Une précision d’abord. Je suis un « opposant » d’un tout autre genre. Opposant au discours panégyrique de la Majorité qui ne regarde la situation du pays qu’à l’aune de ses désirs et rêves éveillés mais également à la critique « orientée » d’une opposition démocratique qui s’oppose à la personne du président Aziz, non à un programme ou à un système.
Je ne suis donc ni de droite ni de gauche. A peine, si je me considère du « centre », représenté aujourd’hui par le président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir qui, malgré l’inconfort de sa position, cherche à apaiser une situation qui reste fortement tributaire de la Bipolarité politique qui, depuis Taya, régente les rapports entre la Majorité et l’Opposition.
Monsieur le Président,
J’ai une fois, dans l’un de mes nombreux écrits, posé cette question : Le président Aziz peut-il gouverner sans majorité ? C’était au tout début de votre pouvoir, quand vous avez laissé croire que la « vieille garde » (ceux qu’on avait qualifié à l’époque de « roumouz-el-veçad », autrement dit « symboles de la gabegie) était vraiment morte et enterrée. Pour dire vrai, il s’agissait d’un bon début. De la belle époque, de « l’âge d’or » du Changement constructif. Votre majorité était alors composée, essentiellement, du Peuple qui vous a soutenu, quand vous avez mis fin au long règne de Taya, et non de ces hommes politiques qui l’entouraient – et vous entourent – aujourd’hui.
Monsieur le Président,
Ceux qui jugent votre action depuis votre arrivée au pouvoir s’opposent sur plusieurs points. D’abord, par où commencer ? Le coup d’Etat contre Taya (3 août 2005) ? La « Rectification » (6 août 2008) qui a écourté le mandat de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi ? La présidentielle de juillet 2009 ? Evidemment, que la prise en compte de l’un de ces repères, au détriment des deux autres, détermine le jugement que l’on a sur vous. Et, oui, il ne s’agit que de jugements, pas de la Vérité. Des jugements qui n’engagent que ceux qui les portent et qui, s’ils sont compris comme tels, éviteraient bien des incompréhensions aujourd’hui.
Monsieur le Président,
J’avoue que vous avez bien accompli quelque chose. J’aime bien cette expression « quelque chose », qui permet de ne pas donner UN contenu à vos réalisations et de départager ceux qui vous soutiennent d’avec ceux qui vous critiquent. Ce sera à l’aune de leur allégeance ou de leur opposition, de leurs sentiments et ressentiments.
Un ministre, par exemple, dira que la « Mauritanie Nouvelle » est devenue un paradis terrestre, cet Eden mythique tant chanté par les poètes. Cela tiendra à l’intensité de sa volonté de ne pas perdre son poste et de jouir, le plus longtemps possible, des privilèges qu’il confère. On ne peut lui en vouloir. Après tout, c’est son sentiment, son intime conviction. Et son intérêt aussi.
Un chef de parti de l’opposition « radicale » parlera de géhenne sous votre règne, du plus mauvais des régimes que la Mauritanie ait connu de l’indépendance à nos jours. Il joue, à fond, son rôle d’opposant à un pouvoir qui ne peut lui demander de l’applaudir. Mais, peut-être bien, qu’il devait, pour donner plus de crédit à la critique, accepter que le bilan d’Aziz n’est pas tout à fait conforme à la descente aux enfers que décrivent aujourd’hui ceux qui ne pardonnent pas à l’ancien général de leur avoir volé leur victoire. Il y a là du ressentiment d’avoir été de la majorité, sans jouir pleinement des « avantages » qu’elle offre, ou d’avoir fait de mauvais calculs, à un moment donné du processus qui a conduit de la chute de Taya à votre Sacre, en 2009, en passant par le jeu d’alliances et de contre-alliances durant le passage de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi au pouvoir.
Monsieur le Président,
Pour éviter le piège des « réalisations », disons que vous avez fait « quelque chose ». Je m’en vais donc donner un contenu à ce que j’estime être votre bilan. Positif puis négatif.
La plupart des mauritaniens s’accordent à vous donner tout le mérite d’avoir mis fin au règne de Taya. Vingt ans d’un pouvoir qui, malgré quelques « éclaircies » était une véritable catastrophe, notamment sur le plan économique et social. Les opportunités offertes au pouvoir de Taya par les institutions de Bretton Woods et les fonds de financements arabes pouvaient permettre à la Mauritanie de rattraper « le temps perdu ». Malheureusement, les milliards de dollars US offerts par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de prêts, de dons ou de quasi-dons, n’ont servi qu’à creuser le fossé entre riches et pauvres. Mais la pire des catastrophes « naturelles » a sans doute été les exactions commises entre 1989 et 1991 contre la communauté négro-mauritanienne et dont les conséquences continuent, encore aujourd’hui, à empêcher un vrai retour à la normale, malgré tous les gestes de bonne volonté.
