Dans son discours à la Nation, à l’occasion du 61èmeanniversaire de l’indépendance de notre pays, le président de la République a réitéré sa volonté de lutter contre la gabegie/corruption. Un sacré challenge du marabout-président dans la mesure où ce cancer est en train de devenir métastatique. La gabegie est devenue comme un sport national auquel se livrent presque tous les responsables mauritaniens, chacun veut être riche au plus vite et ne ménage aucun effort pour y arriver. Quitte à voler les biens de son pays et, partant, porter préjudice à ses concitoyens. Les signes ostentatoires sont perceptibles partout où l’on jette les yeux. Immeubles, villas et voitures de luxe, coûteux voyages intempestifs à l’étranger, faramineux hors du pays…
Le tout banalement sur le dos du pauvre contribuable mauritanien. Si la Mauritanie n’était pas riche, disent certains, elle se serait effondrée depuis bien longtemps. Avec ses richesses, elle aurait pu, comme la Libye de Kadhafi, assurer un minimum de prospérité à tous ses citoyens. C’est hélas loin d’être le cas. Pendant que certains crèvent de faim et tirent le diable par la queue, d’autres exhibent leur luxe insolent. On voit se creuser, du coup, un énorme fossé entre une Mauritanie trop riche et une Mauritanie de plus en plus pauvre. Le gâchis est énorme. Comment donc le président Ghazwani va-t-il soigner cette plaie béante ? Une simple volonté politique ne suffit pas. Son prédécesseur qui en avait fait son créneau a fini par s’y emmêler les pinceaux. Jusqu’à en devenir la victime.
Prendre le taureau par les cornes
Dans ses engagements électoraux, le président Ghazwani s’était engagé à lutter contre la gabegie. Il ne pouvait en faire autrement, tant la gestion de son ex-alter-ego était déballée sur la place publique. Certains, dont ceux-là même qui en ont profité, n’hésitaient pas de parler de « pillage » des ressources du pays : poisson, or, fer, foncier…Des « détournements à ciel ouvert », s’en émouvaient d’autres. Le rapport de la Commission d’enquête parlementaire (CEP) fondée en 2020 vint révéler aux Mauritaniens l’ampleur du désastre. Mais comment Ould Ghazwani aurait-il pu l’ignorer ? Quoi qu’il en fut, il s’engagea, après son élection, à poursuivre le noble combat que son désormais ex-ami avait prétendu entamer. Avec quels outils et pédagogie ? C’est la question que l’on peut se poser. Pour mener cette bataille, le président de la République doit faire preuve de fermeté ; d’audace même.
Faiblesses
La fondation de la CEP par l’Assemblée nationale avait soulevé un grand espoir chez les Mauritaniens de voir le Parlement retrouver son rôle de contrôle de l’action gouvernementale. Mais les lenteurs constatées dans la mise en œuvre des recommandations de cette commission qui avait épinglé plus d’une dizaine de responsables et le placement du seul ex-Président en préventive ont vite fait déchanter le pays. Avec l’amer sentiment que le dossier dit de « la décennie » tournait à un règlement de comptes entre anciens amis. La mauvaise gestion des deux dossiers de la Banque centrale – NBM et blanchiment d’agent révélé par un ex-conseiller du ministre de la Justice – la non-exécution des rapports de la Cour des comptes et l’absence sur le terrain de l’inspection de contrôle de l’État ont fait accroire aux Mauritaniens que ces affaires de gros sous sonnaient comme des pétards mouillés. Les affaires de la BCM traînent des pieds et les milliards concédés à des « privilégiés », en six mois de marchés de gré à gré n’incitent pas à l’optimisme...
