Alors que les prix grimpaient chaque mois – ils grimpent toujours… –le premier de nos ministres a annoncé, dans sa déclaration de politique générale devant le Parlement, que l’inflation s’était établie à 1,5%, dans la période 2014-2017. Les applaudissements fusèrent de tous côtés de l’hémicycle. Il me revint alors en mémoire une très ancienne et plaisante histoire concernant Cléopâtre, la reine de l’Égypte pharaonique. Permettez-moi de vous la rapporter, en prévenant tout de suite qu’il ne s’agit pas d’établir une quelconque comparaison. Une plaisanterie, tout au plus.
Cléopâtre avait aménagé un simulacre de Sénat, habillant, de robes de sénateurs romains, quelques singes dressés pour la distraire et passer le temps. Recevant, un jour, Jules César, elle lui fit visiter la « Chambre haute » de ses « élus » bien particuliers. À l’arrivée du couple impérial, les singes prirent, en leur bel accoutrement, les places qui leur étaient réservées. L’un d’eux, apparemment le plus vieux et fort d’épais sourcils, monta sur la tribune, avec, en main, un semblant de parchemin. Puis, bras tendu, sourcils froncés, le voilà comme à déclamer discours. Tous les singes se lèvent et leurs applaudissements crépitent frénétiquement. Et d’accourir, en suivant, tour à tour au perchoir, pour y déployer cris et gestes, en guise de propositions. César se mit à rire, et encore rire, à gorge déployée. À défaut de César, serait-ce à la réalité des faits qu’il reviendrait aujourd’hui, de rire des estimations contemporaines de l’inflation en Mauritanie ?
Une proposition de calcul de l’inflation
Car l’actuel calcul officiellement pratiqué ne reflète pas le phénomène. La pondération des prix et la composition du panier de consommation de la ménagère sont plus que sujette à caution. L’indice national des prix à la consommation est loin de représenter la réalité. Les responsables au plus haut niveau se contredisent d’ailleurs : de la bouche la plus autorisée du Ministère des Finances, l’inflation serait de 3%. Le double de ce qu’avait annoncé son patron devant le Parlement. Une différence énorme, en valeur absolue. Un constat à toujours considérer, cependant, à partir de la loi que nous énoncions dans la première partie de notre dossier : le stock de monnaie doit être absolument et entièrement gagé par des réserves en devises ; sinon, c’est l’inflation.
Vous me direz que le calcul de nos gouvernants est partout pratiqué. Non, certains pays émergents d’Amérique Latine, comme l’Argentine, calculent autrement le taux d’inflation. Quant aux pays industrialisés, ils ont des moyens de contrôle des prix et des données beaucoup plus fiables que les nôtres. En Mauritanie, la masse monétaire s’est établie, en 2016, à 448,8 milliards de MRO, sans compter les dépôts à terme (source BCM). Permettez-moi ici de glisser une petite précision technique à l’adresse de ceux qui connaissent les agrégats monétaires : je n’ai considéré que M1. Quant aux réserves en devises, durant la même période, elles se chiffraient à 366,7 milliards de MRO (y compris les souscriptions du FMI et du FMA).
La différence – 82,1 milliards de MRO – représente la partie non couverte par l’or ou les réserves en devises. C’est cela, le financement inflationniste. Le taux d’inflation est donc de 18,3%, soit 82,1 milliards MRO sur les 448,8 milliards de la masse monétaire. On est, de fait, en pleine spirale hyper-inflationniste. Du point de vue de la rigueur monétaire, cela peut devenir dangereusement déstabilisateur. 18,3% représente le vrai taux d’inflation, suite à l’excèdent de monnaie en circulation, non gagée par les réserves de change. Affirmer que le taux d’inflation s’est établi, la même année, à 1,5 ou 3%, paraît une sorte de jeu à parier sur qui raconterait le plus invraisemblable.
Avant de terminer, je voudrai dire un mot sur la démonétisation, puisqu’elle est d’actualité. C’est un peu tôt pour tirer des conclusions, elle n’a que deux mois d’existence. Et l’opération elle-même ne comporte pas d’enjeu ; en tout cas, majeur. Le véritable problème consiste à instaurer confiance en notre nouvelle monnaie nationale ; ne pas décevoir, une fois de plus. Sur le plan externe, notamment par rapport au dollar et à l’euro, la situation de notre N.UM est, à tout le moins, mitigée. C’est surtout du côté des marchés que retentissent les cris d’alarme. Les prix grimpent chaque mois, voire chaque semaine. Que Dieu nous préserve de toute instabilité y compris économique !
Lehbib ould Berdid
Professeur, chercheur et analyste stratégiste
source lecalame.info