Il y a aussi que, dans votre lutte contre la gabegie, deux aspects importants retiennent l’attention : la peur bleue des responsables de toucher désormais à l’argent public, ce qui était du temps de Taya, le sport national n°1, et la restructuration de certains services. A ce sujet, il m’arrive souvent, monsieur le Président, de citer l’exemple des logements qui étaient attribués de manière anarchique. Plus besoin aujourd’hui d’avoir un parent ou ami haut placé pour bénéficier de ce qui était, de manière théorique, un droit pour les fonctionnaires et agents de l’Etat mais un privilège (en pratique) réservé seulement à ceux qui connaissant les coins et recoins d’une administration pourrie.
Monsieur le Président,
Vous avez failli dans d’autres domaines. D’abord, vous n’avez pas tenu longtemps dans votre volonté de changer le style et les moyens de la gouvernance politique et administrative. Le Système n’a pas tardé à avoir raison – aussi – de vous. Exactement comme vous le reprochiez à Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi ! Dans votre entourage, il y a beaucoup de ces hommes et femmes qui étaient ministres, walis, députés ou sénateurs sous un pouvoir que les mauritaniens vouent aujourd’hui aux gémonies. Comment expliquer cela ? Une capitulation de votre part ? La volonté d’utiliser les mêmes moyens (tribus, argent, élites) pour arriver aux mêmes fins (durer au pouvoir) ?
Pour sauver la situation (on dit sauver ce qui peut encore l’être), revenez rapidement à votre projet de renouvellement de la classe politique. Je suis entièrement d’accord que pour changer la situation du pays, il faut du sang neuf. Il y a un temps pour la retraite. Même en politique.
Il faut aussi privilégier la bonne recette de « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ». Ne pas trop compter sur ces dosages entre tribus, régions et communautés. Si les choix sont justes et si la démocratie est vraie, personne ne trouvera à dire si les Négro-mauritaniens ont plus que le fameux quart (au niveau du gouvernement) ou si les Harratines ont plus de dix ministres. Pour cela, il faut d’abord que l’on arrive au stade où l’on comprenne, tous, qu’il n’y a qu’UN mauritanien. Il y a, reconnaissons-le, de bons signes qui font penser que vous êtes sur la bonne voie. Trois chefs d’état-major issus d’une même communauté (et d’une même ville), des Haratines aux postes de président de l’Assemblée nationale, du Conseil constitutionnel, du Conseil économique et social et des ministères. L’acceptation de ce fait est déjà un bon signe de ce que les mauritaniens ont vécu comme injustices et décidé de dépasser.
Monsieur le Président,
C’est au niveau de l’administration que beaucoup de choses restent à faire. Ah, si vous savez ! Je suis sûr qu’on ne vous dit pas tout sur le « profil » des hommes et femmes qu’on vous présente, chaque jeudi, au Conseil des ministres, pour des nominations. Ce n’est pas de la dénonciation, mais le mal est si profond qu’il faut une mesure urgente pour stopper cette injustice qui fait des personnes comme moi des « opposants » au Système.
Il y a cependant des exceptions à la règle. Vous avez nommé Rassoul Ould Al Khal, que j’ai connu comme professeur, quand on servait ensemble au lycée de Boghé, et comme journaliste (qui compte parmi les pionniers de la presse indépendante en Mauritanie) qui répond parfaitement à ce que je suggérais quelques lignes plus haut : l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Le même profil se trouve également en la personne Yarba Ould Sghair, l’actuel directeur général du Port artisanal de Nouadhibou, un autre collègue, « ancien » du lycée de Boghé et du Lycée National qui a également du mérite à revendre. Je dirai la même chose de l’ancien secrétaire général du ministère d’Etat chargé de l’Education, Ahmed Ould Bahenni, qui a retrouvé du service comme chargé de mission à la Présidence et qui est « une tête bien faite ». Je cite seulement trois bons exemples, je peux en citer mille, s’il faut dénoncer les promotions « déplacées ». Mais là n’est pas l’objet de cette apostrophe.
Monsieur le Président,
Méfiez-vous des « faux amis » politiques. Et là, j’en reviens à la problématique de la Majorité. Question d’intérêt et de principe. Il y a ceux qui vous soutiennent pour le premier, rarement pour l’autre.
Au niveau de l’Union pour la République (UPR) et de « l’autre majorité », les soutiens se monnayent. Ils fluctuent à la bourse des intérêts de la tribu, de la région et du groupe social. On retrouve là le principe des vases communicants avec, pour le moment, un préjugé favorable à la Majorité. Mais jusqu’à quand ?
Sneiba Mohamed
(Professeur, et occasionnellement journaliste)
source lecourrierdunord.com