Chers élus, honorables collègues
Je viens de lire un message de notre compatriote octogénaire, Houleye Sall; elle interpelle nos qualités de dépositaires de la représentation du peuple, dotés du pouvoir de législation, dans la république islamique de Mauritanie.
Houleye Sall, dirige le Collectif des veuves, suite aux disparitions forcées de conjoints et parents masculins, de 1986 à 1991. A l'époque, le pouvoir du Colonel Maawiya Sid'Ahmed Taya, chef de la junte, orchestre une tentative de génocide, contre les populations afro-mauritaniennes, par la spoliation des terres et du bétail, l’emprisonnement et la torture de cadres, élèves et et étudiants, la déportation massive, les exécutions judiciaires et extrajudiciaires d’intellectuels, militaires et l’épuration de l’appareil d’Etat, sur la base exclusive de l’ethnicité.
Houleye Sall perdait alors son unique enfant, jeune officier ; comme des centaines d’autres mères de famille, elle poursuit, depuis, une laborieuse entreprise de mémoire et de réparation, en vain, hélas.
La loi numéro 93-23 du 14 juin 1993, en son article premier, énonce :
Article premier : « Amnistie pleine et entière est accordée :
- Aux membres des forces armées et de sécurité auteurs des infractions commises entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992 et relatives aux événements qui se sont déroulés au sein de ces forces et ayant engendré des actions armées et des actes de violences ;
- Aux citoyens mauritaniens auteurs des infractions suite aux actions armées et actes de violences et d’intimidations entrepris durant la même période.
Art 2 : Toute plainte, tout procès verbal ou document d’enquête relatifs à cette période et concernant une personne ayant bénéficié de cette amnistie, seront classés sans suite.
Depuis trente années ces braves femmes mènent, souvent seules, dans l’indifférence ou l’hostilité d’une partie de l’opinion, un combat qu’aucun juste ne renierait : elles entendent rétablir la vérité, la faire savoir et réhabiliter la mémoire de leurs défunts. Un tel effort consiste à publier le projet politique, les causes et conditions des assassinats, la chaine de commandement, l’exécution et l’occultation. Chaque aspect comporte, liées et solidaires, une perception de la responsabilité, l’évidence d’une sanction et la pédagogie du souvenir, pour que la communauté de destin recouvre à nouveau, du sens. Tous les enjeux de la question renvoient à l’Etat mauritanien.
Aujourd’hui, le pays se targue d’avoir tourné la page des pouvoirs d’exception, Ould Taya poursuit un exil doré au Qatar mais l’immunité criminelle de 1993 demeure en vigueur, inscrite sur notre table des lois. Au nom de quelle rationalité, de quelle humanité pervertie faut-il la maintenir ?
Voilà les interrogations simples auxquelles l’apostrophe de Houleye Sall renvoie les députés et la Mauritanie entière ; si son peuple, réputé musulman, aspire toujours à l’unité dans la dignité, un examen de conscience l’appelle.
Aussi, ai-je pris l’initiative de vous écrire, afin de relayer, toujours et encore, cette voix de sanglots taris, dont nous nous efforçons d’étouffer l’injonction morale.
Allons, un peu de courage, enfin, osons abroger l’ignominie de 1993, cessons de couvrir la tuerie en flagrance, sans quoi nous ne vaudrions nos suffrages et deviendrions, ensemble, de vulgaires justiciables devant la Cour d’Assises du siècle !
Birame Dah Abeid
Prison civile de Nouakchott, le 6 novembre 2018.
Je viens de lire un message de notre compatriote octogénaire, Houleye Sall; elle interpelle nos qualités de dépositaires de la représentation du peuple, dotés du pouvoir de législation, dans la république islamique de Mauritanie.
Houleye Sall, dirige le Collectif des veuves, suite aux disparitions forcées de conjoints et parents masculins, de 1986 à 1991. A l'époque, le pouvoir du Colonel Maawiya Sid'Ahmed Taya, chef de la junte, orchestre une tentative de génocide, contre les populations afro-mauritaniennes, par la spoliation des terres et du bétail, l’emprisonnement et la torture de cadres, élèves et et étudiants, la déportation massive, les exécutions judiciaires et extrajudiciaires d’intellectuels, militaires et l’épuration de l’appareil d’Etat, sur la base exclusive de l’ethnicité.
Houleye Sall perdait alors son unique enfant, jeune officier ; comme des centaines d’autres mères de famille, elle poursuit, depuis, une laborieuse entreprise de mémoire et de réparation, en vain, hélas.
La loi numéro 93-23 du 14 juin 1993, en son article premier, énonce :
Article premier : « Amnistie pleine et entière est accordée :
- Aux membres des forces armées et de sécurité auteurs des infractions commises entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992 et relatives aux événements qui se sont déroulés au sein de ces forces et ayant engendré des actions armées et des actes de violences ;
- Aux citoyens mauritaniens auteurs des infractions suite aux actions armées et actes de violences et d’intimidations entrepris durant la même période.
Art 2 : Toute plainte, tout procès verbal ou document d’enquête relatifs à cette période et concernant une personne ayant bénéficié de cette amnistie, seront classés sans suite.
Depuis trente années ces braves femmes mènent, souvent seules, dans l’indifférence ou l’hostilité d’une partie de l’opinion, un combat qu’aucun juste ne renierait : elles entendent rétablir la vérité, la faire savoir et réhabiliter la mémoire de leurs défunts. Un tel effort consiste à publier le projet politique, les causes et conditions des assassinats, la chaine de commandement, l’exécution et l’occultation. Chaque aspect comporte, liées et solidaires, une perception de la responsabilité, l’évidence d’une sanction et la pédagogie du souvenir, pour que la communauté de destin recouvre à nouveau, du sens. Tous les enjeux de la question renvoient à l’Etat mauritanien.
Aujourd’hui, le pays se targue d’avoir tourné la page des pouvoirs d’exception, Ould Taya poursuit un exil doré au Qatar mais l’immunité criminelle de 1993 demeure en vigueur, inscrite sur notre table des lois. Au nom de quelle rationalité, de quelle humanité pervertie faut-il la maintenir ?
Voilà les interrogations simples auxquelles l’apostrophe de Houleye Sall renvoie les députés et la Mauritanie entière ; si son peuple, réputé musulman, aspire toujours à l’unité dans la dignité, un examen de conscience l’appelle.
Aussi, ai-je pris l’initiative de vous écrire, afin de relayer, toujours et encore, cette voix de sanglots taris, dont nous nous efforçons d’étouffer l’injonction morale.
Allons, un peu de courage, enfin, osons abroger l’ignominie de 1993, cessons de couvrir la tuerie en flagrance, sans quoi nous ne vaudrions nos suffrages et deviendrions, ensemble, de vulgaires justiciables devant la Cour d’Assises du siècle !
Birame Dah Abeid
Prison civile de Nouakchott, le 6 novembre 2018.