La Mauritanie face au risque sécuritaire (3/4). Au sud-est du pays, les autorités combinent sécurité et développement afin d’interdire l’entrée de groupes terroristes.
Du fortin qui surveillait la passe de Ouâd Initi, « la rivière aux épines », il ne reste que des pans de murs effondrés au sommet d’un escarpement de roches sombres. Le village éponyme, lui, est toujours là, debout. Groupement de pauvres masures posées ici et là dans le sable truffé de graines épineuses où des vaches alanguies se protègent des flèches du soleil à l’ombre des acacias. Situé aux confins désertiques de la Mauritanie, sur la marge orientale du moughataa (équivalent d’un département) de Oualata dans la région de Hodh Ech Chargui, Ouâd Initi, un temps oublié, est devenu l’un des maillons de la chaîne sécuritaire que les autorités mauritaniennes forgent et tendent depuis plusieurs années sur leur frontière afin d’interdire l’accès sur son sol des groupes djihadistes qui s’épanouissent au Mali.
Un attentat à la voiture piégée déjoué à quatre heures de pistes de Ouâd Initi, le 25 août 2010, avait subitement rappelé pourquoi les méharistes mauritaniens observaient attentivement ce lieu de passage fréquenté depuis des siècles par des caravanes de sel ou des trafiquants en tous genres à dos de dromadaires. En cette nuit d’été 2010, un kamikaze d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) projetait de se faire exploser dans la caserne de Néma, la plus grande de la région. Il avait été tué avant cela par des militaires alertés préalablement par le coup de téléphone d’un habitant d’Ouâd Initi.
« Depuis 2011, plus de terrorisme »
Celui-ci avait été intrigué par un véhicule tout terrain inconnu en provenance du Mali, empruntant la passe escarpée qui surplombe son village, seul endroit, sur des dizaines de kilomètres, par lequel gravir, direction Néma, un mouvement rocheux sinon infranchissable en voiture. « Notre Sahara n’est pas désert et chaque dune a un nom », rappelle l’écrivain mauritanien Mbarek Ould Beyrouk. Le 4 x 4 ne pouvait passer inaperçu sur ces pistes foulées surtout par des dromadaires.
A l’époque, et cela depuis 2005, la Mauritanie était la cible d’attaques ou d’attentats, et le théâtre d’enlèvements d’Occidentaux, commandités ou réalisés par des groupes djihadistes étrangers (GSPC algérien puis AQMI). La sécurisation de la frontière devint alors une priorité. A partir de 2008, les forces spéciales françaises formaient des Groupements spéciaux d’intervention (GSI), des unités légères et mobiles déployées sur la frontière. Dès son élection à la présidence en août 2009, l’ancien général Mohamed Ould Abdelaziz accentuait cette politique en plaçant une longue bande orientale du pays sous contrôle militaire, en
restructurant et rééquipant les forces armées mauritaniennes.
« Depuis 2011, en Mauritanie, nous n’avons plus de terrorisme », se félicite aujourd’hui le chef de l’Etat. « Mais, ajoute-t-il, la solution au Sahel ne réside pas seulement dans les combats ni dans les équipements militaires. Ceux-ci doivent être accompagnés par d’autres actions. » Le président mauritanien reprend là un constat largement partagé : le caractère indissociable des enjeux de développement et de sécurité au Sahel.
« Maintenir la population sur place »
Ouâd Initi illustre son propos. Le village est aujourd’hui l’un des terrains d’expérimentation conduit dans le cadre du Projet d’appui à la sécurité et au développement en Mauritanie, inscrit dans la stratégie de l’Union européenne pour le Sahel et bénéficiant à ce titre d’un financement du Fonds européen de développement (FED) de 13 millions d’euros de 2015 à 2020. « L’idée fondamentale est d’améliorer la sécurité et les conditions de vie de la population pour la maintenir sur place, qu’elle soit fidèle à l’Etat et l’informe de tout passage suspect », explique François-Xavier Pons, le chef de mission.
Cette approche duale répond à une logique sécuritaire très localisée : une passe, un puits, des pâturages… Elle est reproduite en différents endroits sur une vaste zone s’étendant des villes de Tichitt à Néma et rendue possible par un environnement relativement sécurisé. A la différence du Mali, du Niger ou du Burkina Faso toujours soumis aux attaques de groupes armés. A Ouâd Initi, en revanche, le projet sécurité et développement, en synergie avec d’autres, effectuera un forage d’eau, aménagera la passe qui raccourcit les distances parcourues jusqu’au prochain marché, désenclave le village et facilite les échanges commerciaux. Il restaurera une école et soutiendra les activités pastorales…
Résilience agricole et pastorale
« Ce dernier secteur est vital. En Mauritanie, un troupeau de dromadaires, c’est, pour son propriétaire, tout à la fois la banque, la sécurité sociale et la retraite », résume Abder Benderdouche, chef de mission du Rimrap (Renforcement institutionnel en Mauritanie vers la résilience agricole et pastorale), également financé par Bruxelles. « Cette activité a été extrêmement perturbée ces dernières années à cause des difficultés de déplacement et d’accès aux ressources », ajoute ce vétérinaire tropicaliste. « Or il existe un lien entre le recul du pastoralisme et la montée des activités illégales et du djihadisme »,avertit François-Xavier Pons.
