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un grain de sable pour secouer la poussière...

Le colonel-médecin Sid Ely Ahmedou, candidat à la députation pour le parti Tawassoul à Boghé : 'L'AEOD constitue une nouvelle donne qui va permettre de mutualiser les forces de l'opposition démocratique....

Jeudi 9 Août 2018 - 22:22

.... Elle pèsera significativement sur les résultats de ces élections''

 

Médecin-colonel à la retraite depuis 2014, le Pr. Sid Ely Ahmedou a connu une carrière bien remplie. Il a gravi les échelons de l'armée et de l'administration sans accrocs.
Libéré de l'obligation de réserve, il réinvestit le champ politique aussi miné que celui de la guerre. Il revisite ses leçons de Kadihines et affûte aujourd'hui ses armes au sein du premier parti de l'opposition, Tawassoul qu'il juge démocratique et proche de sa philosophie humaniste.

Après l'école de santé royale de Rabat d'où il sort docteur en médecine en 1985, Sidi Ely se spécialise en ophtalmologie en 90 et décroche, en 97 une agrégation à Val-de- grâce (Paris).
Rentré au pays, il devient inspecteur général de la santé, directeur de l'hôpital Cheikh Zayed puis directeur du programme national de lutte contre la cécité pendant douze ans. Il atterrit à la présidence de la République comme conseiller du président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, son " ami " et " classe ". Dégouté par la tournure du mouvement de la "Rectification " intervenu en 2008, particulièrement lors du 2e mandat, Sidi Ely jette l'éponge et engage une carrière internationale avec l'OMS. Le compagnonnage ne durera pas longtemps puisqu'il rejoint le pays pour des raisons familiales.

Investi comme député pour défendre les couleurs du parti Islamiste dans la Moughataa de Boghé, Sid Ely, conscient des difficultés de la majorité au niveau de cette circonscription, se refuse cependant, en bon militaire de dévoiler sa stratégie de campagne, se contentant de parler de " surprises " que les prochaines consultations pourraient réserver un peu partout dans le pays.

Dans cette interview exclusive, l'homme évoque les raisons qui l'ont poussé à adhérer à Tawassoul, ses relations avec le président Aziz, les motifs de sa démission de son poste de conseiller à la présidence, les chances de l'opposition, la tension politique que vit le pays, la situation économique et sociale etc.
 

Le Calame : On vous a connu en tant que technocrate indépendant des courants politiques. Quand donc le virus de la politique vous a-t-il piqué? Pourquoi Tawassoul et pas un autre parti ?

Sid Ely Ahmedou : Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de remercier votre journal pour l'opportunité qui m'offre, en cette période délicate de notre histoire nationale, de m'adresser à vos lecteurs, remerciements d'autant plus vifs que je suis depuis fort longtemps un fervent lecteur du Calame dont j'apprécie la ligne de conduite, constante, et les éditoriaux, si pertinents. Pour être franc, le virus de la politique m'a piqué très jeune, dans les années 70 et sa vague de constatation.

J'adhérai alors au mouvement des Kadihines. Malgré mon appartenance à la bourgeoisie - père haut fonctionnaire et directeur de société - et à la féodalité - famille émirale - j'ai épousé les thèsesrévolutionnaires du mouvement et suis resté très proche des théories communistes.
Cet épisode de ma vie s'est poursuivi jusqu' à mon incorporation dans l'armée. Très riche, il me constitua une solide formation politique qui m'a beaucoup servi. Une situation interrompue, comme je viens de le dire, par mon engagement dans l'armée et son nécessaire devoir de réserve. Je n'ai repris ma liberté de parole qu'à mon départ à la retraite, pour limite d'âge, en fin 2014.

Concernant le deuxième volet de votre question, le choix de Tawassoul découle d'une analyse minutieuse de la scène politique. J'ai tout d'abord privilégié les mouvements les plus proches de mes convictions politiques. La gestion interne du parti fut un second élément important d'appréciation, en plus des qualités suivantes :

Tawassoul est un parti démocratique qui applique l'alternance, prônée dès son plus haut niveau. Lors du congrès national, toutes les structures ont été ainsi renouvelées et son président est redevenu simple militant. Les courants internes sont tolérés, à condition que les lignes directrices du parti soient respectées.
Cela nous donne une bonne marge de manoeuvre. Les décisions sont prises de façon concertée et consensuelle.

La large représentativité au niveau national et la force de conviction de ses militants, basée sur des principes solides, constitue un second atout. Enfin sa proximité, avec les couches les plus démunies, et son action humanitaire et sociale, auprès des populations les plus défavorisées, complète, sans tambour ni trompette, les efforts personnels que je n'ai cessé de mettre en oeuvre au service des plus pauvres.
 

