Quand donc je suis revenu de mission, il m’avait été demandé de prendre en charge le camp de la foire pour coordonner les activités logistiques et humanitaires des équipes des volontaires du Croissant Rouge déployées sur place. Ce qui signifiait concrètement que j’avais à charge la gestion du camp où étaient hébergés les 3574 sénégalais à rapatrier dans leurs pays. J’étais fondé de tous pouvoirs, et pour nécessités de service, j’étais en liaison radio permanente avec la logistique du PNUD. Ma mission était d’organiser, sélectionner, enregistrer et d’escorter les sénégalais jusqu’à l’aéroport pour leur évacuation par pont aérien.
J’avais mis très vite de la discipline et de l’ordre dans mon site. En moins de 24 heures, j’avais redonné confiance à tous les sénégalais hébergés dans mon camp qui étaient, pour la plupart traumatisés par les violences des quelles ils avaient échappés. J’avais compétence et pleins pouvoirs par exemple de commander par simple appel radio (talkie-Walkie) tout ce dont je pouvais avoir besoin pour apporter assistance aux sénégalais. Les serviettes hygiéniques pour les femmes, les couches pour les bébés et même les cigarettes pour les fumeurs.
Ce qui était le plus important pour moi, c’était de pouvoir offrir à mes hôtes tout ce dont ils pouvaient avoir besoin. D’arriver à leur faire oublier par des gestes et par une assistance humanitaire de proximité leurs traumatismes causés par les scènes d’horreur auxquelles ils ont peut-être assistés. Je pensais toujours que probablement certains d’entre eux avaient perdus un proche ou un membre de sa famille et je faisais toujours de mon mieux pour leur apporter un confort moral en prenant parfois du thé avec certains, en partageant un repas avec d’autres. Mais malgré tout ce que je faisais avec bonne foi et dévouement pour ma mission humanitaire, je sentais dans le regard certains d’entre eux toujours méfiants, un certain mépris pour mon appartenance ethnique.
Mes pleins pouvoirs sentaient la « ségrégation » des humanitaires.
Comme je l’avais dit donc, j’avais pleins pouvoirs pour obtenir tout ce dont je pouvais avoir besoin pour le confort de mes « hôtes » du site. Je savais que ces pleins pouvoirs ne m’avaient pas été concédés par le collectif des ONGs internationales pour mes compétences. Ces ONGs et le premier responsable du PNUD, savaient que j’étais compétent. Et c’est vrai, j’étais comme je le suis encore compétent.
En 1979 j’avais déjà subi à Belgrade (en Ex-Yougoslavie) une formation humanitaire consolidée par des cours supérieurs sur les activités du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. En 1984, j’avais renforcé mes capacités professionnelles à l’Institut Henri Dunant de Genève en Suisse, par une formation sur l’introduction aux activités internationales de la Croix-Rouge. Mais je savais bien que ce n’était pas pour mes compétences que tous ces pouvoirs m’avaient été accordés par le collectif des ONGs internationales opérant en Mauritanie.
La carte blanche qui m’avait été donnée, m’avait été donnée parce que simplement tous les occidentaux, aussi bien ceux qui travaillaient pour les systèmes des Nations-Unis que ceux qui travaillaient pour les organisations humanitaires européennes (France, Espagne, Allemagne) étaient très regardants sur les conditions d’hébergement des sénégalais. C’est pourquoi, en réalité ils avaient mis à ma disposition tous les moyens dont j’avais besoin. C’était leur manière d’exprimer leur solidarité avec les noirs.
Je le comprenais. Je le comprenais d’autant plus que mon collègue du Croissant rouge qui lui avait à charge la gestion du stade olympique, (le site d’hébergement des maures refoulés du Sénégal) manquait de tout. Les pauvres mauritaniens en transit au stade olympique eux aussi qui étaient traumatisés par les barbaries des « escadrons de la mort sénégalais », manquaient de tout, alors que moi j’avais toujours un surplus de tout. Je comprenais bien le petit jeu raciste de ces occidentaux qui avaient financés l’opération de l’hébergement des victimes sur les sites. Je savais que ce qu’ils faisaient, ils le faisaient beaucoup plus pour apporter assistance aux noirs sénégalais que pour répondre à une d’urgence ou cette catastrophe humanitaire.
C’était d’ailleurs pourquoi, le représentant résidant du PNUD de l’époque, (dont je vais taire le nom) très compétent, un des meilleurs qui ont occupés cette fonction dans notre pays, était toujours collé à moi, pour s’assurer que je n’avais besoin de rien pour mon site.
Moi je suis né au Hodh dans le sud du pays. Et depuis que je suis né, comme d’ailleurs tous les habitants de ma région, je n’ai jamais joué au raciste, un sport favori pour certains autres arabo-berbères. Normal, en ce qui me concerne parce que ma ville natale Aioun est sevrée de lait soninké et bambara et nous avons toujours cohabités en très bonne intelligence avec les noirs.
Les occidentaux, tout le monde le sait aiment les noirs. Et ce n’est d’ailleurs un secret pour personne. Pour être plus clair, ces occidentaux aiment surtout les noires, beaucoup plus que les noirs. Moi aussi j’aime les noirs. Et comme ces européens, j’aime beaucoup plus les noires que les noirs. Mais j’avoue sincèrement, que durant toutes les épreuves difficiles et exceptionnelles de 89, je n’avais vraiment de goût que pour mettre dans des bonnes conditions psychologiques et morales les sénégalais « refugiés » sur mn site.
En fait je ne l’ai pas précisé, ma responsabilité comme coach était uniquement humanitaire et sociale. J’étais responsable de l’intérieur du site, avec pleins pouvoirs conférés par le Croissant Rouge Mauritanien, auxiliaire des pouvoirs qui était chargé de la gestion des sites de rassemblements.
La sécurité ne dépendait donc pas de moi. Ce sont les bérets rouges, forces spéciales dépêchées depuis Atar qui assuraient la sécurité des lieux. Les bérets rouges n’étaient pas autorisés à intervenir à l’intérieur du site pour quelle raison que se soit et leur responsabilité se limitait à contrôler les entrées et les sorties du site.
Des amis négro-mauritaniens « infiltrés » au milieu des sénégalais à rapatrier.
Quand j’avais pris la responsabilité du camp, le pont aérien était suspendu. Je commence à prendre de l’âge mais, si mes souvenirs sont bons, je crois que le pont aérien avait été suspendu parce que les pilotes d’un avion d’un pays ami qui venait de Dakar avaient refusés de laisser embarquer des mauritaniens qui attendaient d’être rapatriés dans leur pays. Les pilotes –je crois- avaient affirmés à leur arrivée à Nouakchott que leur mission se limitait seulement à rapatrier uniquement les sénégalais se trouvant en Mauritanie. Les autorités mauritaniennes en signe de protestation avaient renvoyé l’avion à Dakar vide.
Le pont aérien était suspendu à cause de cet incident diplomatique. C’était donc un temps mort pour tout le monde. Des négociations politiques et sécuritaires étaient entamées à un haut niveau pour faire reprendre les vols du pont aérien. J’avais profité de ce temps mort pour approcher de plus près mes hôtes sénégalais. En faisant le tour des tentes j’avais trouvé deux mauritaniens dans la masse des sénégalais.
