Le Calame : L’Union des Forces du Progrès (UFP), votre parti a tenu, du 28 au 31 aout, son 4e congrès ordinaire. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous n’y avez pas assisté ? Et quelle évaluation vous faites de cet évènement ?
Mme Kadiata Malick Diallo: La préparation de ce congrès tenu les 28, 29 et 30 août, a été lancée juste après l’élection présidentielle du 22 juin 2019, où notre candidat est sorti avec un résultat lamentable qui a aggravé la crise qui secouait le parti depuis quelques années. Au lendemain des résultats de cette élection, dans une fuite en avant, le président-candidat (et son groupe) qui se disait être le « seul candidat de l’opposition démocratique » a cherché d’abord à se camoufler dans la coordination des candidats de l’opposition (dont il ne reconnaissait pas le statut avant), tire seul une conclusion de l’élection, arrête une position politique qu’il met en œuvre et se lance dans une contestation absurde de son résultat, sans se référer à la direction de son parti. Notre tendance a exigé un bilan objectif, qui constate notre lourde défaite, en recherche les raisons profondes et en situe les responsabilités pour nous permettre de repartir sur des bases fiables susceptibles de nous mettre sur la voie de la rectification. C’est dans ce contexte que nous avons été amenés à nous démarquer des explications fournies par l’autre tendance qui mettait la défaite exclusivement sur le compte de la fraude, alors que pour nous, en dépit de l’absence de transparence de l’élection et la fraude, qui du reste ont pénalisé tous les candidats de l’opposition, cette lourde défaite s’explique principalement par la situation du parti, notamment l’abandon de notre ligne d’accumulation des forces pour la conquête du pouvoir par la voie des urnes.
Ces prises de positions nous ont valu d’être taxés par un communiqué officiel du parti, d’agents du pouvoir, cherchant à blanchir son hold-up électoral. Nous avons alors estimé indécent de participer à des réunions d’instances où nous sommes considérés comme des agents à la solde du pouvoir. C’est dans ce contexte de crise où d’ailleurs la direction du parti a choisi de sanctionner, par coups de demandes d’explications, de suspensions, d’exclusion et de mises à l’écart de cadres et dirigeants (dont moi-même), ne partageant pas les points de vue du président et son groupe, que la campagne de renouvellement des cartes a été engagée. Ceux qui ont lancé cette campagne avaient comme objectif non pas de trouver des solutions viables à la crise du parti, mais plutôt de se dérober du bilan et de l’autocritique nécessaires, et de se débarrasser des éléments gênants. Le congrès a donc été préparé dans ces conditions avec une campagne d’implantation menée par une seule tendance, ce qui a permis de gonfler à volonté le nombre des adhérents. Beaucoup de militants et cadres avaient rejeté la campagne d’adhésion et le congrès qui était en préparation.
C’est pourquoi des zones d’implantation symboliques du parti ne se sont pas senties concernées par la campagne d’implantation et l’ont signifié par écrit (c’est le cas de Boghé, Maghta Lahjar, le Guidimakha par exemple).On note également une violation des statuts et règlement intérieur du parti où il est bien précisé que le renouvellement des adhésions doit se faire, au moins, un an avant le congrès, que les convocations doivent être notifiées aux congressistes au moins un mois avant la tenue du congrès, aucun de ces délais n’a été respecté (Il n’y a même pas eu convocation formelle des congressistes!). Pire, on a, par un communiqué signé par la commission préparatoire du congrès, instituant une commission de validation des participations, privé des membres de droit du congrès, de pouvoir participer aux assises, s’ils n’ont pas pris la dernière carte de renouvellement. On peut donc retenir en conclusion, que ce congrès est illégitime parce que rejeté par de nombreuses bases et illégal du fait de la violation des textes de base du parti.
Dans une interview parue dans le Calame du 9 septembre, Lô Gourmo Abdoul, vice-président de ce parti a déclaré : « il ne reste à nos anciens camarades qu’à enrichir la scène politique avec une formation politique, s’ils décident à prendre leur responsabilités ». Faut-il comprendre que l’exclusion de votre groupe est désormais actée ? Si oui, qu’entendez –vous faire ?