- Si je ne m'abuse, vous avez côtoyé l'actuel président de la République, en tant que conseiller, ce qui laisse supposer une certaine proximité. Que s'est-il passé pour que vous vous en sépariez, jusqu'à choisir, en quête d'un poste électif, un parti de l'opposition radicale ? N'aurait-il pas été plus facile de passer par l'UPR, plutôt que le parti islamiste souvent dans le collimateur du pouvoir ?

- Effectivement, l'actuel président de la République est, non seulement, un ami de plus de quarante ans mais, aussi, un compagnon d'armes, ce que nous appelons " classe ". Nous avons été recrutés le même jour et avons pris le même vol militaire, en 1977 ; lui, pour l'académie de Meknès, et moi, pour l'école de santé de Rabat. Nous sommes restés très proches, même si des divergences d'appréciation sont intervenues, lors de son second mandat, pour des raisons que j'évoquerai plus loin. Contrairement à ce que beaucoup pensent, la Grande Muette comptait, surtout au début des années 2000, des cadres compétents, tapis dans l'ombre.

Sentant la fin du régime Taya et après la tentative avortée du coup de force des Cavaliers du changement, cette élite se devait de préparer un programme appuyé sur de solides piliers : l'instauration d'une véritable démocratie ; l'incarnation et la défense des libertés individuelles et collectives ; la lutte contre la gabegie ; la mise en oeuvre de la bonne gouvernance ; la lutte contre la pauvreté ; la priorité donnée aux problèmes sociaux de l'enseignement, la santé et la justice.

Une fois achevé et mis en oeuvre, un tel programme permettrait, à notre pays, une croissance réelle, rejoignant ainsi les pays avancés dans la lutte contre le sous-développement, à l'instar du Rwanda. La période de transition constitua un laboratoire pour son lancement ;
le début des réformes devait être parachevé par un régime civil élu démocratiquement.

Les dirigeants de l'époque n'étaient pas intéressés par le pouvoir mais mus par des objectifs patriotiques :

remettre le pays sur la voie de la démocratie et du développement.

Malheureusement, le pouvoir civil s'est, assez rapidement et de façon insidieuse, écarté des objectifs de ce programme, d'où une seconde intervention, toujours dirigée par mon ami, afin de rectifier le cap. Cette fois, il n'y avait pas d'autres solutions que d'y aller soi-même.
Les débuts furent éloquents et prometteurs : beaucoup de progrès furent réalisés, une réelle adhésion populaire s'en est suivie, l'euphorie s'est emparée des populations qui commençaient à sentir le vent du changement. Joie, hélas, de courte durée : insensibles au changement et privilégiant l'intérêt personnel à l'intérêt général, les forces obscures sont passées par-là et ont abouti à un virage à 180 degrés. Abandon des idéaux de lutte contre la gabegie, émergence de nouveaux riches sur le dos de l'État, restriction des libertés démocratiques, installation d'un régime personnel, résurgence du tribalisme, du régionalisme et, même, du communautarisme, devant la faiblesse de l'État.

C'est avec beaucoup d'amertume que j'ai suivi ce changement de cap, en spectateur impuissant devant les forces du mal qui ont encerclé mon ami et l'ont pris en otage, beaucoup plus puissantes que mon pouvoir de persuasion sur lui.
 

Même en matière de santé, ma compétence, les conseils n'étaient pas suivis, malgré mon expérience et mon expertise. Ceci explique, en partie, les erreurs stratégiques commises, à l'origine de la situation délétère que vit notre système de santé. Voilà pourquoi j'ai décidé de m'éloigner. Comme disait Jean-Pierre Chevènement, " un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne ". Incapable de me taire et ne me satisfaisant pas du rôle de figurant, j'ai préféré partir. J'ai donc postulé pour un poste international à l'OMS, gérant un programme continental de quarante-trois pays, basé à Ouagadougou. À ma connaissance, très peu de responsables ont démissionné en Mauritanie - de mémoire, un ou deux cas, dans notre histoire - j'aurai pu faire profil bas, me taire, profiter de ma situation de proximité, réelle, avec le Président, qui m'aurait permis de me " sucrer " tranquillement et compter parmi les centaines de laudateurs rapaces.