Ici, dans l’est mauritanien toujours régi par « un régime spécial », autrement dit très militarisé, le projet travaille aussi sur des questions purement sécuritaires, notamment le renforcement du Groupement nomade (GN) de la garde nationale, sorte de gendarmes du désert montés sur des dromadaires. « Nous allons là où l’Etat n’a pas d’infrastructures. Dans les coins reculés, enclavés, on vient porter assistance à la population dans le domaine sanitaire, de l’éducation et nous recueillons des renseignements », détaille le colonel Abderrahmane el Khalil, chef du GN auquel le projet fournira 250 dromadaires. « Si pour des raisons sécuritaires ou économiques, Ouâd Initi se vide de ses habitants [200 familles actuellement], l’endroit redeviendra un passage ouvert depuis le Mali », avertit François-Xavier Pons.
La Mauritanie face au risque sécuritaire : sommaire de notre série
Depuis 2011, la Mauritanie est épargnée par les attaques terroristes alors que les violences de groupes armés continuent d’ensanglanter le Mali voisin, le Niger et le Burkina Faso. Cette stabilité découle notamment de la politique volontariste menée par le président – et ex-général – Mohamed Ould Abdelaziz, au pouvoir depuis 2008, pour restructurer et rééquiper les forces de sécurité mauritaniennes. Cet équilibre est fragile, notamment le long de la frontière malienne. C’est là où les autorités, assistées par un programme financé par l’Union européenne, entendent réduire la menace grâce, notamment, à un projet pilote conduit à la fois au profit des forces armées que de la population vivant dans cette zone enclavée.
Episode 1 Mohamed Ould Abdelaziz : « La force conjointe permettra de combattre efficacement le terrorisme »Episode 2 Dans les sables de Nbeiket Laouach, les soldats mauritaniens n’attendent pas le G5 Sahel pour agirEpisode 3 A Ouâd Initi, le pouvoir mauritanien mise sur la population pour protéger ses frontières
source lemonde.fr
Du fortin qui surveillait la passe de Ouâd Initi, « la rivière aux épines », il ne reste que des pans de murs effondrés au sommet d’un escarpement de roches sombres. Le village éponyme, lui, est toujours là, debout. Groupement de pauvres masures posées ici et là dans le sable truffé de graines épineuses où des vaches alanguies se protègent des flèches du soleil à l’ombre des acacias. Situé aux confins désertiques de la Mauritanie, sur la marge orientale du moughataa (équivalent d’un département) de Oualata dans la région de Hodh Ech Chargui, Ouâd Initi, un temps oublié, est devenu l’un des maillons de la chaîne sécuritaire que les autorités mauritaniennes forgent et tendent depuis plusieurs années sur leur frontière afin d’interdire l’accès sur son sol des groupes djihadistes qui s’épanouissent au Mali.
Un attentat à la voiture piégée déjoué à quatre heures de pistes de Ouâd Initi, le 25 août 2010, avait subitement rappelé pourquoi les méharistes mauritaniens observaient attentivement ce lieu de passage fréquenté depuis des siècles par des caravanes de sel ou des trafiquants en tous genres à dos de dromadaires. En cette nuit d’été 2010, un kamikaze d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) projetait de se faire exploser dans la caserne de Néma, la plus grande de la région. Il avait été tué avant cela par des militaires alertés préalablement par le coup de téléphone d’un habitant d’Ouâd Initi.
« Depuis 2011, plus de terrorisme »
Celui-ci avait été intrigué par un véhicule tout terrain inconnu en provenance du Mali, empruntant la passe escarpée qui surplombe son village, seul endroit, sur des dizaines de kilomètres, par lequel gravir, direction Néma, un mouvement rocheux sinon infranchissable en voiture. « Notre Sahara n’est pas désert et chaque dune a un nom », rappelle l’écrivain mauritanien Mbarek Ould Beyrouk. Le 4 x 4 ne pouvait passer inaperçu sur ces pistes foulées surtout par des dromadaires.
