Le Calame : Les manœuvres électorales de 2018 et de 2019 viennent de commencer. Le climat vous paraît-il serein pour affronter ces échéances jugées capitales pour le pays ?
Cheikh Ould Jiddou : Les prochaines échéances électorales en Mauritanie qu’elles soient régionales, législatives, municipales (2018) ou encore présidentielles (2019) sont effectivement capitales mais aussi –et c’est le plus important- elle sont inéluctables si on veut renforcer l’Etat de droit et faire de la Mauritanie un Etat où les institutions règnent véritablement et non un bled perdu où continuent encore à s’affronter entre elles des communautés ethniques, des tribus guerrières et maraboutiques et des individualités politiquement insignifiantes et dépourvues de toute représentativité. C’est le premier rôle des partis politiques.
Pour répondre à votre question, un climat politique n’est jamais serein à la veille d’échéances électorales aussi déterminantes que celles qu’on s’apprête à traverser et surtout après toute cette période où la confiance entre Majorité et Opposition a manqué cruellement depuis 2009. Cela fait partie des règles du jeu mais ce manque de sérénité ne doit en aucun cas être interprété comme un signe négatif ou inquiétant. Bien au contraire, plus la scène politique s’agite, plus la démocratie se renforce. Que cette agitation soit motivée par un manque de confiance mutuelle ou par l’absence de concertation entre les différents acteurs.
Notre classe politique, de part et d’autre, nous a toujours habitués au tapage médiatique et aux déclarations incendiaires à la veille d’élections. Les armes sont aiguisées mais jamais dégainées. Cela n’a jamais réellement impacté sur le déroulement et l’issue de ces consultations électorales. Mais il contribue positivement à notre apprentissage continu de la démocratie amorcé depuis 1986 avec les premières élections municipales dans le pays.
Cela dit, il y a, certes, un minimum de consensus qu’il faut trouver pour que chacun puisse se justifier auprès de ses troupes et essayer de les mobiliser pour le grand jour.
Pensez-vous que les déclarations du président Aziz, venues clore les gesticulations autour d’un 3ème mandat, contribueraient tant soit peu, à apaiser les tensions politiques et à rassurer l’opposition « radicale » pour prendre part aux prochaines élections locales ?
Mettons-nous d’accord, pour commencer, sur la terminologie. Pour moi, il y a une Majorité qui est au pouvoir et il n’y a qu’une seule Opposition, celle que vous appelez aujourd’hui « radicale ». Le reste n’est qu’un « ni-ni » (n’appartient ni à ceux-ci, ni à ceux-là) venu chercher des opportunités quand Majorité et Opposition ont cessé de dialoguer à partir de 2009. Ce « ni-ni », qui se dit ne pas appartenir à la Majorité et qui n’a pas su combler le vide laissé par l’Opposition, disparaîtra dès que la confiance se rétablira entre les deux pôles. La nature reprend toujours le dessus.
Ceci étant dit, oui les dernières déclarations du président sont adressées vraisemblablement à l’Opposition pour qu’elle comprenne que le 3ème mandat, tant espéré et recherché par certaines individualités insignifiantes, n’est pas et ne sera jamais à l’ordre du jour. Cette Opposition qui a perdu malheureusement beaucoup de temps et dépensé trop d’énergie dans une hypothèse qu’elle aurait pu vite écarter ou attendre qu’elle soit clairement avérée.
Aujourd’hui que les dés sont définitivement jetés, nul doute ne devrait plus subsister dans l’esprit du plus « sceptique » de nos opposants. Il faut se tourner désormais vers l’avenir et ne plus se laisser distraire par l’insignifiance innée de certains individus qui sont à la recherche d’avantages qu’ils n’auraient pas autrement. Notre Histoire, récente et ancienne, en est remplie hélas !
Tant il est vrai que rien ne garantit à l’Opposition qu’elle remportera les élections régionales, législatives et municipales de cette année mais ce n’est pas une raison pour qu’elle n’y participe pas. Et si seuls les partis politiques certains de remporter une élection y participaient, nous n’aurions jamais eu d’élections multipartites.
A mon avis, les élections d’août ou de septembre de cette année constitueront le meilleur moyen pour l’Opposition de faire son « comeback politique » et de se préparer aux élections présidentielles de 2019. Le « ni-ni » devrait dès lors choisir son camp.
Les spéculations vont bon train quant au successeur éventuel du président Aziz, suspecté au passage de vouloir « garder la main haute » sur le pouvoir même après 2019. Que vous inspirent ces supputations mais aussi la redynamisation en cours de l’UPR ?
En Mauritanie, quand on veut garder l’esprit vif, on a intérêt à ne pas trop écouter les rumeurs et les spéculations. Le président Aziz soutiendra assurément le candidat de la Majorité aux élections de 2019. Cela est évident comme il est évident qu’il aura son mot à dire lors du choix de ce candidat. Mais il me semble que tout cela ne viole en rien la constitution et ne fausse en rien non plus le jeu démocratique. Et c’est l’essentiel pour moi et ça devrait l’être pour tous ceux qui s’intéressent à la vie politique de la cité et à la constitutionnalité de l’action de tout homme politique. Tant que la constitution est sauve, l’action est légale.
Vous dites que le président Aziz chercherait à « garder la main » sur le pouvoir après son départ de la présidence en 2019. Qui ne le chercherait pas ? Le pouvoir ne se refuse pas mais encore faut-il y accéder. S’il trouve le moyen constitutionnel de le faire et en passant par les urnes, qu’il le fasse !
Si j’étais lui, le seul moyen d’aboutir à cela, serait de construire un parti fort, déparasité, ouvert à tous, démocratique en son sein et politique dans sa démarche et dans sa façon de contribuer au débat public. Je crois que c’est cela que l’UPR cherche actuellement à devenir mais ce n’est pas gagné d’avance parce que les forces du mal en son sein sont puissantes. Comme dans tous les partis politiques en Mauritanie. Un tel parti remporterait haut la main les futures élections présidentielles et me permettrait en tant que président -du parti évidemment- d’influencer les choix et les stratégies mises en place par les hommes et les femmes issues de mon parti et de ma Majorité. L’actuelle constitution n’interdit rien de cela. Seules les urnes peuvent s’y opposer.
Quelle évaluation faites-vous de cette Opposition ? Doit-elle participer aux prochaines élections ? Pensez-vous comme certains que le boycott l’a affaiblie ?
De mon point de vue, notre Opposition a assez fait la morte et elle gagnerait à renouer avec les urnes et à affronter la majorité dans toutes les sphères où il sera question du devenir de la Mauritanie. Une assemblée nationale où les lois de la République se font voter, des conseils régionaux où le développement d’une Wilaya se discute et des conseils municipaux où les priorités communales sont décidées ne doivent pas être laissés à une seule et même équipe qui ne représente qu’un seul pôle politique. Aussi, notre jeune démocratie en souffrira-t-elle inévitablement.
Il est donc du devoir politique et démocratique de notre Opposition de se préparer pour affronter les prochaines échéances et ne pas laisser un vide politique qui sera inévitablement occupé par des « badauds » et des « clowns » qui désintéresseront une partie des mauritaniens du jeu démocratique, les éloigneront encore plus des bureaux de vote et au finish ridiculiseront notre démocratie. Il en découle clairement qu’il est de la responsabilité de la Majorité comme de l’Opposition d’empêcher ces individus d’occuper un espace qui ne leur revient pas et dont ils feront mauvais usage. Une responsabilité hautement partagée.
Propos recueillis par DL
source lecalame.info