C’est le ministre de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire qui a inauguré le 19 août dernier, le premier poste frontalier avec la Mauritanie. Il était aux côtés du ministre mauritanien de l’Intérieur et de la Décentralisation, Ahmed Ould Abdallah. «C’est un poste sécuritaire mais en filigrane, il y a la dimension économique qui pourrait se profiler entre les deux pays,» estime un responsable local. Il est évident que ce sont les problèmes sécuritaires aux frontières sud qui ont prévalu à l’ouverture des frontières terrestres entre l’Algérie et la Mauritanie. L’ouverture semble avoir été faite sous le sceau de l’urgence quand on sait que les postes douaniers, d’un côté comme d’un autre de la frontière, ont été «posés» en préfabriqués et ont coûté à l’Algérie 115 milliards de centimes. «C’est un poste jumeau, ce sont deux modules identiques, en charpente métallique, constitués de tous les services dont a besoin un poste frontalier,» nous avait dit Nadir Hammoudi, l’architecte dont le bureau a procédé à leur réalisation. Il est vrai que cette mise en place a pris du temps depuis que les chefs des deux Etats sont convenus, ensemble, de l’ouverture des frontières. C’était un accord conclu le 21 mai 2017, s’en est suivi la décision de réalisation, signée le 8 novembre de la même année, à Nouakchott. Quelques mois plus tard, les choses se sont précipitées puisque du côté algérien, il a été demandé au bureau d’architecture de «faire très vite» pour la rendre effective. «C’est une réalisation provisoire qui a été faite en deux mois,» est-il expliqué, dans le documentaire qui a été diffusé le jour de l’ouverture sous un chapiteau dressé aux frontières entres les deux pays.
Des notables parlent de l’insécurité
«Tous les terroristes qui ont participé dans les conflits au Moyen-Orient, en Libye et autres, pourraient déferler dans ces immensités désertiques, le retour de ceux qui sont appelés les combattants fait craindre le pire,» estime un notable de Tindouf. L’ouverture du poste frontalier où les deux pays ont déployé des équipes de douanes, de la police, de la gendarmerie, et autres services des impôts, du commerce et de la santé, permettra, certainement, de fixer les responsabilités de part et d’autre, dans la surveillance et le contrôle des territoires.
A l’issue des travaux de la haute commission mixte algéro-mauritanienne, en décembre 2017, qui avait retenu parmi ses recommandations, l’ouverture de ce poste frontalier, le ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, avait mit en avant, à cet effet, les problèmes de contrebande, le crime transnational, les troubles, les menaces, les risques sécuritaires et la migration clandestine.
L’évidence est que l’Algérie supporte, depuis toujours, la délicate mission de la surveillance des frontières avec les moyens humains et matériels qui lui sont nécessaires. La wilaya de Tindouf est une immense caserne, à ciel ouvert. Les répercussions du conflit entre le Front Polisario et le Maroc sont inévitables sur la région et les habitants de Tindouf qui souffrent de la fermeture des frontières avec la Mauritanie depuis 1975, année de son déclenchement. Les difficultés sécuritaires sont vécues, au grand jour, à Tindouf. «Il y a trois jours de cela, un gang de la drogue est allé frapper à la porte d’un citoyen (certainement un de ses membres), l’a fait sortir de force de chez lui alors qu’il criait de toutes ses forces, il a été abattu sur le champ,» nous a révélé, le 19 août dernier, un notable issu d’une grande tribu de la région. «La société souffre, en silence, du problème de la drogue, les familles n’y peuvent rien contre,» s’est plaint un citoyen, au ministre de l’Intérieur, lors de la réunion avec les représentants de la société civile de la wilaya.
L’Algérie veut renforcer son aide sécuritaire
«La fermeture depuis plus de 40 ans des frontières avec la Mauritanie nous a coupé du monde, nous subissons tous les affres de la contrebande,» déplorent un groupe d’habitants. Ils rappellent que des alliances entre les populations et les tribus des deux pays sont nombreuses et remontent à très longtemps. «Mais nous avons été empêchés d’entretenir et de préserver nos liens familiaux, à cause de la fermeture des frontières.
«Il faut avoir des papiers d’identité sahraouis pour pouvoir aller de l’autre côté, nous, habitants de Tindouf, Algériens, n’avons pas le droit de traverser les frontières pour aller en Mauritanie, seuls les Sahraouis peuvent le faire,» regrettent nos interlocuteurs. Le ministre mauritanien avait dénoncé, dans son discours, le terrorisme, la contrebande, l’émigration clandestine, la drogue, le crime organisé.
