La sortie médiatique du ministre des Finances Mohamed Lemine Ould Dhehby, et du Gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM), Abdel Aziz Ould Dahi, le 27 août 2019, devait-elle faire disparaître la peur qu’il plane sur le milieu des affaires mauritanien et qui inquiète même le citoyen lambda ? Si l’Etat lève des fonds à l’intérieur, cela veut dire qu’il est en faillite, raisonne le Mauritanien moyen qui apprend, par voie de presse que la BCM a procédé, en l’espace d’une semaine, à l’émission de 13 milliards d’ouguiyas en bons du Trésor.
L’Etat ne peut pas payer les salaires, s’est-on alarmé, oubliant que cette pratique est courante pour faire face à des obligations du moment ou pour réguler le marché monétaire. La vérité, diront les premiers responsables du ministère des Finances et de la BCM, est que les bons du Trésor, ont pour objectif de «gérer le manque de concomitance entre l’entrée des recettes prévues par la Loi des finances, d’un côté, et de l’autre côté, les dépenses publiques au jour le jour, étant donné que ces dépenses ne peuvent être maîtrisées en raison des facteurs nombreux qui les impactent.»
Au cours du point de presse, le Gouverneur de la BCM a exprimé son «profond regret» de voir qu’on ne prend pas la peine de consulter les «chiffres officiels publiés par la BCM et accessibles par un simple clic». Pour couper court à la polémique, il a rappelé que toutes les données économiques et financières du pays sont rendues publiques dans un Rapport Annuel consultable sur le site électronique de la BCM depuis l’exercice 2005.
D’autre part, la BCM pousse vers la mise en œuvre par la Mauritanie du Système général de diffusion des données améliorées (SGDD-A) qui vise à améliorer la diffusion des données macroéconomiques officielles du pays sur une Page nationale récapitulative de données (PNRD) publiée sur le portail national de la Plateforme Open-data (ODP) qui est fournie par la BAD dans le cadre de son programme Autoroute de l’Information en Afrique.
La BCM fait également annuellement l’objet d’un audit de ses états financiers par un cabinet d’Audit international choisi obligatoirement parmi les plus grands bureaux d’audit du monde (KPMG). Son rapport d’audit est publié dans le rapport annuel de la BCM et sur son site électronique.
Ould Dahi a souligné que «des mesures d’amélioration de la gouvernance interne de la Banque ont été prises avec l’adoption d’un nouveau statut, qui permet la création d’un Comité d’audit indépendant des autorités de la BCM et prévoit l’envoi du Rapport annuel au Président de l’Assemblée nationale, en plus du Président de la République.»
Enfin, le Gouverneur de la banque centrale de Mauritanie a précisé que «dans l’optique où il y a un doute sur les informations publiées par la BCM, ce qui serait très dommage, il y a toujours la possibilité de s’assurer des informations sur le site du FMI pour en avoir le cœur net».
Comme preuve de la bonne santé économique et financière de la Mauritanie, le patron de la BCM a indiqué que le Programme convenu avec l’institution internationale a connu «trois revues successives (…) qui ont toutes été approuvées sans réserve par le Conseil d’Administration du FMI avec un respect de tous les critères», précisant que les rapports des différentes revues sont accessibles sur le site du Fonds.
En ce qui concerne les bons du Trésor, le Gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie dira que les banques commerciales n’en détiennent que moins de 11%, le reste revenant aux entreprises publiques. Il a rappelé qu’il faut distinguer entre bons du Trésor (outil de gestion de la trésorerie de l’Etat), les obligations du Trésor (considérés, plus ou moins, comme des emprunts au Trésor) et les bons BCM qui sont « des instruments de régulation de la politique monétaire, et notamment de la liquidité, donc de lutte contre l’inflation.» Concernant les deux premières catégories, le ministère des Finances, l’émetteur des bons et des obligations du Trésor, a chargé la BCM de leur gestion, depuis leur création le 20 juin 1994 par un décret conjoint entre le ministre des Finances et la Banque Centrale de Mauritanie (BCM). Bons du Trésor et bons BCM font l’objet d’appel d’offres hebdomadaire de la part de la BCM et du MF.