L’un était un des chauffeurs du Croissant Rouge mauritanien qui avait passé la nuit sous une des tentes. J’étais surpris. J’étais surpris parce que je me posais la question de savoir comment se faisait-il qu’il soit là. La première idée qui m’était venue à l’esprit était que, comme chauffeur au Croissant Rouge, il avait profité de son laisser-passer pour venir dire au revoir à une connaissance. Ce n’était pas le cas. Quand je lui ai posé la question de savoir pourquoi il était là et qu’est ce qu’il faisait (puisque j’étais seul habileté à communiquer avec les sénégalais), il m’avait répondu qu’il était là pour être refoulé au Sénégal. Je l’ai appelé dans mon bureau pour parler avec lui sans témoin. Je lui avais dit que s’il avait été amené au camp par erreur ou par force, j’allais le ramener chez lui.
A ma grande surprise il m’avait dit qu’il ne voulait pas quitter le site. Il voulait être refoulé au Sénégal. Mais je lui ai expliqué que je ne pouvais pas embarquer un mauritanien sur un vol pour le Sénégal dans ces circonstances. Question de conscience. Mais malgré toutes les pressions que j’avais exercées sur lui, il tenait coute que coute à quitter le pays. Il m’avait supplié au nom de tout ce que nous avons vécus ensemble, de le laisser « se faire expulser ». Ce que finalement j’ai accepté parce que pour moi il avait peut-être ses raisons et je n’avais pas cherché à savoir lesquelles mais j’avais compris plus tard le pourquoi.
Le deuxième mauritanien que j’ai trouvé sous les tentes confondu aux sénégalais était un très grand ami. Arouna Fall dit Youk. (décédé au Sénégal -Saint-Louis-, sans jamais avoir remis le pied sur sa terre natale). Arouna Fall était plus qu’un ami. C’était un frère que j’aimais beaucoup et qui m’aimait beaucoup aussi. C’est lui qui assurait, jusqu’au moment de son départ la maintenance des équipements de froid de la Présidence. Il par était ailleurs, guitariste accompagnateur au sein de l’orchestre de la Garde Nationale. J’avais réagi avec lui de la même façon qu’avec le chauffeur du Croissant Rouge Mauritanien. J’avais pensé qu’il s’était retrouvé là par abus de la police ou par force.
Mais non, ce n’était pas le cas. Il s’était rendu volontairement au poste de police pour déclarer qu’il était sénégalais et qu’il voulait rentrer dans son pays. Nous avons parlé lui et moi sans témoin et je lui avais proposé de le ramener dans sa famille. Il était catégorique lui aussi. Il avait fait son choix et voulait coute que coute rentrer au Sénégal. Et il m’avait supplié de le faire embarquer par le premier vol dès la reprise du pont aérien. Je lui demandé pourquoi il tenait tant à partir. Il m’avait expliqué, sans entrer dans les détails, que réellement il ne sentait pas en sécurité dans lepays après tout ce qu’il a vu.
En fait, dans mon site il y’avait pas de mauritaniens je crois à part ces deux que je connaissais personnellement. Mais à l’instar de ces deux mauritaniens, des halpoulars mauritaniens avaient provoqués leur propre refoulement. Ils sortaient de chez eux sans papiers et se laissaient embarquer comme étant des sénégalais. Sans papiers pouvant prouver le contraire, ils étaient conduits directement au site des sénégalais. Mauritaniens, ils se faisaient donc passer pour des sénégalais. C’est plus tard, après mon retour de Maghama d’une mission à laquelle avaient pris part tous les représentants des organisations humanitaires opérant en Mauritanie que j’avais compris les raisons de ce petit jeu du chat et de la souris auquel s’adonnaient les halpoular face aux policiers pour se faire expulser.
En fait, parallèlement à ces « départs volontaires » de mauritaniens qui se confondaient dans la masse des sénégalais, des expulsions ciblées ont eues lieu. Des fonctionnaires, des militaires, des hommes d’affaires, des politiciens, des activistes de la société civile, généralement des halpoular étaient pris chez eux, conduits directement à l’aéroport et renvoyés au Sénégal dans les masses des sénégalais par les vols du pont aérien. C’est ce que j’avais constaté plus tard. Mais dans mon camp, le site de la foire, s’il y’avait pas des mauritaniens. Et s’il y’en avait, c’étaient des candidats aux «départs volontaires» qui s’étaient fait peut-être passer pour des sénégalais et donc je ne pouvais pas le savoir.
Mais ce que je puis assurer c’est que les autorités mauritaniennes n’avaient jamais envoyés des mauritaniens sur mon site pour être expulsés. Ce qui ne veut pas dire que des expulsions n’avaient pas eues lieu. A l’intérieur du pays partout, tout au long du fleuve, des expulsions abusives avaient eues lieu. C’était même une véritable campagne d’expulsions bien orchestrée qui avait été déclenchée.
Des halpoulars « sauvés » de justesse par le Colonel Ould N’Diayane.
Un jour en venant le matin au site, j’ai trouvé une tente qui était dressée à l’entrée de la foire. A l’intérieur du site donc, dans la zone sous ma responsabilité. Sous la tente il y’avait des négro-mauritaniens. J’ai demandé aux sentinelles qui avait dressé cette tente. Ils m’ont répondu que c’était la police.
En fait il faut le préciser, la police était en charge d’identifier les sénégalais et de les regrouper sur le site. Cette opération avait pour but de sécuriser ces sénégalais après les violences des 48 heures, avant de les renvoyer dans leur pays comme l’avait souhaité Abdou Diouf. Les policiers ne ramenaient au site que des sénégalais identifiés formellement comme tels.
Mais beaucoup de halpoulars mauritaniens, avaient raconté plus tard que, des policiers au cours de leur contrôle de routine demandaient parfois les papiers soit disant pour vérifier leur authenticité mais suivant un filtrage faciès, ils déchiraient quelques fois les documents faisant de leurs titulaires des « sans-papiers ». Ils les embarquaient ensuite pour les expulser sans possibilité de recours. Même si c’était le cas, ils les emmenaient donc directement à l’aéroport mais pas sur le site des sénégalais où j’étais.
Ces pratiques policières avaient mis plus tard malheureusement de très nombreux halpoular en particulier ceux de la vallée dans des situations très difficiles. Certains préféraient donc être expulsés comme « sénégalais » sans papiers que de remettre aux policiers leurs papiers seuls liens qui les unissaient avec leur pays. Jusqu’à ce jour, il faut l’avouer certains halpoulars, mauritaniens de pères en fils depuis six siècles, souffrent encore des conséquences de ces agissements. Beaucoup d’entre eux vivent aujourd’hui en Mauritanie, au Sénégal, au Mali ou ailleurs comme de véritables apatrides.
J’étais donc surpris de voir une tente dressée là. Sous la tente il y’avait 8 ou 9 personnes. Des hommes et des femmes. Quand j’ai interrogé ces personnes, elles m’ont expliqué qu’elles sont mauritaniennes arrêtés par des patrouilles au moment où elles n’avaient pas leurs papiers. Depuis ces premiers couacs, beaucoup de Poular ne sortaient plus munis de leurs papiers de peur de voir ces papiers déchirés par les policiers ce qui parait-il était arrivé malheureusement à plusieurs reprises.
Mon travail au niveau du site se limitait à des actions humanitaires. Je ne pouvais donc pas interférer dans le travail de la police. A 15 heures le nombre de ces personnes regroupées sous la tente avait atteint 28.
