de nouveaux venus, d’entrer pour faire le rang, en l’attente de la secrétaire qui va enregistrer la liste des audiences de son patron. Divers sujets d’actualité politique et sociale se voient débattus, comme le troisième tour des élections a Nouakchott, la disparition du journaliste saoudien, le prochain gouvernement, etc. Vers huit heures quarante cinq, une jolie poupée, bien habillée et parfumée, fait son entrée sans saluer. Visage crispé, elle ordonne à tout le monde de sortir faire le rang dans les couloirs car, dit-elle, « la salle d’attente est étroite ». Ce qui provoque pas mal de contestations. On sort cependant en rang, pour qu’il n’y ait pas de désordre. La secrétaire entre, en suivant, dans le bureau du haut responsable, pour passer une demi-heure au téléphone fixe international, après quoi elle se donne le temps d’une douche et d’une séance de maquillage. La voilà enfin à appeler les gens, un à un, pour les enregistrer. Le premier dans le rang a la surprise de voir son nom enregistré à la sixième place. La secrétaire réserve, d’habitude, les premières audiences à ses proches restés avec elle dans son bureau, tandis que les autres attendent dans la salle ou dehors.
Vers dix heures, l’arrivée d’un colossal planton à la porte du bureau fait savoir que le haut responsable y est entré, par la porte de derrière. Une sonnerie retentit et la secrétaire va voir son patron, parapheur à la main. Un quart d’heure plus tard, elle ressort pour s’asseoir derrière son ordinateur et imprime divers documents. Elle informe les personnes en attente qu’elles vont commencer bientôt à être reçues. Ce qui les soulage un peu. Un peu plus tard, des collaborateurs du directeur le rejoignent pour une réunion qui ne prend fin que vers midi. Lorsqu’ils en sont tous sortis, la secrétaire entre à son tour. Morts d’impatience, les demandeurs d’audience pensent être enfin reçus. Las ! La secrétaire les informe que le haut responsable ne peut plus recevoir quiconque car il attend une délégation étrangère de bailleurs de fonds qu’il doit recevoir sur le champ. Dix minutes plus tard, les étrangers arrivent pour une longue discussion, arrosée de boissons et de thé.
Deux personnes entrent soudain et la secrétaire les fait assoir. « Je vous ferai entrer juste après la sortie des étrangers » leur dit-elle. Les personnes en attente protestent. « Ils sont envoyés par un général et sont attendus », souffle la bonne dame.
Priorité aux ‘’pistonnés’’
Les deux envoyés du général vont passer plus d’une demi-heure avec le responsable. Leur sortie est une sorte de délivrance pour les gens en attente. La secrétaire leur annonce qu’ils vont commencer à entrer, deux par deux. Certains n’acceptent pas cette proposition. Avant que les deux premières personnes choisies n’entrent, un homme d’apparence nantie se présente, porte-documents en main. La secrétaire se lève, lui souhaite la bienvenue et le salue chaleureusement, à l’instar des plantons rassemblés autour de lui. Et le voilà à leur distribuer des billets. On lui ouvre aussitôt la porte du bureau du responsable. Nouvelles vagues de protestations. « Il s’agit de notre principal fournisseur. Il est gentil et généreux. Nous avons instruction de le faire entrer sans l’annoncer », répond la secrétaire. Nouvelle commande de thé et boissons pour le visiteur qui restera à peu près deux heures en compagnie du patron.
Au départ du fournisseur, nouvelle sonnerie qui semble indiquer que les gens sont enfin sur le point d’être reçus. Nouvelle grande déception ! Des députés du parti au pouvoir ont annoncé leur arrivée imminente ! « Il est très désolé et vous recevra dès leur départ », leur dit la secrétaire. Protestations et chaudes discussions. Quelques personnes décident de se retirer en injuriant le responsable ainsi que tout le système.
Avant la fin de l’audience des élus, une créature de rêve, joliment vêtue et parfumée, fait son entrée au secrétariat en compagnie d’un quidam assez efféminé qui fait ses éloges et chante sa beauté. « Annonce-moi vite », demande-t-elle à la secrétaire. Cette dernière répond qu’elle ne peut point annoncer quelqu’un sans rendez-vous. Le griot de la dame profère toutes sortes de menaces. « Si tu savais de qui s’agit-il, tu l’aurait fait entrer directement ». La fonctionnaire cède et promet de les annoncer à la sortie des députés. Ce qui ne manque évidemment pas d’exaspérer les personnes en attente.
Le boss fait entrer la beauté sans hésiter. L’accompagnateur de celle-ci reste avec eux cinq minutes avant de ressortir, comptant les liasses que le responsable lui a données. Il a fait les éloges du haut responsable, exhibant, à tous, l’argent reçu. La bonne dame restera plus d’une demi-heure avec le responsable…
« Ouf, nous allons enfin être reçus ! », commentent les infortunés requérants. Il est aux environs de dix-sept heures, la secrétaire explique c’est tous ensemble que les gens seront reçus car le temps presse. On est au bout de l’impatience, de la faim et de la soif, sans manger ni boire depuis le petit matin. Nouvelle sonnerie, soudain. La secrétaire entre voir son patron et revient avec un sourire jaune : le haut responsable a été appelé d’urgence par son ministre. Les pauvres personnes n’ont plus qu’à attendre le jour d’audience de la semaine prochaine… pour suivre le même scénario.
Mosy
source lecalame.info