L’encours moyen annuel des bons du Trésor est passé de 8,2 milliards MRU en 2011 à 5,33 milliards MRU en 2018 et le taux d’intérêt de 7,92%, lors de la première émission, à moins de 5% en juillet 2019, atteignant un pic historique de 16,16% en 1998.
L’exploit des autorités financières est d’avoir réussi, au cours des dernières années, à inverser la tendance réduisant la part du secteur bancaire privé ramené de 80%, en 2011, à seulement 11% aujourd’hui, au profit des entreprises publiques.
L’avis d’experts indépendants
Mohamed Ould Mohamed El Hacen est un ancien de la BCM qu’il dit avoir intégrer en…1975 ! Sortant de l’université Paris-Dauphine, il travaille actuellement comme professeur d’économie à l’Université de Nouakchott et consultant, après avoir collaboré avec des cabinets de renommée comme Price Waterhouse Coopers et Mazars. Sans remettre en cause les chiffres de la BCM, concernant les réserves en devises (1,048 milliard USD) et les bons de Trésor, il trouve que l’analyse livrée à l’opinion publique sur la situation économique du pays «manque de rigueur», ne serait-ce que par son caractère fragmentaire.
D’ailleurs, précise-t-il, ces indicateurs sont sans importance s’ils ne sont pas mis en rapport avec d’autres tels que le PIB, la dette et la balance commerciale. D’ailleurs, affirme Ould Mohamed El Hacen, «c’est parce que je défends le nouveau pouvoir que je ne veux pas qu’on le rende responsable d’une situation économique qu’il a trouvée devant lui. Pourquoi Aziz n’a pas procédé à l’audit annoncé avant son départ ? Certes, on n’a plus d’emprise sur le passé mais cela aiderait à appréhender le présent et les perspectives économiques d’un quinquennat plombé par les décisions prises par Aziz avant son départ, comme pour mettre dans l’embarras un successeur qu’il a pourtant activement soutenu !»
Répondant à certaines appréciations du ministre des Finances, Ould Mohamed El Hacen rétorque qu’aucun Etat ne peut crier victoire quand il s’endette et que si le gouvernement a recours à l’emprunt intérieur, cela veut dire qu’à ce moment précis ses caisses sont vides pour faire face aux dépenses urgentes ! Il faut seulement s’assurer que les ressources attendues, sur le très court terme, sont en mesure de couvrir les dépenses et même de dégager un excédent.
Peut-être bien qu’on n’est pas en face d’un État failli, mais la réalité qui saute aux yeux est que le nouveau pouvoir a trouvé des caisses vides devant lui, laisse entendre cet expert dont les enregistrements font le buzz sur WhatsApp. Le seul fait de s’endetter, en émettant des bons de trésor prouve qu’il y a un manque d’argent, cela va de soi. Ou bien, pire, cherche-t-on, à réduire la liquidité sur le marché, phénomène connu, fait généralement pour empêcher les sociétés qui produisent de recourir au crédit auprès des banques primaires ?
Ould Mohamed El Hacen ne s’explique le penchant des autorités monétaires pour l’emprunt intérieur que par l’urgence (ce qui n’est pas un problème en soi) ou la raréfaction des ressources extérieures parce qu’avec une dette de 5 milliards d’USD (96% du PIB), la Mauritanie a presque atteint le seuil critique.
Reste que cette situation bien que sensible ne sort pas de l’ordinaire. «L’Etat est le seul agent économique qui peut dépenser ce qu’il n’a pas, car contrairement aux autres agents économiques (qui doivent provisionner/gager/hypothéquer des titres ou des biens meubles et immeubles), l’Etat se garantit par… son existence», écrit le professeur Ely Moustapha dans une tribune publiée le 29 août 2019.
mohamed sneiba
afrimag