Il s’y ajoute que le président de la République traîne un gouvernement trop mou dirigé par un chef « transparent », avec très peu de capacités d’initiative et de créativité. Faible taux d’absorption des investissements de nos partenaires techniques et financiers, lenteurs dans l’exécution des projets structurants du président de la République…Les services du ministère du Développement économique et des secteurs productifs ont révélé des insuffisances, le ministère du Pétrole avoue que son département manque de compétences…« En ce gouvernement », juge un opérateur économique, « à peine deux personnes sont en mesure de concevoir et défendre un projet important, les autres attendent toujours qu’on leur dicte ce qu’ils doivent faire ».
Autre tare du gouvernement, sa construction sur des bases tribalistes et régionalistes. Plus grave, le recyclage d’anciens responsables du régime d’Ould Abdel Aziz dont certains sont suspectés d’avoir été mêlés aux détournements des deniers publics. Une situation qui passe plus que difficilement aux yeux de l’opinion, et jusqu’au sein du principal parti de la majorité présidentielle dont certains cadres ruminent très mal leur attente, après leur soutien décidé à la candidature de Ghazwani.
Changer de comportements
Tout cela donne l’impression que rien n’a changé. La gabegie à ciel ouvert n’est peut-être plus de mise, mais elle demeure sous le boisseau et profite à un éventail beaucoup plus élargi : les experts en la matière ont vite fait de s’adapter. En Mauritanie, ne dit-on pas après tout changement qu’« il faut laisser passer le vent, on trouvera les moyens de le contourner » ? En se rendant chaque matin au bureau, les responsables mauritaniens pensent d’abord à ce qu’ils vont pouvoir glaner comme argent, plutôt qu’à ce qu’ils pourront rapporter à leur pays et à leurs concitoyens.
Conséquence sur les populations, la flambée continue des prix des produits vitaux. On peut certes en imputer la responsabilité au COVID mais l’incapacité du gouvernement à juguler ces augmentations n’en est pas moins notoire. Les mesures prises pour endiguer ce phénomène n’ont pas réussi à soulager la misère des maigres bourses et c’est presqu’au quotidien qu’on constate l’enchérissement du coût de la survie. On a même observé comme une espèce de quiproquo entre la ministre du Commerce et le porte-parole du gouvernement. La première reconnaissait que les prix ont atteint un niveau jamais connu dans le pays et le second affirmait que le prix du pain n’a pas augmenté. Or, il est passé de 80 à 100 UM, c’est un fait. Le gouvernement ne semble avoir aucune emprise sur le patronat, la fédération du commerce et celle des boulangers, même s’ils ont pris des mesures d’accompagnement pour le gouvernement, avec, par exemple, l’opération Ramadan.
Ce n’est pas seulement par l’utilisation d’un simple arsenal répressif que passe la lutte contre la gabegie, encore moins par un slogan agité en épouvantail pour endormir les populations. Dans ce pays, c’est bien connu, la complaisance, le clientélisme, le népotisme, et autres interventions et pressions se conjuguent à contrecarrer cette offensive. La dernière décennie l’a démontré. Il faut donc que le président Ghazwani s’octroie d’autres moyens que ceux déployés jusqu’ici. L’heureuse issue de cette véritable bataille passe par un changement radical dans nos rapports avec l’argent public. Dans un pays musulman, il est indigne de justifier le vol, en prétendant que « puiser dans les caisses de l’État n’est pas illicite ». Que chacun veuille s’enrichir est certes légitime ; mais pas quitte à vendre son âme, voire ses intimes ou ses proches. Comment donc extirper ce mal de notre société ?
En recourant à la grosse artillerie. Notre actuel président de la République doit en connaître les secrets. Mais il a besoin de l’appui des citoyens. La bonne gouvernance doit nous inciter à adopter un comportement citoyen responsable, du civisme en tout lieu, à plein temps. Dans nos services publics et privés, dans nos rues et ruelles, transports urbains et interurbains. Chacun et chacune de nous ont à donner le bon exemple à nos jeunes générations. Voilà le gros chantier que le président Ghazwani ouvre à quelques petites trois années de la fin de son mandat. Nous devons y apporter nos petites pierres pour bâtir un État juste et équitable. Lecalame.info
Dalay Lam