Beaucoup de Mauritaniens ont certainement appris par voie de la presse, comme moi, que le Ministre sénégalais des pêches vient d’effectuer chez nous une visite de deux jours. Durant cette visite, Son Excellence devait définir, avec son homologue, les conditions pratiques de la mise en œuvre de l'accord de pêche signé, il y a quelques mois à Nouakchott, entre les deux pays.
En vertu de ce nouvel accord, les bateaux de pêche sénégalais peuvent reprendre la pêche dans les eaux nationales et la contrainte liée à la location d’embarcations avec des équipages étrangers, est désormais levée.
Sachant que ledit accord définit déjà le nombre de licences octroyées, les espèces autorisées ainsi que les prix appliqués, les détails du protocole, objet de la présente visite de Monsieur le Ministre, se rapportent généralement à:
- Le transfert du savoir faire des pêcheurs sénégalais dans les domaines où la Mauritanie connait encore un déficit accablant, à savoir la pêche du poisson de fond, à la ligne et des petits pélagiques, avec les filets tournants. Il s’agit de définir le nombre de marins nationaux à embarquer à bord et d’appliquer, dans la pratique, la décision arrêtée en la matière;
- Le souci de préservation de la ressource ou respecter les engins, les techniques et les zones de pêche autorisés et assurer la maîtrise des statistiques de pêche à travers le débarquement obligatoire, sur le sol mauritanien, des quantités pêchées dans la ZEEM. Pour la petite histoire, l’expérience d’une commission mixte de suivi des débarquements des pirogues sénégalaises en Mauritanie et de l’envoi à partir de St-Louis des captures qui y sont débarquées, avait lamentablement échouée ;
- Le concept de ‘’embarcation de pêche artisanale’’ et ‘’embarcation côtière’’, ‘’embarcation mère’’ et ‘’embarcation auxiliaire’’ et ce malgré les dispositions claires de la réglementation nationale à ce sujet;
- La fixation, par rapport au nombre total autorisé, du taux des embarcations à soumettre à la contrainte de débarquer localement leurs productions. C’était là une concession qui devrait être exceptionnelle, provisoire et non reconductible;
- L’établissement pour les embarcations autorisées à débarquer directement au Sénégal de licences de type différent de celui livré aux embarcations devant débarquer en Mauritanie ;
- La politique mauritanienne visant la décongestion de la zone Nord de Nouadhibou. Cette politique vise à circonscrire l’activité des embarcations sénégalaises dans la zone Sud, en général et au niveau de N’Diago (proche de leur port d’attache), en particulier. A propos, les autorités de pêche mauritaniennes devraient appliquer trois (3) zones et instaurer, pour aller d’une zone à l’autre, une autorisation préalable du Ministre chargé des pêches. Il devrait alors s’agir d’une zone au Sud (N’Diago et les PK de 144 à 28), zone centre (Tanit et Nouakchott) et zone nord (Nouadhibou) ;
- L’affrètement des pirogues sénégalaises avec leurs équipages par des opérateurs mauritaniens. Le prix de l’embarcation, la qualité des pêcheurs sénégalais et les combines d’usage avec les promoteurs nationaux, ont toujours fait échouer la domiciliation des activités du segment de la pêche artisanale et côtière ;
- La durée du protocole et les modalités de son renouvellement et de sa résiliation.
Par ailleurs, lors de sa visite au port de Tanit, récemment inauguré, le Ministre hôte a semblé dire que la proximité et les potentialités de la Mauritanie et du Sénégal les prédisposent à créer un pôle en Afrique de l’Ouest.
Son Excellence a tout à fait raison. Le poids du Sénégal émergeant dans l’Afrique noir, le rôle que peut jouer la Mauritanie auprès dues pays du monde arabe et l’œuvre commune des deux pays envers la communauté internationale, crédibilisent une telle aspiration.
S’agissant des dirigeants, ils ne doivent pas perdre de vue que l’avenir commun de leurs deux pays, est intimément dépendant de leur passé. Un passé qui a légué aux peuples des héritages imposés par l’histoire et la géographie et que de nouveaux acteurs essayent souvent aujourd’hui, pour des raisons purement égoïstes, d’en réveille certains aspects négatifs, les amplifier et les dénaturer selon les circonstances.
De grands projets impliquant les deux parties, tels que l’Organisation de la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS), la Commission Sous-Régionale des Pêches (CSRP), l’Ecole Supérieure Multinationale des Télécommunications ont souvent souffert de l’exploitation intentionnée de tels aspects négatifs.
Revenant enfin à la visite de Monsieur le Ministre sénégalais chargé des pêches, les personnes qui auront la chance de découvrir les détails du nouveau protocole d’accord et la curiosité de l’évaluer par rapport aux quelques éléments sus rappelés, constateront sûrement que ce protocole est encore plus politique que commercial.
Dr Sidi El Moctar Taleb Hamme