En attendant de savoir la suite qui allait leur être réservée je les avais prises en charge. Mes équipes leurs ont distribués de l’eau et de la nourriture. Certaines femmes étaient allaitantes. En fin d’après-midi, leur nombre avait atteint 53. Quand un commissaire de police était venu constater les conditions dans lesquelles ces personnes étaient regroupées, je me suis approché de lui pour lui poser la question de savoir pourquoi ces personnes qui se déclarent mauritaniennes étaient envoyés sur ce site réservé aux sénégalais.
Il m’avait expliqué qu’elles ont été ramassées sans pièce d’identité. Elles affirment qu’elles sont mauritaniennes et donc elles doivent rester là (sur le site) jusqu’à ce que leur nationalité soit établie. Explications acceptables. Mais ce qui m’inquiétait moi surtout, c’est pourquoi ces mauritaniens avaient été regroupées sur un site destiné à des sénégalais qui allaient être renvoyés dans leur pays.
Le problème était délicat. Pour le résoudre il fallait attendre l’arrivée du Secrétaire permanent du CMSN, qui avait toute la responsabilité des opérations de regroupement des sénégalais. Le Colonel Mohamed Lemine Ould N’Diayane.
La première fois que j’avais vu le colonel Ould N’Diayane c’était quelques années avant les évènements. Je me souviens très bien, c’était un après midi. J’étais venu au domicile d’un ainé Cheikh Sid’Ahmed Ould Babemine que je respecte beaucoup pour son courage, son honnêteté, sa modestie et ses vertus intellectuelles. J’aime beaucoup ce brillant officier, qui avait fait ses études secondaires au Collège d’Aioun, le seul collège qui à l’époque préparait avec maitrise pédagogique les étudiants pour leur entrée en enseignement supérieur.
J’étais venu au domicile de Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine, je ne sais plus pourquoi, en tout cas pas pour de l’argent. De l’argent dont il peut s’en passer, Ould Babemine n’en a presque jamais puisqu’il ne vit que de ses propres moyens. En plus c’est un officier tellement orgueilleux qu’il ne fait jamais des escapades pour gagner de l’argent malhonnêtement. Officier très cultivé et intellectuellement purifié, sa grandeur et sa dignité l’ont toujours empêchées de se laisser verser dans des bassesses.
Depuis que je l’ai connu (c’était quand j’étais enfant au primaire et lui, au collège), Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine a toujours été grand, respectable et respecté. Il tire peut être cette grandeur et cette noblesse de ce qui pourrait être ses origines, l’empire du Macina (Toro) dont la capitale a été probablement Tichitt dans la région du Tagant. Les historiens notent que Tichitt était un village dont les traces ont révélé une prospérité au 2è millénaire avant Jésus Crist.
Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine à ne pas confondre avec l’autre Cheikh Sid’Ahmed Ould Babe, officier aussi mais qui fut à une époque Président de l’Assemblée Nationale et ministre des affaires étrangères. Ould Babamine, est par ailleurs l’exception qui confirme la règle. C’est le seul officier militaire qui, après son départ à la retraite s’est versé dans la politique. Pas pour des raisons matérielles, mais pour un idéal. Celui de contribuer à l’instauration d’une vraie démocratie en Mauritanie.
Quand je suis rentré au salon, Cheikh Sid’Ahmed était couché modestement à même le sol. A ses côtés, il y’avait un jeune maure de teint clair couché lui aussi à même le sol et les deux, qui semblaient être très proches l’un de l’autre et très intimes discutaient très amicalement. Celui qui était en compagnie de Cheikh Sid’Ahmed Ould Babemine, était un maure, chétif habillé d’un boubou bleu en percale légère. Mon regard était interrogatif. J’avais pensé un moment que ce monsieur qui était aux côtés de Cheikh Sid’Ahmed était peut être un courtier ou un vendeur de moutons qui était là pour se faire payer.
Mais connaissant bien Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine, mon raisonnement ne tenait pas. Ould Babemine est un intellectuel qui s’est auto-réglé comme une pendule, et qui s’était auto-éduqué lui-même. Il n’est pas le genre de personne qui prend quoique ce soit avec qui ce soit sans payer. La fierté de Ould Babamine ne le laisse jamais faire des choses qui peuvent le mettre un jour en conflit avec sa conscience. Mais qui était donc cet homme si proche de Ould Babamine? Je me posais la question dans mon for intérieur. Mon front faisait des rides d’une curiosité que Ould Babamine avait peut-être remarquée.
Alors il m’avait posé la question de savoir si je connaissais le Monsieur. je lui ai répondu : « Non ». « C’est Mohamed Lemine Ould Ndiayane » m’a-t-il dit. « Tu ne le connais pas » ? J’ai répondu « bien sûr que je le connais. Je le connais comme personnalité publique. Mais c’est pour la première fois que je le vois. Je le prenais pour un vendeur de mouton ». Ould Ndiayane s’était relevé souriant, appréciant ma blague et m’avait salué très poliment. Je me suis présenté en expliquant que je blaguais en le comparant à un courtier, il était plutôt amusé par ma taquinerie. Ould N’diayane me connaissait de nom, de profession mais pas de visage. Cet après midi là, Cheikh Sid’Ahmed Ould Babemine m’avait donné l’occasion de serrer la main d’un homme d’une grande intégrité morale et d’une grande noblesse de cœur. J’étais très ravi. Si mes souvenirs ne m’ont pas lâché, je crois qu’à cette époque Ould N’Diayane était Gouverneur du District.
Depuis, je n’avais jamais pu oublier l’image de cet homme habillé comme un tailleur du grand marché ou un vendeur de mouton, chétif, qui parle peu mais toujours poliment et qui, au-delà de son profil d’un homme très humble était dans la réalité un officier hors pair et un des rares mauritaniens qui forçaient l’admiration aussi bien des arabo-berbères, des harratines que des negro-mauritaniens par sa simplicité, son honnêteté, sa modestie, sa bonne éducation et sa politesse.
Mohamed Lemine Ould N’diayane était à l’époque des événements, Secrétaire permanent du CMSN. C’était lui qui avait à charge la supervision de toutes les opérations de rapatriement des sénégalais dans leur pays. Et, c’était lui seul qui pouvait régler le problème de ces mauritaniens regroupés sous la tente à l’entrée de la Foire.
Ce jour là il n’était pas passé comme il le faisait d’habitude pour s’assurer que les sénégalais étaient très bien traités et ne manquaient de rien. Il tenait beaucoup à ce que tout soit fait quelqu’en soit le prix, pour que les sénégalais ne se plaignent de rien mais surtout qu’ils soient très bien encadrés, soutenus moralement, psychologiquement et logistiquement. Il comptait beaucoup sur moi pour mettre les sénégalais dans de très bonnes conditions ce que je faisais surtout par devoir humanitaire et conscience professionnelle.
Le lendemain, vers 16 heures, le colonel Ould N’Diayane était arrivé sur le site. Nous étions à la porte, l’officier des bérets rouges et moi pour l’accueillir. Après avoir salué les sentinelles poliment comme d’habitude, il m’a salué et salué aussi les personnes qui étaient sous la tente. Je n’oublierais jamais le sourire qu’il affichait toujours au vu de n’importe qui. Je devais donc, comme je le faisais à chaque fois qu’il venait à la foire, faire en sa compagnie le tour des tentes des sénégalais, le laissant lui-même poser les questions pour s’enquérir de leurs conditions d’hébergement.
