Je me souviens encore, comme si c’était d’hier, de sa voix grave, mesuré et paternelle, quand il nous surprenait à escalader le mur séparant les deux lycées, national et technique.
-« C’est ainsi que vous allez mener la nation ? » disait-il.
Il transmettait un message, qui n’avait besoin de nulle théorie pour se distiller dans les filles de l’esprit et les rouages de la pensée. Sa personne et sa personnalité, étaient modelées pour redresser, instruire et convaincre.
Nous saurons, plus tard, à un âge avancé, que cet homme humble et modeste ; ce géant de la pédagogie, cet architecte infatigable de la morale et du patriotisme, préparait un avenir sacré pour les générations d’un monde tiré du retard, qui fonçait naïvement vers des lendemains incertains, mouvementés et dangereux. Il y croyait, comme au jour de la résurrection.
Ses yeux toujours aux aguets, furetant dans le fonds des âmes encore puériles, ne voyaient ni le noir, ni le blanc, ni l’ethnie, ou la tribu ; mais la sacralité d’un Tout national, dont la partition ne pouvait être moins profane qu’un sacrilège.
L’hôte léger et peu encombrant est parti. Il a charrié beaucoup de valeurs dans son sillage, et n’a emporté de ce monde que très peu de choses.
Dans un ultime effort de la continuation d’une mission flasque et difficile et qui ne devait jamais se terminer, il entreprit de jeter les jalons de sa « Baraka », par la fondation de son école, qui ne pouvait porter moindre nom.
L’homme était né pour la reforme, l’éducation et le redressement d’un monde, qui avait besoin de l’être.
On entendait très peu de lui. Il n’aimait ni l’ostentation, ni le trop de présence encombrante.
Si un secret lui était particulier, ce devait être certainement un commerce « restreinte-ment » hermétique, avec sa conscience, supervisée directement par Celui, pour qui n’est caché.
Sa descente de ce train national, aux wagons multidimensionnels, et changeants, ne peut être un départ, rien qu’une pause. Les hommes comme Fall Thiérno, ne meurent pas, ils se reposent.
Ils sont des témoins de l’autre côté de ceux qui ont compris et de ceux qui ont refusé de comprendre. La leçon a été pourtant claire, scintillante et limpide.
Ces hommes-là, ne se coupent pas « totalement » du monde, ils sont quelque part, émerveillés par les fruits de leurs semences. Ne se reprochant qu’à eux-mêmes, d’avoir été, peut-être impuissants quelque part, à parachever un important quelque chose.
Repose en paix, Maitre. Nous prierons pour toi, le reste, restant de notre vie.
L’envoyé de Dieu (psl), a dit : « Quand le fils d’Adam meurt, il est coupé du monde, excepté de trois canaux : une charité continue, un fils croyant, qui prie pour son âme et un savoir qu’il aura diffusé pour la postérité. ». Vous avez allié les trois conditions.
Félicitations professeur.
Si les armes n’étaient interdites ici, je vous aurais ébranlé la terre par vingt et un coups de canon. Pas pour célébrer un départ, mais pour marquer une entrée, noble altruiste et digne, par des portes devenues de plus en plus inaccessibles.
Vous êtes venu dans le bien, vous avez vécu par le bien et vous avez terminé le trajet distribuant sagesse, morale, et tolérance sans jamais porter préjudice à personne.
La mort n’est pas un échec. Ce n’est qu’une simple mission terminée.
Il y-a ceux qui ne meurent jamais et ceux qui n’ont jamais existé.
Des hommes meurent pour vivre éternellement, et d’autres vivent pour se dissoudre dans l’oubli et l’indifférence.
Tout le monde s’en va. Mais les tickets d’embarquement ne sont pas les mêmes. Et les classes aussi.
Vous avez été l’un de ces énormes chaines, dont l’ombrage frais, agréable circonspect et soucieux, a mené à plus ou moins bon port les faibles roseaux que nous étions.
Dormez en paix, cher maitre. Dieu veille sur vos actes et parfait votre prochaine destination.
Puisse Dieu vous ressusciter avec les prophètes, les martyrs, les sages. Ceux qu’Il a choisis pour jouir de son éternel voisinage.
Inchallah.
Mohamed Hanefi. Koweït.