Le Calame : Les Mauritaniens sont appelés aux urnes, le 1er Septembre prochain, sans consensus, hélas, entre la majorité dite présidentielle et l’opposition dite « radicale » qui a, pourtant, accepté de participer aux joutes. Comment l’APP appréhende-t-elle ces échéances ? Que pense-t-elle de la position du FNDU et du RFD ?
Ladji Traoré : Je vous remercie et je remercie la direction du Calame, journal fondé par feu mon cher ami Habib ould Mahfoudh, Paix à son âme. Un ami et frère que j’ai beaucoup aimé, continue à admirer et dont je recommande la lecture des mémoires, publiées par les éditions Karthala. Le contexte de ces élections est très sensible, j’allais dire volatile, en raison des nombreuses divergences au sein de la classe politique, y compris au sein des partis et des groupes de partis. Je suis tenté de parler d’une situation très volatile, au vu la gravité de la crise multidimensionnelle que traverse notre pays, la sous-région et, même, la scène internationale. Crise économique, avec, notamment, l’effondrement des prix des matières premières et des produits halieutiques ; crise alimentaire, touchant les êtres humains et leur cheptel, conséquences de la mauvaise pluviométrie de l’an dernier, ainsi que notre parti en avait d’ailleurs immédiatement signalé les dangers, dans une déclaration rendue publique au mois d’Octobre 2017 ; enfin, crise politique, en cours depuis les événements dits du « Printemps arabe », devenu réelle catastrophe, pour tous les peuples arabes et musulmans du Monde.
La date et l’organisation des futures élections, programmées pour le mois de Septembre, posent d’énormes problèmes pour les acteurs politiques, car plusieurs de ses conditions essentielles à leur régularité ne sont pas remplies. Il est en effet inconcevable d’engager une campagne électorale en pleine saison d’hivernage, quand les populations sont engagées dans les travaux agricoles, base même de la vie de l’écrasante majorité de nos masses laborieuses, tant rurales qu’urbaines. Comme dit le philosophe romain, « primo vivere, deinde philosophari », autrement dit, vivre d’abord, avant se livrer à quelque spéculation, politique ou philosophique, que ce soit. Il convient donc de se préoccuper, d’abord, des priorités des électeurs.
Plusieurs questions fondamentales font, en outre, l’unanimité, aujourd’hui, au sein de la classe politique. Il s’agit de l’inadéquation du calendrier électoral, très mal choisi, et, surtout, de celle du fichier électoral, base pourtant de toute élection démocratique, qui ne correspond pas à la réalité du corps électoral, en majorité non enrôlé, compte-tenu du système de recensement exclusif en vigueur.
Au lieu de lancer une campagne du RAVEL dont la population n’est même pas suffisamment informée, il conviendrait de revoir, de fond en comble, le calendrier électoral, procéder à un recensement démographique général de la population, pour disposer de données aptes à établir un fichier électoral actualisé et crédible des Mauritaniens, tant de l’intérieur que de l’extérieur, avant d’entamer la série des élections municipales, régionales, législatives et présidentielle, dans un intervalle d’une année.
Quant à la participation du RFD, du FNDU et de tous les acteurs politiques, l’Alliance Populaire Progressiste (APP) a toujours sincèrement appelé, de ses vœux, un vote inclusif, condition d’une participation de tout notre peuple à la gestion de son destin.
- Avec cette participation élargie, la compétition sera âpre entre les prétendants. Comment l’APP s’y prépare-t-elle ? Cela fait bien longtemps qu’on n’a pas entendu le président Messaoud. Dirigera-t-il la liste nationale du parti ?
- La campagne prochaine sera certainement une des plus animées, depuis l’avènement du processus démocratique dans notre pays. APP souhaite vivement l’instauration d’une démocratie véritable, apaisée, fondée sur l’expression de la volonté et les intérêts de notre peuple multinational et pluriculturel : notre parti prendra donc sa part à ces échéances, avec réalisme et ouverture, en espérant que les institutions et la gouvernance qui en résulteront décideront de mesures enfin adéquates, procédant aux réformes radicales, économiques, culturelles et sociales attendues par l’écrasante majorité de notre peuple, dont la liquidation de l’esclavage et de ses séquelles, la mise en valeur des nombreuses ressources naturelles nationales, la réforme sérieuse du système éducatif, avec la réintroduction des langues nationales pulaar, sooninké et wolof, une véritable formation professionnelle et la mise en œuvre d’une politique sanitaire qui réponde aux besoins de l’ensemble des mauritaniens.
À cette occasion encore, l’Alliance Populaire Progressiste diffusera, comme d’habitude, son programme hautement patriotique, avec toute la sérénité et la fermeté requises. Quant à la place personnelle du président Messaoud ould Boulkheïr, dans les futures échéances électorales, les instances nationales du parti en conviendront très prochainement, comme les places réservées aux jeunes et aux femmes.
- APP serait-elle disposée à nouer des alliances électorales avec, par exemple, les partis du FNDU, le RFD ou El Wiam ?
