"Nuit" internet, quelques coupures d'eau, quelques coupures électriques... Les Nous Z'Autres confirmons une partie des théories de Stephen Hawking : les trous noirs avalent tout, même un peuple entier, même un pays ! Sauf qu’en notre cas, ils ne nous rendent rien, comme le font, d'habitude, les très polis trous noirs qui se respectent. C'est juste, notre bled, une question de fracture espace/temps... peut-être.
Je vous écris donc entre deux trous noirs, surfant, sûrement, sur une onde gravitationnelle magnanime (bon, pour ceux qui ne savent pas ce qu’est une onde gravitationnelle, je vais faire court : ça a à voir avec les hoquets des trous noirs. Je sais, je sais, pas facile, mais qui a dit que cela devait être facile ?). Ladite onde permettant, l’espace de deux ou trois secondes, que notre bonne vieille terre passe dans un autre univers… Et c’est dans ces deux ou trois secondes que, hop !, disparus les Nous Z’Autres ! Trois millions d’affamés, privés de WhatsApp, Snapchat, FB, films halal ou pas, de business, mails, lectures, roucoulades, « Chtari », musiques ! La galère, quoi.
Du coup nous voilà déprimés. Et un peuple qui déprime, ce n’est pas bon pour le pays. Même mon boutiquier m’a dit, d’un air à avoir perdu toute sa famille : « Tu as vu ? Je n’ai plus Internet… ». Que voulez-vous répondre à tant de tristesse? Histoire de lui remonter le moral, je lui ai acheté plus que d’habitude, des choses inutiles mais remonte-moral : une paire de chaussettes chinoises, rouge à pois blancs (pour les pois blancs), quatre Kinder, cinq boîtes d’allumettes, deux pains, trois Coca, des mandarines ( oui, mon boutiquier a des envies de maraîchage), des biscuits, un stylo rouge, un stylo noir, un cahier avec les tables de multiplication au dos, un savon et vingt chewing-gum en forme de boules multicolores, de ceux qui nous ramènent à l’enfance et aux langues un coup bleues, un coup vertes, un coup jaunes… Puis, pour encore plus le consoler, j’ai payé mon ardoise. J’ai failli, un moment, le prendre dans mes bras, pour pleurer avec lui mais mon bon sens m’a murmuré que « hey, la Derwichette, ce n’est pas une bonne idée ! »… Alors je l’ai laissé à son désespoir et à son téléphone muet. Et suis repartie avec mon propre désespoir et mon propre téléphone muet.
Bref, une panne Internet géante et nous voilà atomisés, invisibles du reste du monde, justes visibles à nous-mêmes et ce n’est pas une sinécure. Du coup, théorie du complot oblige, je me mets à croire que ce que nous vivons, ce trou noir Internet, n’est que le bouquet final d’un grand plan machiavélique en lequel nous avons été entraînés, depuis quelques mois. Ô hommes de peu de foi, si vous doutez de mes propos, je vous rappelle certaines choses : disparu notre drapeau, disparu notre Sénat, disparus nos sénateurs, disparue la loi sur les violences basées sur le genre, disparu Mkhaytir, disparus nos ouguiyas Canal Historique, disparue, ou presque, la langue française, soumise à tous les outrages et à tous les racismes, disparue notre tolérance, disparue notre intelligence, disparue la poésie, depuis que les vers ne servent qu’à demander la mort ou à encenser le pouvoir, disparu le goudron tout frais posé et défoncé aussitôt après, pour enterrer des tuyaux ; disparu le goudron Nouakchott-Rosso, disparu notre hymne national, disparu le seul président civil ET élu, disparus les Blocs Rouges, disparues certaines écoles, disparue notre Éducation nationale, disparues les télés privées, disparus certains fonctionnaires dans les bureaux, disparu (un temps) le papier de l’Imprimerie nationale, disparue la démocratie, dans les chaleurs d’hivernage lors d’un référendum quelque peu… euh, quelque peu « arrangé à la sauce Nous Z’Autres » ; disparue la politesse, disparue la gentillesse, disparue la culture, disparue notre diversité, disparues les bourses aux littéraires…Même notre opposition semble avoir disparu. C’est vous dire que l’heure est grave.
Remarquez, elle n’est grave que si nous existons. Et comme nous n’existons plus…Il faudrait quand même que quelqu’un se dévoue pour aller dire, à notre Sultan, que la situation est grave et qu’il ne règne plus que sur un souvenir de peuple et de pays. Il est encore persuadé que nous sommes. Tellement persuadé qu’il nous a multipliés comme des grains de couscous. Je m’explique : dans son interview à Jeune Afrique, Son Excellence a dit, concernant l’affaire Mkhaytir, que 90% de la population de Nouakchott avait manifesté dans la rue, pour exiger la mort de ce malheureux. J’ai donc compté sur mes doigts et sur mes orteils et j’en suis arrivée à la conclusion suivante : Nouakchott comptant un peu plus d’un million d’habitants, ce sont donc au moins neuf cent mille personnes qui ont manifesté. Si, si. J’ai recompté. Neuf cent mille habitants. Une manif géante, géante comme la panne Internet. Cela s’appelle, ailleurs, « la multiplication des petits pains ». Mais ça prouve, déjà, à quel point notre Sultan nous espère…
Et, surtout, ça permettra d’expliquer la disparition (tiens, encore une!) de cartes d’identité qui ré- apparaissent dans la chasse aux adhérents à l’UPR ! CQFD. Les seuls qui réapparaîtront seront donc les partisans et électeurs de la majorité. Comme quoi, les trous noirs peuvent être compréhensifs parfois (pardon, Stephen Hawking, je ne voudrais pas saboter votre éternité, mais un trou noir peut être complaisant chez nous). Bref… et re-bref : en attendant, je ponds une rubrique de l’espace, sautant de trou noir en trou noir, testant si l’Univers se dilate, s’il se contient en lui-même, s’il s’est créé, s’il a été créé, si la physique quantique vaut le coup d’espérer, si la théorie du Chat de Schrodinger permet de méditer (vous savez? Le chat est mort, le chat n’est pas mort…), si la quadrature du cercle est un concept stomacal, si le fait que nous aimions le beurre rance est une chance, si les élections c’est juste « piège à c… pour militaire isolé », si, si… À notre peuple happé par un trou noir, mes respects. Et ça ne fait que commencer…
Salut
Mariem mint Derwich
source lecalame.info