Pourquoi ériger Nouakchott à l’emplacement même d’un modeste ksar perdu au milieu d’une nature hostile ? Quels sont les défis et risques qui menacent l’avenir de la ville ? Pourquoi doit-on réinventer un avenir pour la jeune capitale ?
A l’aube de l’indépendance, le besoin d’une capitale à l’intérieur du territoire mauritanien se fait pressant (auparavant, la capitale mauritanienne était à Saint-Louis du Sénégal). Dans la perspective de donner une tête à ce corps national naissant, une ville est créée de toutes pièces : Nouakchott.
Dans ses mémoires, Mokhtar Ould Daddah rappelle combien ce transfert de la capitale est symbolique : « le 12 juin 1957 s’est tenue une réunion sous la tente pour illustrer notre détermination immédiate et inébranlable de transférer notre chef-lieu chez nous et de bâtir notre nouvelle capitale sur cette dune, où n’existait à cette date que quelques arbustes rabougris, à moitié ensevelis sous le sable fin. » (La Mauritanie, contre vents et marées -2003).
Une dune, voilà ce qu’est Nouakchott au départ de la République Islamique de Mauritanie.
D’un puits de coquillages au carrefour du monde …
Nouakchott - dont l’étymologie demeure à ce jour incertaine - serait cité pour la première fois en 1827, en tant que territoire de parcours et point d’eau revendiqués par deux tribus maraboutiques. La légende rapporte que leur litige autour du point d’eau, a été résolu au profit de la tribu qui a pu énumérer les quarante types de coquillages ayant servi à la construction du puits.
Fin 1903, un poste militaire est implanté́ par Xavier Coppolani et le capitaine Louis Frérejean avant la construction d’un fortin au Ksar en 1927, à l'emplacement de l'actuelle prison de Baïla. En 1957, le choix se porte sur Nouakchott pour créer la capitale, … « là où apparaît l’eau quand on creuse un puits, où souffle le vent et abondent les coquillages », …« l’endroit aux pâturages salés » (Frérot et al., 1998).
La première pierre est posée le 5 mars 1958 à l’emplacement de la Présidence. Présent ce jour-là, Jean Sahuc, ingénieur des Ponts et Chaussées, témoigne : «Nous avions choisi l'endroit à cause de la proximité de la nappe phréatique d'Idini, qui devait, selon nos calculs, permettre de desservir une ville de 200 000 habitants pendant cinquante ans et parce que sa situation centrale permettait de faire l'unité entre les Maures blancs du Nord et les Négro-Mauritaniens du Sud ».
Par ailleurs, sa situation littorale favorable et l'effet modérateur sur les températures, son accessibilité́ (elle est un relais sur la piste impériale), la proximité́ du fleuve Sénégal qui constitue un débouché́ important, l'altitude moyenne du site, la liaison entre les zones minières du Nord et agro-pastorale sahélienne du Sud, font de Nouakchott un lieu idéal d'implantation où n’existaient, le 12 juin 1957, « que quelques arbustes rabougris, … »
Forte de ses 958.399 habitants (ONS-2013), la jeune capitale sortie des sables, s’affirme aujourd’hui, comme une importante capitale ouest-africaine, pleinement entrée dans la mondialisation. Elle se situe au carrefour de la Mauritanie, du Sahara et du Sahel, du monde arabe et de l’Afrique Subsaharienne.
Coincée entre océan et désert, la Ville préoccupe :
Les scénarios-catastrophes ne manquent pas pour la capitale « attaquée de tous côtés par les forces de la nature, par le sable, par le vent, par la mer » (Vernet, 1994), « coincée entre le désert qui avance inexorablement et l’océan qui menace de rompre le faible cordon dunaire et d’envahir la dépression côtière » (Legrand et al., 1986). Là où certains attendent un tsunami, d’autres programment un « affaissement » général de la ville et préconisent la recherche d’un refuge.
Constat sans appel, s’il en est !
