Monsieur le Premier Ministre, c’est avec un très grand plaisir que nous saluons aujourd’hui la libération de Mariam Mint Cheikh par le Tribunal de Nouakchott mardi 21 avril. Il est vrai que l’on ne voit pas très bien comment la justice mauritanienne et un gouvernement qui se fait fort d’améliorer la situation des droits humains pouvaient laisser perdurer un tel déni de droit.
Et ils ont été nombreux ceux qui l’ont fait savoir ! L’arrestation de Mariam Mint Cheikh à son domicile par des agents de la Direction Générale de la Sûreté Nationale lundi 13 la séparant du bébé qu’elle allaitait pour la conduire dans un lieu secret relève de l’illégalité la plus flagrante.
Il en est de même pour l’interdiction qui lui a été faite de rencontrer immédiatement un avocat et pour la non communication du motif de ce kidnapping. La forte désapprobation suscitée par cette situation a conduit des militants des droits humains à manifester lundi 20 avril autour du Ministère de la Justice.
Le déchaînement de violence sur des manifestants pacifiques par des forces de l’ordre suréquipées a été documenté par des vidéos et des certificats d’hospitalisation : c’est une nouvelle entorse grave à l’État de droit auquel aspire légitimement la population.
Mariam Mint Cheikh a souvent des propos durs contre le pouvoir et de façon plus générale contre l’organisation de la société profondément inégalitaire structurée par l’appartenance communautaire que votre gouvernement semble vouloir maintenir tout en cherchant à la rendre plus présentable. Elle utilise la liberté d’expression garantie par les conventions internationales qui engagent son pays.
Comme elle, d’autres opposants, mais aussi des militants des droits humains tels que nous, suivent attentivement l’action de votre gouvernement en faveur des droits humains et d’une plus grande justice sociale.
En effet, le programme électoral du Président Ghazouani évoquait « un élan sincère de concorde, de fraternité et d’acceptation de l’autre nécessaire pour assurer une cohésion nationale où l’apport de chacun sera un enrichissement collectif. »
Vous-même, Monsieur le Premier Ministre, dans votre Discours de politique générale du gouvernement en septembre 2019, avez dit : «Pour renforcer la cohésion nationale, promouvoir le respect et la défense des droits de l’homme, et pour éradiquer les inégalités liées à la discrimination sociale, notre Gouvernement accordera une importance extrême à la lutte contre les séquelles de l’esclavage et travaillera pour le changement des mentalités qui handicapent l’émancipation des différentes catégories de notre société. »
L’envie est grande de vous suivre dans cette direction tant le retard pris est important et les besoins sont grands.
Vous pouvez porter au crédit de l’opposition, de la société civile mauritanienne, des différentes associations de défense des droits humains et de la communauté internationale dans son ensemble le regard bienveillant qu’elles ont porté sur les premiers mois de l’action de votre gouvernement.
Pourtant, ils étaient nombreux avec nous à penser déjà que certaines erreurs de diagnostic hypothéquaient lourdement les chances de réussite. Ne parler que de « discrimination sociale » dans un pays où la discrimination raciale est si présente. Ne concéder que la présence de « séquelles de l’esclavage » alors que l’esclavage par ascendance structure encore une partie des relations sociales et que se développent de nouvelles formes d’esclavage.
Voilà des désaccords importants. Des signes forts envoyés par votre gouvernement manquent toujours en vue d’une participation de toutes les communautés nationales à la hauteur de leurs compétences et de leurs aspirations.
Des signes inverses ont même été envoyés lors de trop nombreuses nominations privilégiant une seule communauté. L’absence d’autorisation pour le moment de l’association IRA et du parti RAG, le ton menaçant du Ministre de l’Intérieur en désaccord avec des analyses du député Biram Dah Abeid, les conditions de l’arrestation de Mariam Mint Cheikh et la répression de la manifestation pacifique de lundi dernier semblent témoigner d’une volonté d’une partie des membres de votre gouvernement de faire taire certaines formes d’opposition plutôt que d’engager avec elles un discours constructif.
Monsieur le Premier Ministre, nous pensons qu’il est encore temps de profiter de la diversité et de la richesse de la société mauritanienne pour « construire un Etat fort et moderne, où tous les citoyens jouissent de l’équité et de la justice, dans la paix et la stabilité ».
Ce sont vos paroles : les Mauritaniens vous le demandent aujourd’hui avec insistance, toutes les associations de défense des droits humains, soutenues par la communauté internationale, les accompagneront avec détermination. Engageons-nous tous ensemble dans cette direction !
Soyez assuré, Monsieur le Premier Ministre, de notre respectueuse considération
Le Bureau d’IRA-France-Mauritanie, le 23/04/2020
lecalame.info