A l’époque, et cela depuis 2005, la Mauritanie était la cible d’attaques ou d’attentats, et le théâtre d’enlèvements d’Occidentaux, commandités ou réalisés par des groupes djihadistes étrangers (GSPC algérien puis AQMI). La sécurisation de la frontière devint alors une priorité. A partir de 2008, les forces spéciales françaises formaient des Groupements spéciaux d’intervention (GSI), des unités légères et mobiles déployées sur la frontière. Dès son élection à la présidence en août 2009, l’ancien général Mohamed Ould Abdelaziz accentuait cette politique en plaçant une longue bande orientale du pays sous contrôle militaire, en
restructurant et rééquipant les forces armées mauritaniennes.
« Depuis 2011, en Mauritanie, nous n’avons plus de terrorisme », se félicite aujourd’hui le chef de l’Etat. « Mais, ajoute-t-il, la solution au Sahel ne réside pas seulement dans les combats ni dans les équipements militaires. Ceux-ci doivent être accompagnés par d’autres actions. » Le président mauritanien reprend là un constat largement partagé : le caractère indissociable des enjeux de développement et de sécurité au Sahel.
« Maintenir la population sur place »
Ouâd Initi illustre son propos. Le village est aujourd’hui l’un des terrains d’expérimentation conduit dans le cadre du Projet d’appui à la sécurité et au développement en Mauritanie, inscrit dans la stratégie de l’Union européenne pour le Sahel et bénéficiant à ce titre d’un financement du Fonds européen de développement (FED) de 13 millions d’euros de 2015 à 2020. « L’idée fondamentale est d’améliorer la sécurité et les conditions de vie de la population pour la maintenir sur place, qu’elle soit fidèle à l’Etat et l’informe de tout passage suspect », explique François-Xavier Pons, le chef de mission.
Cette approche duale répond à une logique sécuritaire très localisée : une passe, un puits, des pâturages… Elle est reproduite en différents endroits sur une vaste zone s’étendant des villes de Tichitt à Néma et rendue possible par un environnement relativement sécurisé. A la différence du Mali, du Niger ou du Burkina Faso toujours soumis aux attaques de groupes armés. A Ouâd Initi, en revanche, le projet sécurité et développement, en synergie avec d’autres, effectuera un forage d’eau, aménagera la passe qui raccourcit les distances parcourues jusqu’au prochain marché, désenclave le village et facilite les échanges commerciaux. Il restaurera une école et soutiendra les activités pastorales…
Résilience agricole et pastorale
« Ce dernier secteur est vital. En Mauritanie, un troupeau de dromadaires, c’est, pour son propriétaire, tout à la fois la banque, la sécurité sociale et la retraite », résume Abder Benderdouche, chef de mission du Rimrap (Renforcement institutionnel en Mauritanie vers la résilience agricole et pastorale), également financé par Bruxelles. « Cette activité a été extrêmement perturbée ces dernières années à cause des difficultés de déplacement et d’accès aux ressources », ajoute ce vétérinaire tropicaliste. « Or il existe un lien entre le recul du pastoralisme et la montée des activités illégales et du djihadisme »,avertit François-Xavier Pons.
Ici, dans l’est mauritanien toujours régi par « un régime spécial », autrement dit très militarisé, le projet travaille aussi sur des questions purement sécuritaires, notamment le renforcement du Groupement nomade (GN) de la garde nationale, sorte de gendarmes du désert montés sur des dromadaires. « Nous allons là où l’Etat n’a pas d’infrastructures. Dans les coins reculés, enclavés, on vient porter assistance à la population dans le domaine sanitaire, de l’éducation et nous recueillons des renseignements », détaille le colonel Abderrahmane el Khalil, chef du GN auquel le projet fournira 250 dromadaires. « Si pour des raisons sécuritaires ou économiques, Ouâd Initi se vide de ses habitants [200 familles actuellement], l’endroit redeviendra un passage ouvert depuis le Mali », avertit François-Xavier Pons.
La Mauritanie face au risque sécuritaire : sommaire de notre série
Depuis 2011, la Mauritanie est épargnée par les attaques terroristes alors que les violences de groupes armés continuent d’ensanglanter le Mali voisin, le Niger et le Burkina Faso. Cette stabilité découle notamment de la politique volontariste menée par le président – et ex-général – Mohamed Ould Abdelaziz, au pouvoir depuis 2008, pour restructurer et rééquiper les forces de sécurité mauritaniennes. Cet équilibre est fragile, notamment le long de la frontière malienne. C’est là où les autorités, assistées par un programme financé par l’Union européenne, entendent réduire la menace grâce, notamment, à un projet pilote conduit à la fois au profit des forces armées que de la population vivant dans cette zone enclavée.
Episode 1 Mohamed Ould Abdelaziz : « La force conjointe permettra de combattre efficacement le terrorisme »Episode 2 Dans les sables de Nbeiket Laouach, les soldats mauritaniens n’attendent pas le G5 Sahel pour agirEpisode 3 A Ouâd Initi, le pouvoir mauritanien mise sur la population pour protéger ses frontières
source lemonde.fr