Je pense que c’est à Gourmo qu’il faut poser la première partie de votre question, même si je n’ai aucun regret à l’entendre nous appeler désormais «anciens camarades». Je me demande pourquoi maintenant il considère que nous pouvons enrichir la scène politique avec notre propre formation. Lui et ses amis ont toujours affirmé que nous avons tenté à plusieurs reprises de créer un parti et pour le faire nous cherchons d’abord à détruire l’UFP et que nous en avons été incapables parce que les militants du parti ont refusé de nous suivre. A d’autres moments ils ont aussi juré que Bédredine disposait déjà d’un récépissé de parti. Pourquoi toutes ces contradictions ?
Je dois quand même lui rappeler que la réconciliation de 2018 où ils ont poussé un grand ouf de soulagement avec prise de photos de famille s’est faite sur la base de la position de notre groupe d’accepter tout simplement que les jeunes qu’ils tenaient à sanctionner fassent leur autocritique en interne. Si nous avions été désavoués par les bases, pourquoi eux ont dû abandonner leur demande de sanction des jeunes ? Pour ce qui nous concerne, nous ne nous traçons pas de perspectives, ni de ligne de conduite par rapport aux déclarations de Gourmo. Gourmo sait mieux que quiconque qui nous sommes, ce que nous représentons, ce que nous sommes en mesure de faire et il a d’ailleurs dit dans la même interview, que nous sommes un groupe «ultra minoritaire» mais capable selon lui de «destruction massive», il ne fait là, qu’exprimer l’inquiétude qui l’habite tout en oubliant que leur politique de liquidation a entrainé l’UFP dans la voie de la destruction depuis longtemps.
Pouvez-vous nous rappeler sur quoi ont porté les divergences entre votre groupe et la direction de votre parti qui vous accuse, de vouloir torpiller celui-ci ?
Merci de me permettre de revenir sur les raisons de la grave crise qui a disloqué l’UFP. J’ai souvent entendu Mohamed Ould Maouloud, même dans le rapport moral qu’il a présenté au congrès illégitime et illégal les jours passés, répéter qu’il ne saisit pas la nature de nos divergences, en dehors de la décision de boycott des élections municipales et législatives de 2013. Il a même ajouté et Gourmo le martèle sans arrêt, que nous ne cherchions qu’à détruire le parti. Justement, je vais parler de la destruction du parti, car c’est bien cela qui s’est produit. Nos divergences ont porté sur la déviation de ligne qu’eux ont imposée au parti.
Le problème ne réside pas dans la formulation de la ligne stratégique du parti clairement définie au congrès de 2012, mais dans ses mises en œuvre par des tactiques aventuristes et qui sont totalement en rupture avec cette ligne, l’abandon des idéaux et principes du parti, l’instauration d’un style et des méthodes de direction personnelles et anti-démocratiques qui ont conduit aux échecs répétés du parti, qu’ils refusent de reconnaître. La ligne du «Rahil» ou «Aziz dégage» que la direction de l’UFP avait très tôt remise en cause (une délégation conduite par le premier vice-président de l’époque Bâ Boubacar Moussa, Moustapha Bédredine, 2evice-président et Gourmo ont été envoyés la discuter avec les différents leaders de la COD) a été imposée à nouveau par une note de Mohamed Ould Maouloud à partir de la France où il se trouvait jusqu’à ce que tout le monde se rende compte de l’erreur de cette ligne. La décision de boycott des élections de 2013 a été obtenue par la manipulation allant jusqu’à la menace de démission par le président, en passant par le putsch entrepris contre le comité permanent et l’écrasante majorité des bases du parti par le président qui a pris seul la décision, à la réunion de la coordination de l’opposition (COD).