- APP est et restera un parti de dialogue politique et d’ouverture. Dans le contexte actuel, il est en négociation avec des partis qui ont pris part au dernier dialogue national et reste également ouvert, comme toujours, à des coalitions avec des groupes et des personnalités politiques de sensibilités différentes qui acceptent un minimum de consensus, sur les questions politiques essentielles et vitales pour le peuple mauritanien.
- Nombre de partis engagés se plaignent du délai qui leur paraît très court. Des rumeurs ont même fait entendre que les partis dialoguistes ont demandé le report. Qu’en est-il ? Y êtes-vous favorable ?
- Compte tenu de l’importance des futures échéances électorales, l’APP a demandé, comme tant d’autres partis, de revoir le calendrier électoral, pour une meilleure organisation de la série d’élections vitales à venir.
- Pour gérer ces élections, une CENI a été mise en place. Elle comprend les partis de la majorité présidentielle et ceux de l’opposition dialoguiste. Le FNDU qui avait réclamé, en vain, des places en son sein et l’institution de l’opposition démocratique, la trouve « népotique » et « illégale », doutant de son « indépendance ». Votre réaction ?
- La CENI actuelle est politique. APP, comme les autres partis ayant participé au dialogue de 2016, œuvrant, en son temps, pour qu’il soit le plus inclusif possible, souhaitait que le FNDU y participe, en tant que groupe de partis d’opposition censés prendre part aux futures élections. Nous lui avons demandé, expressément et sans aucun risque d’être démenti, de venir prendre des postes de responsabilité, au sein de l’actuelle CENI, mais en vain.
Les appréciations et les qualifications, dans le contexte actuel, sont parfois très extrêmes, de mon point de vue. Je reste néanmoins optimiste, quant aux résultats que l’actuelle équipe de la CENI réalisera, pour l’enracinement de la démocratie dans notre pays, au profit de tous les acteurs politiques.
- Êtes-vous satisfait du déroulement du RAVEL, lancé le 29 Juin dernier ? Pensez-vous qu’il disposera de temps suffisant, pour le recensement intégral que la CENI se propose de réaliser ?
- La campagne du RAVEL qui vient de démarrer appelle quelques remarques personnelles. J’estime que la CENI doit obtenir tous les moyens et le temps de mener une vaste et active campagne de sensibilisation médiatique, et, surtout, tout entreprendre pour faire précéder cette campagne d’un recensement général et disposer ainsi, comme je l’ai dit tantôt, de données actualisées permettant, à tous les citoyens mauritaniens, de l’intérieur et de l’étranger, de prendre part effective à la série d’élections très importantes pour l’avenir même de la démocratie dans notre pays.
- Qu’avez-vous retenu du sommet de l’UA qui vient de se dérouler à Nouakchott ?
- Le peuple mauritanien et ses dirigeants ont organisé un digne accueil à leurs hôtes. J’ai personnellement été sensible aux recommandations relatives à une question politique essentielle : la recherche d’une solution pacifique et urgente, au sérieux problème du Sahara occidental. Il faut sortir nos frères d’une grave et douloureuse crise qui n’a que trop duré, une sortie, pacifique et consensuelle, reste toujours possible et notre pays peut y jouer un rôle essentiel. Autre question symbolique, l’inauguration d’une grande avenue dédiée à Nelson Rohilala Mandela. Cela m’a paru très opportun, comme pour d’autres compatriotes avec lesquels nous avions fondé, dans les années 80, en République Islamique de Mauritanie, un comité pour sa libération.
- La Mauritanie profonde vit une sécheresse terrible qui aura entraîné morts d’hommes et de beaucoup d’animaux. Que pensez-vous de l’action du gouvernement à juguler ces conséquences dramatiques ?
- Cette famine très grave, parfois très meurtrière, affecte beaucoup de régions de notre pays. Elle était prévisible et notre parti avait tiré la sonnette d’alarme en son temps, à la fin de l’hivernage dernier. Je ne cesse d’intervenir, au nom de la direction de notre parti, en demandant aux responsables régionaux et locaux d’APP d’interpeller les autorités, signaler des cas graves de famine, comme ce fut le cas dans le département de Barkéol, en Assaba. Nous regrettons qu’en matière de secours alimentaires d’urgence, notre pays a enregistré un grave recul, avec la liquidation de diverses institutions de secours, comme la SONIMEX, et la marginalisation du CSA, fondées, respectivement, en 1964 et 1974, pour faire face, entre autres, à des urgences comme celle que nous vivons actuellement.
Nous avons surtout insisté pour que la distribution des aliments destinés aux populations et au bétail soit effectuée dans l’équité et la transparence, partout dans le pays, sans aucune manœuvre clientéliste ou mercantile, a contrario de ce à quoi nous avons toujours assisté.
- Quelle lecture vous faites de l’affaire dite « Bouamatou et consorts » et de la détention de l’ex- sénateur Ould Ghadda ?
- L’affaire « Bouamatou, sénateur Ould Ghadda et autres » est avant tout politique. Je souhaiterai, pour une bonne image de notre pays, que l’aspect politique soit traité comme tel et que la justice puisse, elle, accomplir son travail en toute indépendance, suivant le rôle que lui réserve notre Constitution.
Propos recueillis par Dalay Lam
source lecalame.info