Lorsque nous nous sommes éloignés des bérets rouges, je lui ai dit que je voulais lui parler sans témoin. Il a demandé à deux ou trois personnes qui l’accompagnaient de l’excuser parce qu’il voulait parler avec moi en tête à tête. Quand nous nous sommes écartés des autres, il m’a dit militairement : « oui, Mr Chighali quel est le problème » ? Je lui ai répondu :« en fait mon Colonel , les problèmes sont deux ». « Lesquels ? » m’a-t-il demandé.
Mon colonel, le premier problème c’est cette tente qui est dressée à la porte d’entrée de la foire. « Oui j’ai vu cette tente qu’est ce qu’elle a? » il m’a posé la question. Je lui ai répondu :« Mon colonel, sous cette tente il y’a 53 personnes. Ces cinquante trois personnes affirment qu’elles sont mauritaniennes. C’est la police qui les a amenées sous la tente prétendant que leur nationalité n’a pas été établie. Je voudrais être clair mon colonel. Si la police croit que je vais prendre ces mauritaniens dans la masse des sénégalais qui sont à ma charge pour les renvoyer au Sénégal, autant vous dire respectueusement que je ne peux pas le faire et je ne le ferais pas. Ma conscience ne me donne pas le courage de faire embarquer dans un avion des mauritaniens que se réclament comme tels. Si le but de la manœuvre de la police c’est de verser ces citoyens dans la masse des sénégalais de mon site, dans ce cas que la police demande à mon institution de me relever et de me faire remplacer par quelqu’un d’autre. Je ne peux pas jouer à ce jeu-là. »
Il m’a regardé surpris et m’a posé la question : « tu dis que ces personnes que j’ai saluées tout à l’heure sous la tente sont mauritaniennes ? » Je lui répondu : « C’est ce qu’elles affirment en tout cas. » Sans ajouter un mot, il m’a pris par la main et il est allé sous la tente. Puis il a posé une seule et même question à tous les occupants de la tente : « Vous êtes des mauritaniens ?» et en échos ils ont tous répondus : « oui ».
Il s’est retourné vers le commandant des bérêts rouge en lui disant : « Quand les policiers reviendront ici, vous leur dites que, quand je reviens demain, je ne veux pas voir une seule de ces personnes sous cette tente. Vous dites aux policiers, que je leur ordonne de retourner chacune de ces personnes chez elle dans leurs véhicules. Et qu’ils n’amènent plus jamais de mauritaniens sur ce site. C’est clair ? » « C’est clair mon colonel » avait répondu le commandant des forces spéciales bérets rouges.
Et puis il s’est retourné vers moi pour me dire : « Ce problème est réglé quel est ton deuxième problème ? » je lui ai dit : « on peut parler tête à tête ? » Une fois encore, il avait demandé aux autres de nous laisser seuls. Lorsque nous sommes restés seuls il m’a dit : « et ton second problème c’est quoi ? » Je lui ai répondu : « Mon second problème, mon colonel, ce sont les sénégalais blessés évacués de Nouadhibou. Ils ont lancés ce matin un mouvement de grève de faim exigeant d’être évacués sans délais et en priorité ». Il m’a dit simplement « Allons les voir ensemble. Je vais leur parler ». Joignant le geste à la parole, nous sommes allés lui et moi, vers l’aile où les blessés sénégalais étaient logés.
Quand j’avais quitté le camp le soir, les 53 mauritaniens de la tente étaient toujours là. Les policiers n’étaient pas venus. « Trop occupés à « raquetter » des négro-mauritaniens qu’ils rencontrent sur leur chemin, en les menaçant d’expulsion » avait dit quelqu’un. Quand j’étais revenu le matin au site, les occupants étaient toujours-là. J’ai ordonné de leur servir le petit déjeuner. A 09 heures les policiers étaient venus avec leurs véhicules. Ils avaient commencés à ramener chaque occupant de la tente jusqu’à son domicile. Avant 15 heures, il n’y avait plus ni tente ni occupants. La police les avait tous reconduits chez eux.
A 17 heures, le Colonel Ould N’Diayane avec sa démarche nonchalante pleine de dignité était venu constater lui-même que ses instructions avaient été exécutées à la lettre. Il n’avait plus de trace de tente et plus de négro-mauritaniens au site de la foire. Tout était rentré dans l’ordre.
Et le colonel, m’a regardé en souriant : « Satisfait Mr Chighali ? Je lui ai répondu : « A moitié mon colonel. Et pour mes blessés ? ». « Aucun embarquement de blessé pour le moment et jusqu’à nouvel ordre. C’est clair ? ». C’était clair et cela s’expliquait. Parce qu’en fait les deux parties (sénégalaise et mauritanienne) avaient constatés que l’envoi des blessés dans l’un ou l’autre des pays suscitait la haine et déclenchait des furies meurtrières. La décision de maintenir les blessés pour les dernier vols avait était décidée de part et d’autre pour calmer les esprits.
Mauritanie, pays où le secret-défense n’a jamais été levé.
Pour la petite histoire. Le colonel Mohamed Lemine Ould N’Diayane, qu’Allah l’accueille dans son paradis a été assassiné le 8 juin 2003 dans des conditions troubles. Il avait été tué lors de la tentative de putsch perpétrée par l'ex-commandant Saleh Ould Hanena contre le Président mauritanien Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya. Selon la version militaire (officielle) par le tir d’un obus de blindé. Ce qui incriminait les putschistes.
En juin 2011, les membres de la famille de l'ancien chef d'état major de l'armée mauritanienne, Mohamed Lemine Ould N’Diayane avaient exigés l'ouverture d'une enquête pour élucider les conditions de sa disparition. A savoir, qui des deux camps est responsable de la mort du Chef d’Etat-major. On ne saura peut être jamais.
Dans ce pays indépendant depuis 1960, jamais un Secret-Défense n’a été levé sur quoique ce soit pour quoique ce soit. Ce qui signifie peut-être qu’on ne connaitra probablement jamais qui était l’auteur de l’assassinat de cet officier dont la mort avait fait couler les larmes de tous les mauritaniens sans exception et qui avait provoqué simultanément un deuil dans toutes les familles, Poular, soninké, Wolofs et maures.
C’est ce secret défense qui fera qu’on ne connaitra peut-être jamais aussi les circonstances de la disparition de cet avion militaire qui assurait en période d’élections un vol de nuit entre Nouadhibou et Zoueiratt, avec à son bord le Wali de la capitale économique et d’autres passagers. Jusqu’ici, –en tous cas officiellement –, on a jamais retrouvé ni corps, ni débris de l’appareil aux commandes duquel il y’avait un ami, Ould Taher excellent pilote formé en Suisse où nous nous sommes connus. Il faisait une formation en même temps qu’un autre pilote, Bambe Ould Lellé, mort de soif aux environs de Yaghrev après une panne de son véhicule militaire. Il est mort en tentant de chercher des secours.
Pour revenir au sujet qui nous préoccupe, deux jours après le retour ordonné par Ould N’Diayane des négro-mauritaniens dans leurs foyers, les vols du pont aérien avaient repris. C’était mon premier baptême de feu. Je devais faire partir dans leur pays, un premier contingent de sénégalais, avec confondus dans la masse les deux mauritaniens qui se sont « infiltrés volontairement ». Et c’est là que les surprises avaient commencées pour moi. C’est à partir de ce jour que j’allais comprendre réellement la gravité du problème de nos « Rohingyas » les halpoular. Un exode parfois forcé, parfois provoqué de milliers des « mauritaniens » fuyant des exactions perpétrées par des autorités dans une parfaite synchronisation de méthodes. Une des pires crises humanitaires qu’a connues notre pays ces soixante dernières années. ( à suivre).
