Aux cris de "Mort à l'Amérique", une marée humaine en deuil a accompagné lundi à Téhéran les cercueils du général Qassem Soleimani, commandant le plus populaire d'Iran, et de ses compagnons d'armes tués dans une attaque de drone des Etats-Unis en Irak.
Sur un autre front des tensions exacerbées avec Washington, l'Iran a annoncé une nouvelle réduction de ses engagements contenus dans l'accord international sur son programme nucléaire dont les Etats-Unis se sont retirés en 2018, un pacte désormais presque vidé de sa substance.
Les Européens, encore parties à cet accord conclu en 2015, ont dit "regretter profondément" l'annonce de l'Iran sur la levée de toute limite sur l'enrichissement d'uranium.
Face à la crise entre les Etats-Unis et l'Iran, des ennemis jurés, et le risque d'une véritable déflagration, une réunion extraordinaire de l'OTAN se tient dans la journée à Bruxelles, et la chancelière allemande Angela Merkel rencontre samedi à Moscou le président Vladimir Poutine.
A Téhéran, la population a offert le spectacle d'un rassemblement d'unité et d'une ampleur jamais vue depuis les manifestations et contre-manifestations de la contestation post-électorale de 2009 en Iran.
Comme à Ahvaz (sud-ouest) et Machhad (nord-est) la veille, les Iraniens se sont déplacés en masse à Téhéran, en ce jour déclaré férié, pour honorer Qassem Soleimani, figure charismatique et très populaire en Iran, tué vendredi avec son lieutenant irakien et huit autres personnes près de l'aéroport de Bagdad.
La foule rassemblée dans un froid glacial était manifestement beaucoup plus diverse que lors des habituels rassemblements à l'appel du pouvoir.
L'ayatollah Ali Khamenei, guide suprême d'Iran, n'a pu retenir son émotion en présidant une courte prière des morts à l'Université de Téhéran, devant les cercueils contenant les restes de Soleimani, d'Abou Mehdi al-Mouhandis, numéro deux du Hachd al-Chaabi (paramilitaires irakiens pro-Iran) et de quatre Iraniens. Soleimani doit être enterré mardi à Kerman (sud-est), sa ville natale.
- Echange de menaces -
Estimée à "plusieurs millions" par la télévision d'Etat iranienne, la foule alterne entre moments de recueillement et de tristesse et explosion de colère aux cris de "Mort à l'Amérique", "Mort à Israël".
Des drapeaux américains et israéliens sont brûlés. Hommes et femmes pleurent ou appellent à venger celui qui était le chef de la Force Qods, chargée des opérations extérieures des Gardiens de la Révolution, et à ce titre l'architecte de la stratégie de l'Iran au Moyen-Orient.
La fille de Qassem Soleimani, Zeinab, et le chef du bureau politique du Hamas palestinien, Ismaïl Haniyeh, ont électrisé la foule en parlant des effets galvanisants que la mort du général aura selon eux sur la résistance à l'Amérique et à Israël.
L'Iran officiel a promis une "riposte militaire", une "dure vengeance" qui frappera "au bon endroit et au bon moment".
Malgré les appels à la "désescalade" et à la "retenue" de nombreuses capitales dans le monde, le président américain Donald Trump ne fait rien pour apaiser les inquiétudes. Si l'Iran fait "quoi que ce soit, il y aura des représailles majeures", a-t-il lancé dimanche.
Ces menaces "ne sont pas d'une très grande aide", a regretté Berlin.
M. Trump a également évoqué la possibilité d'imposer des sanctions "très fortes" à Bagdad après le vote dimanche par le Parlement irakien d'une résolution demandant le départ des troupes américaines d'Irak.
L'assassinat de Soleimani est survenu trois jours après une attaque inédite contre l'ambassade américaine à Bagdad par des partisans du Hachd pour protester contre un bombardement américain meurtrier contre une faction de ces paramilitaires. Le bombardement était lui en riposte au tir ces deux derniers mois, de dizaines de roquettes sur des installations en Irak abritant des Américains et où un sous-traitant américain a péri fin décembre.
- Crise du nucléaire -
Dans ce contexte explosif, l'Iran a annoncé dimanche la "cinquième et dernière phase" de son plan de réduction de ses engagements en matière nucléaire pris devant la communauté internationale, affirmant qu'il ne se sentait désormais plus tenu par aucune limite "sur le nombre de ses centrifugeuses".
Mais Téhéran continue de se soumettre volontairement au programme d'inspection onusien particulièrement draconien mis en place après l'accord nucléaire de 2015 conclu entre l'Iran la Chine, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et l'Allemagne.
Depuis mai, l'Iran s'est progressivement affranchi d'engagements auxquels il avait souscrit par cet accord, en riposte au retrait unilatéral des Etats-Unis qui ont rétabli des sanctions économiques contre Téhéran.
Paris, Londres et Berlin ont appelé "l'Iran à retirer toutes (ses) mesures non conformes" au pacte.
Par l'accord de 2015, l'Iran a accepté de réduire drastiquement ses activités nucléaires, de façon à prouver que celles-ci n'ont aucune visée militaire, en échange de la levée d'une partie des sanctions économiques internationales qui asphyxiaient alors son économie.
Mais le retour des sanctions américaines a plongé le pays pétrolier dans une violente récession et l'a privé des retombées économiques qu'il espérait de l'accord.
Si Berlin a dit craindre que l'annonce iranienne "puisse être le premier pas" vers la mort de l'accord, des observateurs se montrent moins pessimistes notant que l'Iran reste "très prudent" en évitant de dénoncer frontalement le texte, ce qui laisse à tous les acteurs une ultime marge de manœuvre pour tenter de le sauver.
Entretemps, les cours du pétrole poursuivent leur ascension, tandis que les Bourses mondiales tremblent face à l'escalade enclenchée par l'assassinat de Soleimani. L'or, traditionnelle valeur refuge, est monté à des niveaux plus vus depuis 2013.