Le Calame : La ville de Tidjikja connaît, à l’instar de beaucoup de villes et villages du pays de sérieux problèmes d’eau depuis quelques années. Un ex-membre du gouvernement avait annoncé la délocalisation du projet d’université de la ville à cause justement de ce problème d’eau. Quelle est aujourd’hui la situation d’approvisionnement en eau de la ville ? Tidjikja manque-t-elle d’eau potable ou d’eau pour les palmeraies ou les deux à la fois? Quelles en sont les raisons ?
Moustapha Ould Maouloud : Effectivement beaucoup de villes ont des problèmes d’eau à l’instar de Tidjikja. Seulement avec ces villes la différence est que le problème de Tidjikja n’a jamais bénéficié de la même attention que celle accordée à ces villes, comme par exemple Néma, Timbédra, Maghta-Lahjar, Akjoujt etc.…, ou comme les villes pour lesquelles la recherche de solutions est très avancée comme Kiffa, Nouadhibou, Boghé, Aïoun etc.
S’agissant de la relocalisation de l’Université de Tidjikja à laquelle le gouvernement semble avoir trouvé une solution heureuse, je n’estime pas nécessaire d’y revenir.
Pour ce qui est de la situation de l’approvisionnement de la ville aujourd’hui, il y a lieu de vous confirmer que la ville et son oasis manquent encore d’eau.
En effet, depuis le début de la séquence sèche des années 70 qui frappe le Sahel, Tidjikja connait une dégradation constance de son alimentation en eau, amplifiée par l’afflux des populations d’éleveurs et d’agriculteurs de la région impactés par une désertification de plus en plus dure.
Devant cette situation, les maigres ressources souterraines en eau de l’Oued de Tidjikja qui alimentent la ville et son oasis ont été fortement sollicitées par les approfondissements des puits et, plus tard vers les années 80, par des campagnes anarchiques et intensives de forages, depuis que les profondeurs pour atteindre les nappes situées dans les fractures rocheuses sont devenues très importantes, une centaine de mètres et plus.
Etant donné que l’Oued de Tidjikja se situe dans une région géologique où les aquifères sont essentiellement constituées par des drains et liées à des fractures dont la recharge dépend de la pluviométrie, il est donc normal que l’on assiste aujourd’hui à l’épuisement de ces nappes, à la quasi-disparition de l’Oasis et à la soif qui est vécue actuellement par les populations.
En résumé, pour ce qui concerne l’approvisionnement de la ville de Tidjikja actuellement, il est assuré cahin-caha grâce au peu de forages dans l’Oued qui donnent encore des débits de plus en plus faibles et par les nouveaux forages réalisés au cours des deux dernières années dans l’Oued d’Arzak dans le cadre d’un programme d’urgence élaboré par le Groupe Eau et le Ministère chargé de l’Hydraulique. Quant à l’Oasis et ses palmeraies, le moins que l’on puisse dire est qu’elles se meurent malheureusement à petit feu.
-Lors de sa campagne présidentielle, le candidat Ghazwani, devenu ensuite président s’état engagé à régler le problème d’eau de la capitale du Tagant. Qu’est-ce qui a été fait depuis pour tenir cet engagement ? Y-a-il une solution à court ou long terme ?
-Malgré la gravité de la situation, les populations de Tidjikja n’ont pas paniqué outre mesure parce qu’elles sont convaincues que la promesse du Président faite lors de la campagne électorale et confirmée plus tard aux différents personnalités de la ville qu’il a rencontrées, sera tenue quel qu’en soit le prix.
Le Groupe Eau constitué par les cadres de Tidjikja présidé par M. Mohamed Abdellahi Ould Zeine et comprenant les élus, le président du Conseil Régional, le député de Tidjikja, le maire, les ingénieurs géologues, hydrogéologues, géophysiciens, originaires de la ville de Tidjikja ont élaboré en collaboration avec le ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement un programme d’urgence prévoyant une solution à court et moyen termes et une solution à long terme. La solution à court et moyen termes porte sur un programme d’urgence que j’ai déjà évoqué et qui est encore en cours d’exécution et donne de bons résultats, il convient donc de remercier tous les ministres qui se sont succédé au niveau du département.
Malgré ces bons résultats, il est certain que tant et aussi longtemps que la solution à long terme n’a pas encore été entamée, les populations seront toujours inquiètes pour l’avenir de leur ville en raison de la précarité de la solution à court terme qui est basée sur l’exploitation de ressources en eau souterraines qui dépendent d’une pluviométrie de plus en plus rare.
-En tant qu’ingénieur de l’hydraulique et ancien ministre du Développement rural, quelle est la solution pouvant permettre d’approvisionner la ville en eau ? Lors d’un atelier sur l’eau tenu à Tidjikja, certains experts avaient préconisé d’alimenter la ville à partir de la Tamurt N’Aj (N’Beika)? On l’a fait pour Kiffa, approvisionnée depuis Kankossa et Nouakchott, depuis Rosso? Cette option vous parait-elle réaliste ?
-La ville de Tidjikja peut être théoriquement alimentée à partir des nappes souterraines qui restent à découvrir où des eaux de surface (lac de Guebou, fleuve du Sénégal). Mais comme signalée plus haut, le problème qui se pose est que les pouvoirs publics n’ont pas, jusqu’ici, choisi une option définitive en raison de l’indisponibilité d’études.
Comme vous le savez, la ville de Néma a été alimentée à partir de la nappe du Dhar, Nouakchott à partir du fleuve.
Personnellement, je pense que la solution consistant à alimenter Tidjikja, à partir du fleuve à l’instar de Kiffa, si les études technico-financières en confirment la faisabilité, est une bonne chose à condition que les travaux de réalisation démarrent au plus tard dans une année.