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant
J’avais mis très vite de la discipline et de l’ordre dans mon site. En moins de 24 heures, j’avais redonné confiance à tous les sénégalais hébergés dans mon camp qui étaient, pour la plupart traumatisés par les violences des quelles ils avaient échappés. J’avais compétence et pleins pouvoirs par exemple de commander par simple appel radio (talkie-Walkie) tout ce dont je pouvais avoir besoin pour apporter assistance aux sénégalais. Les serviettes hygiéniques pour les femmes, les couches pour les bébés et même les cigarettes pour les fumeurs.
Ce qui était le plus important pour moi, c’était de pouvoir offrir à mes hôtes tout ce dont ils pouvaient avoir besoin. D’arriver à leur faire oublier par des gestes et par une assistance humanitaire de proximité leurs traumatismes causés par les scènes d’horreur auxquelles ils ont peut-être assistés. Je pensais toujours que probablement certains d’entre eux avaient perdus un proche ou un membre de sa famille et je faisais toujours de mon mieux pour leur apporter un confort moral en prenant parfois du thé avec certains, en partageant un repas avec d’autres. Mais malgré tout ce que je faisais avec bonne foi et dévouement pour ma mission humanitaire, je sentais dans le regard certains d’entre eux toujours méfiants, un certain mépris pour mon appartenance ethnique.
Mes pleins pouvoirs sentaient la « ségrégation » des humanitaires.
Comme je l’avais dit donc, j’avais pleins pouvoirs pour obtenir tout ce dont je pouvais avoir besoin pour le confort de mes « hôtes » du site. Je savais que ces pleins pouvoirs ne m’avaient pas été concédés par le collectif des ONGs internationales pour mes compétences. Ces ONGs et le premier responsable du PNUD, savaient que j’étais compétent. Et c’est vrai, j’étais comme je le suis encore compétent.
En 1979 j’avais déjà subi à Belgrade (en Ex-Yougoslavie) une formation humanitaire consolidée par des cours supérieurs sur les activités du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. En 1984, j’avais renforcé mes capacités professionnelles à l’Institut Henri Dunant de Genève en Suisse, par une formation sur l’introduction aux activités internationales de la Croix-Rouge. Mais je savais bien que ce n’était pas pour mes compétences que tous ces pouvoirs m’avaient été accordés par le collectif des ONGs internationales opérant en Mauritanie.
La carte blanche qui m’avait été donnée, m’avait été donnée parce que simplement tous les occidentaux, aussi bien ceux qui travaillaient pour les systèmes des Nations-Unis que ceux qui travaillaient pour les organisations humanitaires européennes (France, Espagne, Allemagne) étaient très regardants sur les conditions d’hébergement des sénégalais. C’est pourquoi, en réalité ils avaient mis à ma disposition tous les moyens dont j’avais besoin. C’était leur manière d’exprimer leur solidarité avec les noirs.
Je le comprenais. Je le comprenais d’autant plus que mon collègue du Croissant rouge qui lui avait à charge la gestion du stade olympique, (le site d’hébergement des maures refoulés du Sénégal) manquait de tout. Les pauvres mauritaniens en transit au stade olympique eux aussi qui étaient traumatisés par les barbaries des « escadrons de la mort sénégalais », manquaient de tout, alors que moi j’avais toujours un surplus de tout. Je comprenais bien le petit jeu raciste de ces occidentaux qui avaient financés l’opération de l’hébergement des victimes sur les sites. Je savais que ce qu’ils faisaient, ils le faisaient beaucoup plus pour apporter assistance aux noirs sénégalais que pour répondre à une d’urgence ou cette catastrophe humanitaire.
C’était d’ailleurs pourquoi, le représentant résidant du PNUD de l’époque, (dont je vais taire le nom) très compétent, un des meilleurs qui ont occupés cette fonction dans notre pays, était toujours collé à moi, pour s’assurer que je n’avais besoin de rien pour mon site.
Moi je suis né au Hodh dans le sud du pays. Et depuis que je suis né, comme d’ailleurs tous les habitants de ma région, je n’ai jamais joué au raciste, un sport favori pour certains autres arabo-berbères. Normal, en ce qui me concerne parce que ma ville natale Aioun est sevrée de lait soninké et bambara et nous avons toujours cohabités en très bonne intelligence avec les noirs.
Les occidentaux, tout le monde le sait aiment les noirs. Et ce n’est d’ailleurs un secret pour personne. Pour être plus clair, ces occidentaux aiment surtout les noires, beaucoup plus que les noirs. Moi aussi j’aime les noirs. Et comme ces européens, j’aime beaucoup plus les noires que les noirs. Mais j’avoue sincèrement, que durant toutes les épreuves difficiles et exceptionnelles de 89, je n’avais vraiment de goût que pour mettre dans des bonnes conditions psychologiques et morales les sénégalais « refugiés » sur mn site.
En fait je ne l’ai pas précisé, ma responsabilité comme coach était uniquement humanitaire et sociale. J’étais responsable de l’intérieur du site, avec pleins pouvoirs conférés par le Croissant Rouge Mauritanien, auxiliaire des pouvoirs qui était chargé de la gestion des sites de rassemblements.
La sécurité ne dépendait donc pas de moi. Ce sont les bérets rouges, forces spéciales dépêchées depuis Atar qui assuraient la sécurité des lieux. Les bérets rouges n’étaient pas autorisés à intervenir à l’intérieur du site pour quelle raison que se soit et leur responsabilité se limitait à contrôler les entrées et les sorties du site.
Des amis négro-mauritaniens « infiltrés » au milieu des sénégalais à rapatrier.
Quand j’avais pris la responsabilité du camp, le pont aérien était suspendu. Je commence à prendre de l’âge mais, si mes souvenirs sont bons, je crois que le pont aérien avait été suspendu parce que les pilotes d’un avion d’un pays ami qui venait de Dakar avaient refusés de laisser embarquer des mauritaniens qui attendaient d’être rapatriés dans leur pays. Les pilotes –je crois- avaient affirmés à leur arrivée à Nouakchott que leur mission se limitait seulement à rapatrier uniquement les sénégalais se trouvant en Mauritanie. Les autorités mauritaniennes en signe de protestation avaient renvoyé l’avion à Dakar vide.
Le pont aérien était suspendu à cause de cet incident diplomatique. C’était donc un temps mort pour tout le monde. Des négociations politiques et sécuritaires étaient entamées à un haut niveau pour faire reprendre les vols du pont aérien. J’avais profité de ce temps mort pour approcher de plus près mes hôtes sénégalais. En faisant le tour des tentes j’avais trouvé deux mauritaniens dans la masse des sénégalais.
L’un était un des chauffeurs du Croissant Rouge mauritanien qui avait passé la nuit sous une des tentes. J’étais surpris. J’étais surpris parce que je me posais la question de savoir comment se faisait-il qu’il soit là. La première idée qui m’était venue à l’esprit était que, comme chauffeur au Croissant Rouge, il avait profité de son laisser-passer pour venir dire au revoir à une connaissance. Ce n’était pas le cas. Quand je lui ai posé la question de savoir pourquoi il était là et qu’est ce qu’il faisait (puisque j’étais seul habileté à communiquer avec les sénégalais), il m’avait répondu qu’il était là pour être refoulé au Sénégal. Je l’ai appelé dans mon bureau pour parler avec lui sans témoin. Je lui avais dit que s’il avait été amené au camp par erreur ou par force, j’allais le ramener chez lui.