La ville de Nouakchott, par son cadre géomorphologie, est très vulnérable aux changements climatiques qui constituent un défi majeur à son développement urbain, voire son existence. Malgré les mesures législatives et d’adaptation prises, dont certaines visent la protection du cordon littoral qui défend la ville contre la submersion marine, force est de constater que les solutions proposées restent absolument inefficaces : le cordon dunaire de Nouakchott passe de 11 brèches en 2010 à 22 brèches en 2020, comptabilisées sur une distance critique de 30 km.
Ces risques encourus par la ville, dans le contexte des changements climatiques, sont amplifiés par le développement des constructions sur le littoral, ainsi que par l’intensité des activités humaines sur le cordon dunaire : circulation des véhicules, prélèvement de végétation, de sable et de coquillages…
La plus importante menace d’incursion marine qui pèse sur la ville, est en lien étroit avec la modification spectaculaire du trait de côte, induite par la construction du port de Nouakchott. Les efforts de colmatage des brèches du cordon dunaire sont surtout concentrés sur la partie située au nord du port alors que la partie sud, où il a complètement disparu, n’est protégée que par une digue haute de 2 mètres. Or, si la mer devrait franchir le cordon à 10 ou 15 km au sud, l’eau rejoindrait la ville en empruntant la dépression de l’Aftout.
Il existe un second risque d’inondation, cette fois par les eaux de pluie et par la remontée subséquente de la nappe phréatique, déjà fortement ressentie dans certains quartiers de Nouakchott, un risque au demeurant renforcé par l’absence de système fiable d’assainissement et de traitement des eaux usées.
Enfin, la croissance exponentielle de Nouakchott, passée en cinquante ans de cinq cent à près d’un million d’habitants, a provoqué une urbanisation démesurée et anarchique, concourant par la force des chose à la dégradation des infrastructures par le sable, les eaux stagnantes et le sel, avec des dommages économiques et sanitaires notables.
L’avenir pour défi :
Le Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de la Ville de Nouakchott à l’horizon 2040 (SDAU), approuvé et déclaré d’utilité publique par conseil des ministres, le 19 décembre 2019, propose une vision innovante dans la mesure où il est l’aboutissement d’un processus participatif ayant permis à différentes catégories d’acteurs directement concernés de s’exprimer.
La révision du SDAU de la ville, obsolète depuis 2003, fut un long et laborieux processus, lancé en avril 2014 par la Communauté Urbaine de Nouakchott, avec la tenue de l’atelier «Nouakchott, l’avenir pour défi : adaptation et mutation d’une ville vulnérable» (réalisé par les ateliers internationaux de Cergy). Par la suite, l’agence japonaise de coopération internationale (JICA), a été sollicitée par le gouvernement mauritanien pour la réalisation de missions d’enquête, de collecte, traitement d’informations et d’échanges avec les acteurs institutionnels et les populations, en vue de la formulation d’orientations stratégiques d’aménagement de la ville - tout cela en étroite collaboration avec le Ministère de l'Habitat, de l’Urbanisme et de l’Aménagement du Territoire et la Communauté Urbaine de Nouakchott.
La vision proposée dans ce nouveau schéma directeur de la capitale ne s’est pas uniquement concentrée sur les 3 piliers du développement durable que sont : l’environnement (ville Résiliente), le social (ville Réunifiée) et l’économique (ville Rayonnante). Elle a en outre considéré deux autres caractéristiques importantes de la ville de Nouakchott, qui sont l'amélioration de son environnement sanitaire et de santé (ville Revigorée) et la prise en compte de la religion islamique, des traditions et de la culture nomade (ville Respectant les cultures locales).
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Source : Mission d’Etudes de la JICA
Piliers de d’aménagement de Nouakchott 2040
À l’heure où des efforts sont menés pour reconstruire le pays, son unité́ nationale et son devenir, il serait important de saisir l’opportunité pour faire de la ville capitale un espace partagé, capable de transformer les risques actuels en opportunités et de faire de Nouakchott une vitrine du pays que pourraient s’approprier l’ensemble de ses habitant et dont ils pourraient tirer une légitime fierté !
Maïmouna SALECK