En ce qui concerne les eaux souterraines, El Khat et Lemreya présentent un grand intérêt en termes d’existence d’importantes ressources pouvant alimenter Tidjikja et possiblement Atar et Zoueirat.
A cet égard, il convient de signaler que lors de mes travaux sur les résultats des forages pétroliers réalisés en 1974 par Texaco et Agip dans le bassin de Taoudenni, il m’a été donné de constater que ces forages ont mis en évidence l’existence de deux aquifères profonds (plus de 600 Mètres) d’une puissance chacun de plus de 500 mètres et qui sont saturés d’une eau légèrement saumâtre .Ce qui veut dire qu’on est en présence d’une nappe généralisée au niveau de cette partie du bassin de Taoudenni qui est capable d’alimenter toute la Mauritanie, à l’instar des aquifères qui alimentent le fameux fleuve artificiel libyen.
Ceci dit, quelle que soit la solution définitive choisie pour l’alimentation en eau de Tidjikja, les études de celle-ci doivent commencer immédiatement en raison des délais d’exécution qui devraient demander nécessairement plusieurs années ; alors que les petites nappes exploitées actuellement pour l’alimentation de cette ville peuvent bien s’épuiser avant ces délais, ce qui serait catastrophique et imposerait le recasement des populations.
-Au cours d’un festival des dattes, tenu à Tidjikja, il avait été mis en place, en concertation avec la mairie, un comité Eau ; il était composé de plusieurs cadres dont vous et des notabilités de la ville. Sa mission était de mener un plaidoyer auprès de l’Etat et des partenaires techniques et financiers. Quelle évaluation vous en faites ?
-J’ai parlé plus haut de ce Groupe Eau et de la coopération fructueuse qu’il a établie avec le ministère chargé de l’hydraulique.
A cet égard, le Groupe a participé avec les ministères à la réalisation des études qui ont dégagé les deux solutions à court et long termes que nous avons déjà évoquées. La solution à court terme a porté sur un programme d’urgence qui devrait permettre d’augmenter rapidement la production de l’eau en réalisant de nouveaux forages en dehors de l’Oued pour soulager la souffrance des populations. Dans ce cadre, le Groupe Eau a accompagné l’exécution d’une dizaine de forages dans l’Oued d’Arzak dont plusieurs ont été équipés et raccordés au réseau de la ville. De plus, il a travaillé avec la SNDE pour l’amélioration du réseau de distribution de l’eau et sa sectorisation en vue d’une desserte équitable des différents quartiers de la ville.
Par ailleurs, dans la recherche de la solution définitive, le président du Conseil Régional a engagé avec des partenaires extérieurs une étude hydrogéologique générale au niveau de tout le Tagant.
Malgré tous ces efforts, le sort de la ville et de l’Oasis reste suspendu au progrès réalisé en vue de la de la mise en œuvre de la solution définitive du problème de l’eau de Tidjikja.
-L’ancien maire et sénateur de Tidjikja, Moustapha Ould Sidatt qui se battait en 1997 déjà pour trouver une solution au problème d’eau disait que « l’oued de Tidjikja est le fondement économique de la ville, qu’il est ce que le poisson est pour Nouadhibou et que sa disparition entraînerait celle de la ville». Partagez-vous cet avis ? Quel est son état aujourd’hui ?
-Effectivement, la ville de Tidjikja a été fondée en 1660 sur son site actuel qui semblait aux populations propices pour la création d’une oasis comparable à celle de Chinguetti d’où elles venaient.
Les fondateurs de Tidjikja ne se sont pas trompés car le développement et la prospérité de cette ville se sont faits assez rapidement grâce à la création de leur nouvelle oasis.
Aussi dans cette nouvelle situation de rareté de l’eau dans l’oued de Tidjikja, toute solution qui ne prend pas en considération la survie de l’oasis et de ses palmeraies condamnerait la ville à la disparition.
-Ailleurs, les populations affectées par un manque d’eau sortent pour manifester, à l’occasion des visites présidentielles ou ministérielles, avec souvent des bidons jaunes, ou devant la présidence de la République à Nouakchott, A Tidjikja, ce manque d’eau dure depuis plus de dix ans. Alors, les populations se seraient-elles résignées ?
-En tout cas, ceux qui manifestaient dans les autres villes et villages ne sont certainement pas plus assoiffés que les populations de Tidjikja. Je suis sûr que les populations de Tidjikja auraient manifesté si elles ne croyaient pas fermement que la promesse du Président n’allait pas se réaliser dans des délais raisonnables. J’espère que ces populations ne perdront ni optimisme ni patience.
-En juin dernier, le président du Conseil Régional a fait venir un bureau d'études français AMETEN à Tidjikja pour mener des recherches en eau. Avez-vous eu connaissance des résultats de travaux ?
-Je suis bien au courant de cette étude. Le Groupe Eau dont je suis membre en a d’ailleurs élaboré les termes de référence. Il est à signaler que le ministère de l’Hydraulique travaille actuellement avec beaucoup de détermination en vue de lancer dans les meilleurs délais les études afin de trouver une solution définitive au problème de l’eau à Tidjikja et peut-être pour toutes les villes du nord du pays. Nous attendons incessamment, les résultats de sa première phase qui, nous l’espérons, donnera des indications claires pour la localisation des zones d’intérêt pour les futures prospections en vue de trouver des nappes souterraines importantes pour régler définitivement le problème d’eau de la ville de Tidjikja. Je peux vous assurer que les élus de Tidjikja comme le président du Conseil Régional et tout le Groupe Eau resteront mobilisés tant que la solution définitive de l’alimentation en eau de la ville de Tidjikja ne sera pas trouvée.
Propos recueillis par Dalay Lam