A ma grande surprise il m’avait dit qu’il ne voulait pas quitter le site. Il voulait être refoulé au Sénégal. Mais je lui ai expliqué que je ne pouvais pas embarquer un mauritanien sur un vol pour le Sénégal dans ces circonstances. Question de conscience. Mais malgré toutes les pressions que j’avais exercées sur lui, il tenait coute que coute à quitter le pays. Il m’avait supplié au nom de tout ce que nous avons vécus ensemble, de le laisser « se faire expulser ». Ce que finalement j’ai accepté parce que pour moi il avait peut-être ses raisons et je n’avais pas cherché à savoir lesquelles mais j’avais compris plus tard le pourquoi.
Le deuxième mauritanien que j’ai trouvé sous les tentes confondu aux sénégalais était un très grand ami. Arouna Fall dit Youk. (décédé au Sénégal -Saint-Louis-, sans jamais avoir remis le pied sur sa terre natale). Arouna Fall était plus qu’un ami. C’était un frère que j’aimais beaucoup et qui m’aimait beaucoup aussi. C’est lui qui assurait, jusqu’au moment de son départ la maintenance des équipements de froid de la Présidence. Il par était ailleurs, guitariste accompagnateur au sein de l’orchestre de la Garde Nationale. J’avais réagi avec lui de la même façon qu’avec le chauffeur du Croissant Rouge Mauritanien. J’avais pensé qu’il s’était retrouvé là par abus de la police ou par force.
Mais non, ce n’était pas le cas. Il s’était rendu volontairement au poste de police pour déclarer qu’il était sénégalais et qu’il voulait rentrer dans son pays. Nous avons parlé lui et moi sans témoin et je lui avais proposé de le ramener dans sa famille. Il était catégorique lui aussi. Il avait fait son choix et voulait coute que coute rentrer au Sénégal. Et il m’avait supplié de le faire embarquer par le premier vol dès la reprise du pont aérien. Je lui demandé pourquoi il tenait tant à partir. Il m’avait expliqué, sans entrer dans les détails, que réellement il ne sentait pas en sécurité dans lepays après tout ce qu’il a vu.
En fait, dans mon site il y’avait pas de mauritaniens je crois à part ces deux que je connaissais personnellement. Mais à l’instar de ces deux mauritaniens, des halpoulars mauritaniens avaient provoqués leur propre refoulement. Ils sortaient de chez eux sans papiers et se laissaient embarquer comme étant des sénégalais. Sans papiers pouvant prouver le contraire, ils étaient conduits directement au site des sénégalais. Mauritaniens, ils se faisaient donc passer pour des sénégalais. C’est plus tard, après mon retour de Maghama d’une mission à laquelle avaient pris part tous les représentants des organisations humanitaires opérant en Mauritanie que j’avais compris les raisons de ce petit jeu du chat et de la souris auquel s’adonnaient les halpoular face aux policiers pour se faire expulser.
En fait, parallèlement à ces « départs volontaires » de mauritaniens qui se confondaient dans la masse des sénégalais, des expulsions ciblées ont eues lieu. Des fonctionnaires, des militaires, des hommes d’affaires, des politiciens, des activistes de la société civile, généralement des halpoular étaient pris chez eux, conduits directement à l’aéroport et renvoyés au Sénégal dans les masses des sénégalais par les vols du pont aérien. C’est ce que j’avais constaté plus tard. Mais dans mon camp, le site de la foire, s’il y’avait pas des mauritaniens. Et s’il y’en avait, c’étaient des candidats aux «départs volontaires» qui s’étaient fait peut-être passer pour des sénégalais et donc je ne pouvais pas le savoir.
Mais ce que je puis assurer c’est que les autorités mauritaniennes n’avaient jamais envoyés des mauritaniens sur mon site pour être expulsés. Ce qui ne veut pas dire que des expulsions n’avaient pas eues lieu. A l’intérieur du pays partout, tout au long du fleuve, des expulsions abusives avaient eues lieu. C’était même une véritable campagne d’expulsions bien orchestrée qui avait été déclenchée.
Des halpoulars « sauvés » de justesse par le Colonel Ould N’Diayane.
Un jour en venant le matin au site, j’ai trouvé une tente qui était dressée à l’entrée de la foire. A l’intérieur du site donc, dans la zone sous ma responsabilité. Sous la tente il y’avait des négro-mauritaniens. J’ai demandé aux sentinelles qui avait dressé cette tente. Ils m’ont répondu que c’était la police.
En fait il faut le préciser, la police était en charge d’identifier les sénégalais et de les regrouper sur le site. Cette opération avait pour but de sécuriser ces sénégalais après les violences des 48 heures, avant de les renvoyer dans leur pays comme l’avait souhaité Abdou Diouf. Les policiers ne ramenaient au site que des sénégalais identifiés formellement comme tels.
Mais beaucoup de halpoulars mauritaniens, avaient raconté plus tard que, des policiers au cours de leur contrôle de routine demandaient parfois les papiers soit disant pour vérifier leur authenticité mais suivant un filtrage faciès, ils déchiraient quelques fois les documents faisant de leurs titulaires des « sans-papiers ». Ils les embarquaient ensuite pour les expulser sans possibilité de recours. Même si c’était le cas, ils les emmenaient donc directement à l’aéroport mais pas sur le site des sénégalais où j’étais.
Ces pratiques policières avaient mis plus tard malheureusement de très nombreux halpoular en particulier ceux de la vallée dans des situations très difficiles. Certains préféraient donc être expulsés comme « sénégalais » sans papiers que de remettre aux policiers leurs papiers seuls liens qui les unissaient avec leur pays. Jusqu’à ce jour, il faut l’avouer certains halpoulars, mauritaniens de pères en fils depuis six siècles, souffrent encore des conséquences de ces agissements. Beaucoup d’entre eux vivent aujourd’hui en Mauritanie, au Sénégal, au Mali ou ailleurs comme de véritables apatrides.
J’étais donc surpris de voir une tente dressée là. Sous la tente il y’avait 8 ou 9 personnes. Des hommes et des femmes. Quand j’ai interrogé ces personnes, elles m’ont expliqué qu’elles sont mauritaniennes arrêtés par des patrouilles au moment où elles n’avaient pas leurs papiers. Depuis ces premiers couacs, beaucoup de Poular ne sortaient plus munis de leurs papiers de peur de voir ces papiers déchirés par les policiers ce qui parait-il était arrivé malheureusement à plusieurs reprises.
Mon travail au niveau du site se limitait à des actions humanitaires. Je ne pouvais donc pas interférer dans le travail de la police. A 15 heures le nombre de ces personnes regroupées sous la tente avait atteint 28.
En attendant de savoir la suite qui allait leur être réservée je les avais prises en charge. Mes équipes leurs ont distribués de l’eau et de la nourriture. Certaines femmes étaient allaitantes. En fin d’après-midi, leur nombre avait atteint 53. Quand un commissaire de police était venu constater les conditions dans lesquelles ces personnes étaient regroupées, je me suis approché de lui pour lui poser la question de savoir pourquoi ces personnes qui se déclarent mauritaniennes étaient envoyés sur ce site réservé aux sénégalais.