Ould Abdallah a fait savoir que dans le cadre de la lutte contre ces fléaux, la Mauritanie a mis en exécution deux importantes mesures : «la réforme de l’état civil et le reploiement de ses forces militaires», certainement pour être fixé sur les identités des populations frontalières. Nouredine Bedoui, lui, a mis en évidence «la disponibilité de l’Algérie à renforcer son aide sécuritaire et à élaborer des programmes spéciaux de développement des zones frontalières.» Le ministre de l’Intérieur a appelé à la constitution d’un groupe de travail pour engager une réflexion à cet effet. «On attend beaucoup de ce poste,» a-t-il affirmé. Bedoui a, tout au début de son intervention, fait part de la volonté de l’Algérie «d’apaiser la région.»
A Tindouf, tout se vend, tout s’achète dans un marché où les commerçants sont en majorité venus du Sahara Occidental ou vivent dans les camps de réfugiés sahraouis. Dans cette ville des casernes, la ville garnison, les esprits citoyens craignent beaucoup pour leur sécurité, notamment depuis la crise au Sahel. «Les frontières-Est de la Mauritanie avec le Mali (sud de l’Algérie), et Nord avec le Sahara Occidental et Tindouf, sont d’une extrême sensibilité ; ce sont des sociétés tribales qui ne réfléchissent pas, forcément, comme le nord du pays et peuvent ne pas avoir les mêmes visions des choses,» estime un avocat de Tindouf.
Situation
géostratégique et défis sécuritaires
Le P/APW a qualifié l’ouverture du poste frontalier Mustapha Benboulaïd, baptisé Hassi (puits) 75, du côté mauritanien, de «revendication populaire depuis des années.» Un notable a même estimé que «il fallait l’ouvrir dans les années 70, aujourd’hui, que le trafic de tout genre s’est installé, c’est trop tard.» La wilaya de Tindouf, de part l’immensité de ses territoires a, seulement, deux communes : Tindouf et Oum El Assel. «Sa situation géostratégique, ses dimensions culturelles, les difficultés de la vie, nous obligent à revendiquer la création d’une nouvelle ville vers le nord de la ville,» a fait savoir le P/APW, en août dernier. Un citoyen voudrait que les habitants aient le droit de «savoir ce qu’il va advenir du gisement minier de Ghar Djbilet ( en cours de réalisation selon le ministre), on a, aussi, le droit de voir Sonatrach se tourner vers nous.» Beaucoup affirment qu’«au nom de l’Etat, Tindouf s’acquitte d’une mission stratégique, celle d’héberger et d’aider les réfugiés sahraouis, il faut qu’elle soit équipée pour.»
De l’autre côté de la frontière, du côté mauritanien, c’est un véritable no man’s land’. Le village mauritanien le plus proche du poste frontalier avec l’Algérie se trouve à 160 km. C’est Ain Bentilli qui est loin de Oum Aghrin, de 450 km. La première commune mauritanienne, Zouiret, est loin de Tindouf de près de 800 km. Tindouf se situe à plus de 1.200 km de Nouakcott. La côte mauritanienne s’étale sur l’Océan atlantique sur plus de 800 km. Une aubaine pour l’exportation vers les pays lointains d’Amérique Latine. Mais à partir du poste Hassi 75 de la Mauritanie, il n’existe aucune construction viable qui permet de croire en «des échanges commerciaux fructueux et officiels entre les deux pays.» Complètement défoncée, la route menant du poste frontalier vers Nouakchott n’encourage pas la conquête commerciale. L’Algérie a déjà mis au point la construction en dur du poste frontalier, selon des notables.
Elaboré par les soins de la DGSN et remanié par des architectes algériens, «conformément aux spécificités urbaines et culturelles des deux régions», le plan prévoit l’édification d’un poste du côté algérien, en style néo-mauresque andalou et du côté mauritanien en style maure africain. La réalisation de ce projet coûtera 2,3 milliards de dinars. Il semble qu’à ce jour, les autorités mauritaniennes n’ont pas dit qu’elles allaient mettre la main à la poche. Si l’Algérie considère que les postes frontaliers entre les deux pays constituent un point de contrôle sécuritaire important et une ouverture stratégique, sur l’Atlantique, elle sera obligée de les construire seule.
source algerie360.com