Cette décision de boycott imposée n’a ni été suivie par les militants et cadres du parti qui se sont présentés sous les couleurs d’autres partis (parfois de la majorité présidentielle) et/ou ont quitté le parti, ni par les populations qui sont allées massivement voter, les tenants du boycott n’ont pu opposer aucune résistance, contrairement aux partis qui ont participé aux élections et qui se sont battus férocement pour arracher des acquis importants (alors on va me dire que les 16 députés obtenus par Tawassoul et les mairies remportées leur ont été gracieusement offerts par le pouvoir, ou que les 4 députés de l’AJD/MR sont un cadeau du pouvoir). Si aujourd’hui encore Mohamed Ould Maouloud tente, dans son rapport moral, de justifier le boycott, en inventant de nouveaux arguments, qui lui ont valu d’ailleurs une mise au point de la part de Mohamed Jemil Mansour, en guise de correction, c’est que tout simplement il refuse de se remettre en cause après tant d’échecs. Sur un autre plan, on peut remarquer aisément le glissement de l’UFP, sur des positions chauvines et obscurantistes, illustrées par le boycott par l’essentiel des partisans de Mohamed Ould Maouloud de la commémoration par le parti des massacres d’Inal le 28 novembre 2017, les tergiversations à soutenir Aminétou Mint El Moctar menacée de mort par un obscurantiste religieux, la volonté de sanctionner des jeunes du parti considérés comme des éléments de gauche et l’absence de discours clair sur les questions liées à l’esclavage.
La dernière aventure de Mohamed Ould Maouloud et ses partisans a consisté à se lancer aveuglément dans une candidature, je le répète suicidaire, misant tout simplement sur l’élimination des anciens leaders de l’opposition comme Ahmed Ould Daddah et Messaoud Ould Boulkheir, sans tirer aucun bilan de nos résultats aux élections de 2018, sans tenir compte de la situation objective du parti, du pays et de l’électorat en particulier. Cette situation de déliquescence ne peut pas être occultée par des affirmations gratuites et ridicules, du genre nous sommes la cible privilégiée du pouvoir, alors que tout le monde sait que vous ne pouviez en aucune manière être une menace pour le pouvoir, ni mise sur le compte de militants qui chercheraient à liquider le Parti. Non la liquidation du parti est une conséquence de politiques erronées et aveugles, nées d’une déviation grave de ligne sous la direction de Mohamed ould Maouloud.
Qui sont ces « aziziens », accusés comme votre groupe d’avoir tenté de « saper les rangs de l’UFP » et d’empêcher la tenue de son congrès ?
Cette question est à poser à Lô Gourmo. Ce que je peux dire c’est que ce genre de propos comme je l’ai indiqué plus haut n’est qu’une forme de diversion grossière destinée à masquer les vraies raisons de la crise de l’UFP et chercher à rejeter ses propres fautes sur les autres.
En tant que députée, quelle appréciation vous faites du contenu du rapport de la CEP et de la manière dont il est en train d’être mis en œuvre par la justice ?
Je suis sincèrement satisfaite que l’Assemblée nationale ait de manière unanime accepté la constitution d’une commission d’enquête parlementaire et que celle-ci se soit bien acquittée de sa mission. Il faut dire qu’un grand nombre de Mauritaniens étaient sceptiques sur la volonté et la capacité de ces parlementaires de mener à bien cette tâche, d’autres étaient même opposés aux dossiers objets de l’enquête, considérant qu’il y a d’autres questions plus cruciales, mais avec le rapport présenté par la commission, je crois que le sentiment de satisfaction est largement partagée. Concernant le traitement judiciaire du dossier, il vient de démarrer, je me limiterai au souhait de voir la justice mener son travail dans la transparence et l’équité avec toute la rigueur nécessaire.
Il semble que vous avez été débouté par la justice concernant le recours que vous aviez engagé pour faire annuler les décisions du dernier congrès. Confirmez-vous cette information?
Il faut dire clairement que cette information a été donnée par Lô Gourmo et même traduite en pulaar avec large diffusion. Nous avons effectivement déposé un recours en demandant l’annulation des décisions du congrès tenu les 28,29 et 30 août, pour les raisons que j’ai expliquées plus tôt et avons donné procuration au cabinet de Maître Fatimata M’Baye pour notre défense. Notre avocate avait demandé l’examen du dossier en référé, c'est-à-dire en procédure d’urgence. Le juge n’a rejeté que la procédure du référé, estimant que le recours tel que formulé ne peut être examiné par cette voie. Aucun jugement sur le fonds n’a encore été rendu. Je vous suggère d’interroger Maître Fatimata M’Baye sur la question. Maintenant ce que je trouve étonnant, c’est qu’on dise que nous avons été déboutés par une justice qui ne s’est pas prononcée sur le fond, en affirmant que le juge a confirmé la légalité du congrès et reconnu les instances qui en sont issues. Je crois que Gourmo veut aller plus vite que les violons, wiyetee he pulaar ko sodaade!
Propos recueillis par Dalay Lam
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