Il m’avait expliqué qu’elles ont été ramassées sans pièce d’identité. Elles affirment qu’elles sont mauritaniennes et donc elles doivent rester là (sur le site) jusqu’à ce que leur nationalité soit établie. Explications acceptables. Mais ce qui m’inquiétait moi surtout, c’est pourquoi ces mauritaniens avaient été regroupées sur un site destiné à des sénégalais qui allaient être renvoyés dans leur pays.
Le problème était délicat. Pour le résoudre il fallait attendre l’arrivée du Secrétaire permanent du CMSN, qui avait toute la responsabilité des opérations de regroupement des sénégalais. Le Colonel Mohamed Lemine Ould N’Diayane.
La première fois que j’avais vu le colonel Ould N’Diayane c’était quelques années avant les évènements. Je me souviens très bien, c’était un après midi. J’étais venu au domicile d’un ainé Cheikh Sid’Ahmed Ould Babemine que je respecte beaucoup pour son courage, son honnêteté, sa modestie et ses vertus intellectuelles. J’aime beaucoup ce brillant officier, qui avait fait ses études secondaires au Collège d’Aioun, le seul collège qui à l’époque préparait avec maitrise pédagogique les étudiants pour leur entrée en enseignement supérieur.
J’étais venu au domicile de Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine, je ne sais plus pourquoi, en tout cas pas pour de l’argent. De l’argent dont il peut s’en passer, Ould Babemine n’en a presque jamais puisqu’il ne vit que de ses propres moyens. En plus c’est un officier tellement orgueilleux qu’il ne fait jamais des escapades pour gagner de l’argent malhonnêtement. Officier très cultivé et intellectuellement purifié, sa grandeur et sa dignité l’ont toujours empêchées de se laisser verser dans des bassesses.
Depuis que je l’ai connu (c’était quand j’étais enfant au primaire et lui, au collège), Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine a toujours été grand, respectable et respecté. Il tire peut être cette grandeur et cette noblesse de ce qui pourrait être ses origines, l’empire du Macina (Toro) dont la capitale a été probablement Tichitt dans la région du Tagant. Les historiens notent que Tichitt était un village dont les traces ont révélé une prospérité au 2è millénaire avant Jésus Crist.
Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine à ne pas confondre avec l’autre Cheikh Sid’Ahmed Ould Babe, officier aussi mais qui fut à une époque Président de l’Assemblée Nationale et ministre des affaires étrangères. Ould Babamine, est par ailleurs l’exception qui confirme la règle. C’est le seul officier militaire qui, après son départ à la retraite s’est versé dans la politique. Pas pour des raisons matérielles, mais pour un idéal. Celui de contribuer à l’instauration d’une vraie démocratie en Mauritanie.
Quand je suis rentré au salon, Cheikh Sid’Ahmed était couché modestement à même le sol. A ses côtés, il y’avait un jeune maure de teint clair couché lui aussi à même le sol et les deux, qui semblaient être très proches l’un de l’autre et très intimes discutaient très amicalement. Celui qui était en compagnie de Cheikh Sid’Ahmed Ould Babemine, était un maure, chétif habillé d’un boubou bleu en percale légère. Mon regard était interrogatif. J’avais pensé un moment que ce monsieur qui était aux côtés de Cheikh Sid’Ahmed était peut être un courtier ou un vendeur de moutons qui était là pour se faire payer.
Mais connaissant bien Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine, mon raisonnement ne tenait pas. Ould Babemine est un intellectuel qui s’est auto-réglé comme une pendule, et qui s’était auto-éduqué lui-même. Il n’est pas le genre de personne qui prend quoique ce soit avec qui ce soit sans payer. La fierté de Ould Babamine ne le laisse jamais faire des choses qui peuvent le mettre un jour en conflit avec sa conscience. Mais qui était donc cet homme si proche de Ould Babamine? Je me posais la question dans mon for intérieur. Mon front faisait des rides d’une curiosité que Ould Babamine avait peut-être remarquée.
Alors il m’avait posé la question de savoir si je connaissais le Monsieur. je lui ai répondu : « Non ». « C’est Mohamed Lemine Ould Ndiayane » m’a-t-il dit. « Tu ne le connais pas » ? J’ai répondu « bien sûr que je le connais. Je le connais comme personnalité publique. Mais c’est pour la première fois que je le vois. Je le prenais pour un vendeur de mouton ». Ould Ndiayane s’était relevé souriant, appréciant ma blague et m’avait salué très poliment. Je me suis présenté en expliquant que je blaguais en le comparant à un courtier, il était plutôt amusé par ma taquinerie. Ould N’diayane me connaissait de nom, de profession mais pas de visage. Cet après midi là, Cheikh Sid’Ahmed Ould Babemine m’avait donné l’occasion de serrer la main d’un homme d’une grande intégrité morale et d’une grande noblesse de cœur. J’étais très ravi. Si mes souvenirs ne m’ont pas lâché, je crois qu’à cette époque Ould N’Diayane était Gouverneur du District.
Depuis, je n’avais jamais pu oublier l’image de cet homme habillé comme un tailleur du grand marché ou un vendeur de mouton, chétif, qui parle peu mais toujours poliment et qui, au-delà de son profil d’un homme très humble était dans la réalité un officier hors pair et un des rares mauritaniens qui forçaient l’admiration aussi bien des arabo-berbères, des harratines que des negro-mauritaniens par sa simplicité, son honnêteté, sa modestie, sa bonne éducation et sa politesse.
Mohamed Lemine Ould N’diayane était à l’époque des événements, Secrétaire permanent du CMSN. C’était lui qui avait à charge la supervision de toutes les opérations de rapatriement des sénégalais dans leur pays. Et, c’était lui seul qui pouvait régler le problème de ces mauritaniens regroupés sous la tente à l’entrée de la Foire.
Ce jour là il n’était pas passé comme il le faisait d’habitude pour s’assurer que les sénégalais étaient très bien traités et ne manquaient de rien. Il tenait beaucoup à ce que tout soit fait quelqu’en soit le prix, pour que les sénégalais ne se plaignent de rien mais surtout qu’ils soient très bien encadrés, soutenus moralement, psychologiquement et logistiquement. Il comptait beaucoup sur moi pour mettre les sénégalais dans de très bonnes conditions ce que je faisais surtout par devoir humanitaire et conscience professionnelle.
Le lendemain, vers 16 heures, le colonel Ould N’Diayane était arrivé sur le site. Nous étions à la porte, l’officier des bérets rouges et moi pour l’accueillir. Après avoir salué les sentinelles poliment comme d’habitude, il m’a salué et salué aussi les personnes qui étaient sous la tente. Je n’oublierais jamais le sourire qu’il affichait toujours au vu de n’importe qui. Je devais donc, comme je le faisais à chaque fois qu’il venait à la foire, faire en sa compagnie le tour des tentes des sénégalais, le laissant lui-même poser les questions pour s’enquérir de leurs conditions d’hébergement.
Lorsque nous nous sommes éloignés des bérets rouges, je lui ai dit que je voulais lui parler sans témoin. Il a demandé à deux ou trois personnes qui l’accompagnaient de l’excuser parce qu’il voulait parler avec moi en tête à tête. Quand nous nous sommes écartés des autres, il m’a dit militairement : « oui, Mr Chighali quel est le problème » ? Je lui ai répondu :« en fait mon Colonel , les problèmes sont deux ». « Lesquels ? » m’a-t-il demandé.
