Selon l'ex-Premier ministre mauritanien Sidi Mohamed Ould Boubacar, « l’urgence, c’est de redresser l’économie qui est en pleine crise ».
Toute cette semaine, RFI se met à l'heure de la présidentielle en Mauritanie... et donne la parole aux différents candidats en course. Nous ouvrons cette série d'interviews avec, ce lundi matin, l'ancien Premier ministre Sidi Mohamed Ould Boubacar. Un candidat indépendant qui a obtenu le soutien du parti islamiste Tawassoul.
Rfi : Sidi Mohamed Ould Boubacar, quelle est, selon vous, l’urgence pour la Mauritanie, aujourd’hui ?
Sidi Mohamed Ould Boubacar : L’urgence pour la Mauritanie, aujourd’hui, c’est de redresser son économie, qui est en pleine crise. C’est de renforcer son unité nationale, qui a beaucoup souffert au cours des dernières années. C’est de lutter contre la pauvreté et les inégalités. Mon engagement contribue et contribuera à ressusciter l’espoir d’un avenir meilleur pour notre pays.
Quelles seront vos actions concrètes, prioritaires, si vous êtes élu ?
La jeunesse sera une priorité du quinquennat, si les Mauritaniens m’accordent leur confiance. Nos jeunes, aujourd’hui, se sentent victimes d’une exclusion multiforme et notre jeunesse est confrontée à des difficultés qui conduisent au désespoir. Beaucoup trop de jeunes empruntent des chemins dangereux qui mènent à l’immigration, et qui peut-être, parfois, peuvent conduire à l’extrémisme violent. Donc tout cela est le produit d’une exclusion de la jeunesse des politiques publiques.
Concrètement, quelle est la politique que vous proposez de mettre en œuvre pour ces jeunes ?
Je propose d’organiser un grand processus de consultation. Parce que, d’abord, il faut consulter les jeunes. Il ne faut pas faire la politique à leur place. Il faut les consulter. Voir ce dont ils souffrent, voir leurs priorités et en tenir compte. Et ensuite, mettre en place des dispositifs spécifiques pour promouvoir l’emploi des jeunes, à travers notamment des partenariats publics privés, mais aussi à travers une action directe des pouvoirs publics visant à créer des emplois au niveau des infrastructures, au niveau des bases productives.
Quels types d’actions directes ?
Par exemple, je préconise de créer un fonds de 6 milliards d’ouguiyas [environ 146 millions d'euros, NDLR] par an, financé en partie grâce aux revenus des industries extractives pour soutenir l’entrepreneuriat des jeunes. Ce fonds permettra de fédérer les efforts du secteur privé et public, en faveur de l’appui des initiatives d’auto-emplois portées par des jeunes et de renforcer leur employabilité.
Est-ce que la sécurité est une question qui vous préoccupe ? Est-ce que cela reste une thématique centrale pour le pays, selon vous ?
Absolument. Je pense que la sécurité dans notre région est une priorité. Nous pensons qu’il ne peut pas y avoir de solution strictement nationale pour lutter contre l’insécurité. Mais cela, également, nécessite le développement des capacités opérationnelles et de projection de notre armée dans le domaine aérien, dans la mission de surveillance et d’appui au sol. Je pense que des efforts doivent être faits dans ce domaine.
Comment est-ce que vous évaluez vos chances face à un candidat du pouvoir, qui bénéficie de l’appui de plusieurs ministres et du soutien du chef de l’État sortant ?
Je voudrais dire d’abord que, non seulement il bénéficie de ce soutien, mais il bénéficie d’un processus qui a été mené de manière unilatérale et au mépris du dialogue entre l’opposition et le gouvernement et entre la Céni et les candidats. Ce processus unilatéral a connu de nombreuses déficiences, dont le fait que la Céni elle-même, qui est censée être une structure indépendante, est dans une écrasante majorité composée de personnes qui soutiennent les candidats du pouvoir.
Ensuite, ce processus a pâti du fait que le gouvernement a refusé d’inviter les observateurs internationaux, qui constituent jusqu’à présent le gage le plus important de la transparence et de la neutralité de ce processus.
Tout cela fait que le processus est vicié. Cependant, je viens d’une tournée qui m’a mené à Nima, Aïoun, Kiffa, Aleg, Boutilimit, Ouadane. Je me suis rendu compte de façon concrète que des milliers de Mauritaniens que j’ai rencontrés aspirent au changement et l’ont dit clairement. Donc, je pense que les résultats de ces élections vont être une surprise. Je pense que les Mauritaniens vont exprimer leur désapprobation de la manière dont la politique en Mauritanie est conduite et dont le pays est conduit jusqu’à présent.
Qu’est-ce qui fonde, selon vous, cette volonté de changement des Mauritaniens ?
C’est la pauvreté, qui a atteint des proportions énormes dans ce pays au cours des dernières années. C’est l’absence de démocratie, l’absence de libertés. C’est la façon dont le pays et l’économie du pays sont gérés. Tous les Mauritaniens ont aujourd’hui de réels problèmes. Ce qui leur est proposé, c’est simplement la reproduction du système et la poursuite de cette politique-là. Cela, ils n’en veulent plus.
Vous pensez proposer une alternative par rapport à ce système ?
Oui, je pense proposer une alternative crédible. Parce que, je sais que, si des politiques publiques appropriées sont mises en œuvre, notre pays est capable de sortir de la crise. Je sais que notre pays a besoin de stabilité et cette stabilité ne peut être obtenue que s’il y a un changement.
L’opposition part divisée à ce scrutin. Plusieurs personnalités de cette opposition ont rallié le candidat Ghazouani. Est-ce que cela n’affaiblit pas finalement le camp que vous représentez, le camp de l’opposition ?
Je pense que le camp de l’opposition est aujourd’hui plus fort que jamais. En l’absence de fraude, avec les représentations de tous les candidats, partout, dans tous les bureaux de vote et en ratissant large, les candidats de l’opposition viendront à bout du candidat du régime. Je pense qu’il n’est pas exclu qu’un candidat de l’opposition passe au premier tour. Si un candidat de l’opposition ne passe pas au premier tour, il est bien évident qu’un deuxième tour est absolument inévitable.
Par Laurent Correau