Mais ma personnalité et mon éducation s'y sont heureusement opposées.
Je suis rentré au pays, l'OMS ne m'ayant pas permis de continuer d'exercer ma profession d ophtalmologiste, tout en occupant un poste stratégique.
L'insistance de mon père, âgé et fragile, à rester auprès de lui a fini de me convaincre. À mon retour, en 2016, la situation du pays m'a parue catastrophique : crise politique, pouvoir et
opposition ne pouvant s'entendre, scission au sein de la majorité ; crise économique,
endettement important, augmentation des prix des denrées de première nécessité, paupérisation du citoyen, raréfaction des ressources de l'État ; crise sociale, généralisation de l'injustice, caractérisée par le regroupement permanent de contestataires devant le palais présidentiel ; crise communautaire, enfin, voire identitaire. Une telle situation ne pouvait laisser un citoyen nationaliste indifférent.

Libéré de mes obligations militaires et du devoir de réserve, je me suis donc engagé dans la formation politique qui correspondait le mieux à mes idéaux, sans aucun regard à la facilité qui m'aurait probablement fait " atterrir à l'UPR ", comme vous le dites, mais simplement attaché à mes convictions.
 

- On vous a choisi pour Boghé, fief, tout d'abord, de l'UFP ; bastion, ensuite, des généraux et autre caciques de l'UPR. Quelles sont donc les chances de Tawassoul, dans cette
circonscription ? Quelle appréciation vous faites-vous des querelles de tendances qui ont miné l'UPR, lors de son implantation, puis des investitures de ses candidats ?


- L'échiquier politique du département de Boghé n'est plus ce qu'il fut. Il s'est radicalement transformé : la floraison de candidatures et de partis, couplée aux tendances au sein d'une même formation, et la transhumance des acteurs politiques rendent difficile l'analyse objective de cette cacophonie. Tout ce que l'on peut constater, sans nous immiscer dans les affaires internes des partis, notamment celui du pouvoir, et ayant été plusieurs fois sur le terrain à la rencontre des populations, c'est que le choix des candidats, basé sur des critères très partiaux où se mêlent la proximité parentale et le copinage, au détriment de la compétence et de la représentativité, ne correspond pas aux attentes des citoyens. Je pense que cette situation constitue une faiblesse avérée du parti au pouvoir et une opportunité, pour les partis d'opposition qui ont tendance, pour une fois, à se regrouper. Le deuxième tour risque de réserver bien des surprises.

 

- Comment comptez-vous exploiter les divergences du parti au pouvoir pour remporter la victoire ?

- Il est de bonne guerre d'utiliser les faiblesses des adversaires, comme en tout combat. En bon officier supérieur rompu à la stratégie militaire, je ne manquerai pas d'en faire usage pour remporter la victoire. C'est tout ce que je peux vous dire pour le moment.
 

- Quels sont, à votre avis, les enjeux des prochaines consultations électorales?

- Les élections prochaines seront les plus difficiles de l'histoire de notre pays.
Il y a, d'abord, le contexte général : elles surviennent alors que le pays a vécu l'une des pires sècheresses qui a décimé le cheptel et appauvri une immense partie de la population, sans aucune réaction significative des autorités, les esprits étant au sauvetage du reste du patrimoine. Il y a, ensuite, le contexte climatique, en pleine période de pluies et de cultures ; puis le contexte politique, avec la participation de quelques cent quatre formations politiques et des dizaines de listes candidates par département ; enfin la panoplie et la diversité des candidatures, de niveau intellectuel mais, surtout, de motivation, extrêmement variable, ce qui ne manquera pas d'avoir une répercussion sur la composition de la représentation nationale.

Ajoutons à ce tableau, le contexte dans lequel se dérouleront ces scrutins pilotés par une CENI non consensuelle, avec une frange importante écartée, CENI mal préparée, obéissant au doigt et à l'oeil au ministère de l'Intérieur. Autant dire qu'il sera difficile d'établir un pronostic exact.
- Pour aller aux élections du 1e Septembre prochain, l'opposition a scellé, en plus de ses accords au sein du FNDU, une Alliance Électorale de l'Opposition Démocratique (AEOD).
 

Pensez-vous qu'elle pourra réellement peser lors de ces élections ? Aurait-elle des chances de gagner l'alternance en 2019 ?

- L'AEOD constitue une nouvelle donne qui va permettre de mutualiser les forces de l'opposition démocratique. J'en suis convaincu : elle pèsera
significativement sur les résultats de ces élections.
À elle de saisir l'occasion de mieux s'organiser et de se regrouper, surtout au deuxième tour, afin de barrer la route aux partis de la mouvance présidentielle.
Comme je l'ai dit, cette élection nous réservera bien des surprises.
Quant au pronostic sur la présidentielle de 2019, je ne m'aventurerai pas à donner un avis sur les chances d'une alternance. Les incertitudes liées aux résultats aux législatives prochaines, ainsi qu'à l'attitude qu'adoptera le président sortant, sont autant d'éléments qui rendent les prévisions aléatoires devant une situation si confuse.

- La question du troisième mandat pour l'actuel président de la République ne finit pas d'alimenter le débat politique. Il y a deux semaines, le porte-parole du gouvernement - encore lui, diront certains - en a rajouté une couche. Il lui paraît hors de question que l'actuel pouvoir change de main en 2019, en dépit de ce que dit la Constitution, en son article 26, et les déclarations répétées du locataire du Palais gris. Que vous inspire ce débat ? N'étaitil pas clos par l'intéressé lui-même ?

- La question du troisième mandat est fixée par la Constitution et le débat à son sujet est clos.
L'intéressé lui-même s'est, à plusieurs reprises, prononcé sur la question, quoique le doute, persistant chez certains, est alimenté par le paradoxe entre ces déclarations et la réalité. Rien n'est fait pour une transmission du pouvoir dans la sérénité, en toute transparence et impartialité. Ce dont a besoin le peuple mauritanien, c'est de choisir librement ses dirigeants ; des élections transparentes et démocratiques, avec la participation de tous les Mauritaniens, sans aucune distinction. Cette assurance incombe au Président sortant. Toute autre attitude sèmera le doute, entre la probabilité d'une alternance et la possibilité d'un troisième mandat.
 

- Pour ne pas disparaître de l'arène politique, presque tous les partis politiques, grands et petits, voire " cartables ", ont décidé de participer aux élections. Dans certaines circonscriptions, on parle d'une trentaine voire plus d'une quarantaine de listes candidates. Que pensez-vous de cette situation ? Fortement contestée par l'opposition dite radicale, la CENI vous semble-t-elle capable de relever le
défi de l'organisation ?


- Je pense que, dans les faits, seule une dizaine de partis politiques peuvent se prévaloir d'une existence réelle. Nous assistons à l'émergence d'une multitude de formations politiques, avec des
vocations et des motivations diverses, la majorité considérant leur organisation comme un vulgaire moyen de gagner de l'argent. Dans un marché lucratif où l'on négocie la tête de liste au million près, l'activité des formations politiques traditionnelles et le déroulement de l'élection risquent d'être compromis.
Quant à la CENI, elle part avec un lourd handicap.

Elle n'est pas issue d'une démarche consensuelle, incluant l'ensemble de la classe politique, une frange importante de l'opposition n'a pas été associée au processus électoral. Ses récentes tergiversations et ses démêlées, avec le ministère de l'Intérieur et la Cour suprême, n'inspirent pas confiance et dénotent un manque de professionnalisme inquiétant. Enfin, l'énormité et, surtout, la complexité de la tâche, avec une multiplicité des candidatures jamais constatée, lors des élections précédentes, risquent de lui faire essuyer un sérieux revers.
 

- Il y a quelques mois, des " négociations secrètes " avec le pouvoir, initiées par Tawassoul, en vue d'organiser un dialogue avec le FNDU, ont fuité dans la presse. L'UPR a fait porter la responsabilité de ces révélations à votre parti. Que vous inspire cet épisode ?
Pensez-vous que le dialogue est encore possible entre les deux parties, avant la prochaine présidentielle ?


- Je pense que le principe des négociations est, en soi, une bonne chose, surtout quand il s'agit deproblèmes d'intérêt national. Notre parti est toujours ouvert aux contacts et négociations avec tousles acteurs politiques, majorité incluse, en vue de trouver une solution aux nombreux défis qui se posent : c'est une de ses lignes directrices.
Concernant la possibilité d'ouvrir un dialogue avant les élections de 2019, je pense qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire, cela serait dans l'intérêt du processus et de sa crédibilité, mais je reste sceptique. D abord, en me référant aux déclarations du Président qui écarte tout nouveau dialogue, prétextant qu'on ne peut être en permanence en train de se concerter ; ensuite à l'expérience qui nous a prouvé combien le pouvoir est très peu enclin aux discussions, surtout avec l'opposition.

- Lors des prochaines élections, les partis de la majorité présidentielle vanteront les réalisations de leur mentor, le président de la République : lutte contre la gabegie, infrastructures de base, sécurité, organisation de sommets (Ligue arabe et de l'UA, entre autres).

Quelle réplique l'opposition peut-elle apporter à ce bilan ?

- Il faut reconnaitre que lors du premier mandat, beaucoup de choses ont été réalisées, et des progrès obtenus, dans le domaine des infrastructures, même si l'on note des erreurs, sur le plan des stratégies, de la planification et, surtout, dans la hiérarchisation des priorités. Beaucoup d'amateurisme et d'improvisation font que nous naviguons à vue. Mal conçus et élaborés dans la précipitation, les projets n'ont que trop rarement atteint leur objectifs, sans impact visible sur la vie quotidienne des populations.
Quant au second mandat que je qualifierai de mandat de la politique politicienne, il a inauguré le changement de cap. Au lieu de le consacrer au raffermissement des acquis du premier et à l'aboutissement des projets entamés ainsi qu'aux grands défis restés en leur état, catastrophique, je parle de l'enseignement, de la santé et de la justice, il fut uniquement consacré à la politique, avec un dialogue non inclusif et le lancement de réformes constitutionnelles. Que d'énergies, de moyens logistiques et financiers gaspillés, lors du referendum sur la Constitution ! Il aurait été plus judicieux d'épargner, à l'État et aux citoyens, des dépenses inutiles pour un résultat si décevant.

Surtout quand on se rappelle que l'initiative de ce referendum n'a pas été prise par les conclusions du dialogue, mais suite à un discours prononcé, par le chef de l'État, à Néma, en Mai, en droite ligne des régimes anti-démocratiques où les dirigeants prenaient les " bonnes " décisions, à la place du peuple " inculte " et crédule, censé les appliquer les yeux fermés.

La situation de 2016 que j'ai évoquée tantôt s'est très sensiblement détériorée, sur le plan économique.
Et ce qui frappe, en premier lieu, c'est la dégradation des conditions de vie des citoyens : extrême pauvreté, précarité, difficultés du quotidien qui touchent même la couche moyenne, les fonctionnaires, les cadres, toute la population empêtrée dans des problèmes de survie, sans plus savoir à quel saint se vouer, et ce ne sont pas les déclarations du ministre des Finances qui se vante d'un taux de croissance important - ce qui reste à démontrer - qui fournira une réponse à leur innombrables défis.

Mais ce qui est le plus inquiétant, c'est la situation d'endettement du pays qui frôle les 100%, alors que nous avions engrangé des ressources énormes, liées à l'augmentation des prix des métaux. Il faut aussi noter la situation catastrophique
de la jeunesse, confronté à un chômage sans précédent. La fracture sociale s'est élargie, les contestations liées à l'injustice persistante se sont multipliées, le problème de l'unité nationale n'a pas trouvé de traitement de fond ; s'y ajoute celui de la cohésion sociale, chaque caste voulant avoir
une représentation autonome… Tout ceci sous l'oeil incrédule de l'État, censé défendre l'idée nationale et, la négligeant, a perdu toute crédibilité.
Le tableau est des plus sombres. Le président élu en 2019 sera confronté à une tâche herculéenne et des défis énormes.
 

- Que vous inspire la grève de vos collègues médecins ?

- Elle a duré presque deux mois, avec des répercussions dramatiques sur la situation sanitaire de la population. Je trouve qu'une bonne volonté des pouvoirs publics aurait pu éviter d'en arriver là et j'ai moi-même lancé un appel pour une reprise des négociations. L'exercice de la médecine, dans notre pays, est très difficile. Le médecin vit dans un environnement social des plus ambigus. Pour lui permettre de remplir sa noble tâche et sauvegarder la vie des patients, il est impératif qu'il soit dans des conditions de vie acceptables. Imaginez un réanimateur, un chirurgien payé trois fois rien, face à un malade en détresse, mais avec l'esprit ailleurs : comment arrondir les fins de mois, payer la facture d'électricité... Il faut revoir les traitements et la prise en charge des médecins, bien sûr en tenant compte des possibilités de l'État.

Cela doit être une de ses priorités. Le deuxième volet de leurs revendications a trait à leurs conditions de travail, surtout aux urgences. Les médecins exigent des médicaments et du matériel médical bien adapté à ce service essentiel. En fait, les autorités préfèrent acheter des scanners que de doter les urgences de tensiomètre, thermomètre, électrocardiogramme, défibrillateur, etc. Mes collègues ne supportent plus d'assister à la perte des vies, faute de médicaments et de petit matériel d'urgence. Le troisième volet de leurs revendications légitimes en découle : il concerne l'implication directe des médecins, en lieu et place d'administrateurs véreux, dans le choix des stratégies et des équipements. Cela aurait pu éviter bien des erreurs.

 

PROPOS RECUEILLIS PAR DALAY LAM

source lecalame.info

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