Mon colonel, le premier problème c’est cette tente qui est dressée à la porte d’entrée de la foire. « Oui j’ai vu cette tente qu’est ce qu’elle a? » il m’a posé la question. Je lui ai répondu :« Mon colonel, sous cette tente il y’a 53 personnes. Ces cinquante trois personnes affirment qu’elles sont mauritaniennes. C’est la police qui les a amenées sous la tente prétendant que leur nationalité n’a pas été établie. Je voudrais être clair mon colonel. Si la police croit que je vais prendre ces mauritaniens dans la masse des sénégalais qui sont à ma charge pour les renvoyer au Sénégal, autant vous dire respectueusement que je ne peux pas le faire et je ne le ferais pas. Ma conscience ne me donne pas le courage de faire embarquer dans un avion des mauritaniens que se réclament comme tels. Si le but de la manœuvre de la police c’est de verser ces citoyens dans la masse des sénégalais de mon site, dans ce cas que la police demande à mon institution de me relever et de me faire remplacer par quelqu’un d’autre. Je ne peux pas jouer à ce jeu-là. »
Il m’a regardé surpris et m’a posé la question : « tu dis que ces personnes que j’ai saluées tout à l’heure sous la tente sont mauritaniennes ? » Je lui répondu : « C’est ce qu’elles affirment en tout cas. » Sans ajouter un mot, il m’a pris par la main et il est allé sous la tente. Puis il a posé une seule et même question à tous les occupants de la tente : « Vous êtes des mauritaniens ?» et en échos ils ont tous répondus : « oui ».
Il s’est retourné vers le commandant des bérêts rouge en lui disant : « Quand les policiers reviendront ici, vous leur dites que, quand je reviens demain, je ne veux pas voir une seule de ces personnes sous cette tente. Vous dites aux policiers, que je leur ordonne de retourner chacune de ces personnes chez elle dans leurs véhicules. Et qu’ils n’amènent plus jamais de mauritaniens sur ce site. C’est clair ? » « C’est clair mon colonel » avait répondu le commandant des forces spéciales bérets rouges.
Et puis il s’est retourné vers moi pour me dire : « Ce problème est réglé quel est ton deuxième problème ? » je lui ai dit : « on peut parler tête à tête ? » Une fois encore, il avait demandé aux autres de nous laisser seuls. Lorsque nous sommes restés seuls il m’a dit : « et ton second problème c’est quoi ? » Je lui ai répondu : « Mon second problème, mon colonel, ce sont les sénégalais blessés évacués de Nouadhibou. Ils ont lancés ce matin un mouvement de grève de faim exigeant d’être évacués sans délais et en priorité ». Il m’a dit simplement « Allons les voir ensemble. Je vais leur parler ». Joignant le geste à la parole, nous sommes allés lui et moi, vers l’aile où les blessés sénégalais étaient logés.
Quand j’avais quitté le camp le soir, les 53 mauritaniens de la tente étaient toujours là. Les policiers n’étaient pas venus. « Trop occupés à « raquetter » des négro-mauritaniens qu’ils rencontrent sur leur chemin, en les menaçant d’expulsion » avait dit quelqu’un. Quand j’étais revenu le matin au site, les occupants étaient toujours-là. J’ai ordonné de leur servir le petit déjeuner. A 09 heures les policiers étaient venus avec leurs véhicules. Ils avaient commencés à ramener chaque occupant de la tente jusqu’à son domicile. Avant 15 heures, il n’y avait plus ni tente ni occupants. La police les avait tous reconduits chez eux.
A 17 heures, le Colonel Ould N’Diayane avec sa démarche nonchalante pleine de dignité était venu constater lui-même que ses instructions avaient été exécutées à la lettre. Il n’avait plus de trace de tente et plus de négro-mauritaniens au site de la foire. Tout était rentré dans l’ordre.
Et le colonel, m’a regardé en souriant : « Satisfait Mr Chighali ? Je lui ai répondu : « A moitié mon colonel. Et pour mes blessés ? ». « Aucun embarquement de blessé pour le moment et jusqu’à nouvel ordre. C’est clair ? ». C’était clair et cela s’expliquait. Parce qu’en fait les deux parties (sénégalaise et mauritanienne) avaient constatés que l’envoi des blessés dans l’un ou l’autre des pays suscitait la haine et déclenchait des furies meurtrières. La décision de maintenir les blessés pour les dernier vols avait était décidée de part et d’autre pour calmer les esprits.
Mauritanie, pays où le secret-défense n’a jamais été levé.
Pour la petite histoire. Le colonel Mohamed Lemine Ould N’Diayane, qu’Allah l’accueille dans son paradis a été assassiné le 8 juin 2003 dans des conditions troubles. Il avait été tué lors de la tentative de putsch perpétrée par l'ex-commandant Saleh Ould Hanena contre le Président mauritanien Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya. Selon la version militaire (officielle) par le tir d’un obus de blindé. Ce qui incriminait les putschistes.
En juin 2011, les membres de la famille de l'ancien chef d'état major de l'armée mauritanienne, Mohamed Lemine Ould N’Diayane avaient exigés l'ouverture d'une enquête pour élucider les conditions de sa disparition. A savoir, qui des deux camps est responsable de la mort du Chef d’Etat-major. On ne saura peut être jamais.
Dans ce pays indépendant depuis 1960, jamais un Secret-Défense n’a été levé sur quoique ce soit pour quoique ce soit. Ce qui signifie peut-être qu’on ne connaitra probablement jamais qui était l’auteur de l’assassinat de cet officier dont la mort avait fait couler les larmes de tous les mauritaniens sans exception et qui avait provoqué simultanément un deuil dans toutes les familles, Poular, soninké, Wolofs et maures.
C’est ce secret défense qui fera qu’on ne connaitra peut-être jamais aussi les circonstances de la disparition de cet avion militaire qui assurait en période d’élections un vol de nuit entre Nouadhibou et Zoueiratt, avec à son bord le Wali de la capitale économique et d’autres passagers. Jusqu’ici, –en tous cas officiellement –, on a jamais retrouvé ni corps, ni débris de l’appareil aux commandes duquel il y’avait un ami, Ould Taher excellent pilote formé en Suisse où nous nous sommes connus. Il faisait une formation en même temps qu’un autre pilote, Bambe Ould Lellé, mort de soif aux environs de Yaghrev après une panne de son véhicule militaire. Il est mort en tentant de chercher des secours.
Pour revenir au sujet qui nous préoccupe, deux jours après le retour ordonné par Ould N’Diayane des négro-mauritaniens dans leurs foyers, les vols du pont aérien avaient repris. C’était mon premier baptême de feu. Je devais faire partir dans leur pays, un premier contingent de sénégalais, avec confondus dans la masse les deux mauritaniens qui se sont « infiltrés volontairement ». Et c’est là que les surprises avaient commencées pour moi. C’est à partir de ce jour que j’allais comprendre réellement la gravité du problème de nos « Rohingyas » les halpoular. Un exode parfois forcé, parfois provoqué de milliers des « mauritaniens » fuyant des exactions perpétrées par des autorités dans une parfaite synchronisation de méthodes. Une des pires crises humanitaires qu’a connues notre pays ces soixante dernières années. ( à suivre).
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant