Dernier épisode en date du feuilleton « Aziz-Bouamatou », le dépôt, en France, d’une plainte (1) contre le célèbre homme d’affaires va-t-il, au final, plus mettre à jour les grands écarts du système Aziz que ceux, ordinairement plus discrets, de la finance internationale ? À moins d’un an du prochain scrutin présidentiel, la tension monte…
Dire que l’argent décide du politique est du plus navrant réalisme. À l’ordinaire, les efforts du second à masquer sa vassalité sont d’autant plus facilités que le premier se plaît à ne jamais s’afficher, sinon à distance certaine des bousculades politiciennes. Mais il y a des exceptions. Bien plus sensible aux variations de l’opinion, le politique doit alors se prétendre supérieur à qui l’a fait roi. Le voilà donc à lutter, sur le devant de la scène, contre la corruption, tout en usant de son relatif pouvoir, derrière, dans l’espoir de se hisser à hauteur de son maître. Difficile équation.
C’est ainsi pinces-sans rire que les présidents africains se sont érigés, tout dernièrement et de concert, au rang d’acteurs en grève contre leur metteur en scène, avec la cauteleuse bénédiction des bailleurs institutionnels. La société civile et les journalistes accrédités ont eu leur carton d’invitation au spectacle, un peu éclipsé, malheureusement, par l’effervescence de la Coupe du Monde de football. Mais, bon, on a bien ri, tout de même. Et d’autant plus que le divertissement était donné à Nouakchott, haut-lieu contemporain, s’il en est, des noces variablement tumultueuses entre le politique et l’argent.
Ouverture médiatique du conflit
Assez aimablement conventionnel, jusqu’en 2008, le ménage y a commencé à sérieusement se compliquer, avec le coup d’État d’Ould Abdel Aziz. Intronisé, par la France, en rempart sécuritaire contre les phobies du siècle nouveau – djihadisme et migrations clandestines – l’homme alliait passion du pouvoir et impécuniosité. Mais si l’on peut conquérir, par les armes, un fauteuil présidentiel, il est plus beaucoup plus ardu de se construire un pactole conséquent, à partir d’un petit hammam familial au Ksar (2). C’est peut-être, en définitive, le vrai sens du slogan « Aziz, Président des pauvres », si mal entendu, par tant de Mauritaniens. À commencer par Mohamed ould Bouamatou, le richissime cousin du putschiste, qui commet, alors, cette erreur de mettre publiquement son argent au service de l’arriviste général. L’amalgame est ainsi spectaculairement exposé : il va devenir l’argument même du conflit, dans l’entretien constant de son ambiguïté.
Tout mouvement du financier est taxé de manœuvre politique, tout mouvement de son cousin, d’enrichissement patrimonial. L’éventuelle implication de Bouamatou, dans la fronde des sénateurs, excuserait-elle l’accroissement prodigieux de la fortune d’Ould Abdel Aziz et de ses proches, en à peine une décennie ? Les deux camps enquêtent. L’un assigne les services de l’État à rabaisser tout mécénat de l’autre au financement d’une opposition mendigote – pire : de crimes transfrontaliers visant à la déstabilisation de la Nation – l’autre engage un cabinet américain d’intelligence économique pour décortiquer les nombreuses « étrangetés » du règne azizien : Polyhone Dong, la zone franche de Nouadhibou, Tasiast, les ventes de l'École de police, du Stade olympique, des écoles publiques, de la caserne des fanfares, et, surtout, les marchés de gré à gré à l'ENER, la SNIM, les ministères, ATTM, la SOMELEC, etc.
Mais le clou du spectacle, celui qui fait vraiment mal, non pas aux belligérants, mais au pays, à ses populations, c’est la manipulation grandissante de la Société civile, autour du nouveau grand business de l’aide au développement : la lutte contre la corruption. Farces et attrapes, à partir d’un ras-le-bol généralisé des peuples, de moins en moins dupes des combines politico-financières sur leur dos ? Quel était donc l’objet de la fondation, en 2008, de la Coalition Contre la Corruption en Mauritanie (3CM) ? On peut d’autant moins écarter l’hypothèse d’un mouvement réellement citoyen qu’il mit quatre longues années à obtenir son récépissé officiel (Février 2012). Celle d’un sous-marin en vue d’une exploitation ultérieure n’en devient pourtant pas négligeable…
Utilité publique contre utilité politique ?
Février 2012, c’est à peine quelques mois après le décollage du « système Aziz » et l’exil de Bouamatou, signe patent de leur conflit d’intérêts. En Avril de la même année, Sidi Ould Tah, alors ministre des Affaires économiques et du Développement, annonce la fondation, « dans les jours prochains », d’un Observatoire « national » de lutte contre la corruption. Mais, le mois suivant, Mohamed Abdellahi Bellil, président de 3CM, tient à rappeler, au journal El Watan, que : « c’est le volume des intérêts qui détermine celui de la corruption […] et ce sont les grands marchés publics [qui entretiennent] la plus grande corruption » ; bref, tout dire, en termes à peine voilés… Un an plus tard, les points de vue semblent toujours assez éloignés et Cheikh Aïdara (du quotidien L’Authentique) rapporte, dans un papier publié par CRIDEM, la volonté de 3CM à mettre en place un Observatoire « indépendant » de la corruption, nuance de vocabulaire témoin des difficultés des acteurs des réseaux membres, bailleurs institutionnels, MAED, Commissariat aux Droits de l’Homme et compagnie, à concilier l’inconciliable.
Le temps presse, pourtant. Car Bouamatou parle, de son côté. Et, avec lui, nombre de ceux qui n’ont pas manqué de relever l’orientation très opportuniste et sélective qu’Ould Abdel Aziz donne à sa lutte contre les trafics d’influence et autres dessous-de-table. En Mars 2013, l’ONG française Sherpa lance son premier avertissement aux bailleurs de fonds internationaux sur la situation en Mauritanie (3). Si l’on s’étonne, à bon droit, que 3CM n’apparaisse pas officiellement au rang des ONG plaignantes contre le système Aziz, on peut invoquer ses « obligations » stratégiques qui lui imposeraient une certaine « retenue » envers celui-ci, sous peine de disparaître, illico, des « accréditations » aziziennes. L’octroi, à Mohamed Abdellahi Bellil, de la présidence de l’Observatoire « Mauritanien » de Lutte Contre la Corruption (OMLCC), probablement (4) fondé au cours de l’année 2014, marque, en tout cas, le protocole d’accord enfin signé, entre l’actuel pouvoir politique mauritanien, la société civile attachée à la lutte contre celle-ci et les bailleurs de fonds, PNUD en tête, si attachés à la stabilité de celui-là.
Sans revenir, ici, sur les péripéties, déjà connues de nos lecteurs et très largement commentées, de l’affaire « Bouamatou et consorts », remarquons simplement une assez singulière coïncidence. Le 19 Avril 2018, le Conseil des ministres mauritaniens examine un projet de décret déclarant d’utilité publique l’OMLCC. Moins de trois mois plus tard, c’est en conjonction avec 3CM que ledit observatoire porte plainte, en France, contre Bouamatou. Utilité publique contre utilité politique ? Le fameux « retour d’ascenseur », si décrié par ceux qui ont usé de son aller, Mohamed ould Abdel Aziz en tête, reprendrait-il du galon ?
Le début de quelle fin ?
Ne concluons par trop vite. Les plaignants évoquent des « opérations d’investissements mobiliers et immobiliers » réalisés, dans l’Hexagone, par Mohamed Ould Bouamatou et/ou associés, « susceptibles de caractériser des opérations de blanchiment et de recel », compte-tenu de « l’existence de sérieuses présomptions de corruption, fraude fiscale et abus de biens sociaux ». Va-t-on en apprendre un peu plus sur le « premier milliard d’une fortune qui serait toujours douteux », selon un célèbre dicton ? Ce serait pratiquement une Première, dans le monde très fermé de la finance internationale. Ou prélude, plutôt, à un autre déballage sur le stupéfiant développement du petit hammam familial des Ould Abdel Aziz et consorts, au cours de la dernière décennie : villas imposantes, usines de poissons, cimenteries, poulaillers, banques et stations-services, en Mauritanie ; le tout assuré par diverses acquisitions immobilières, en France, aux Emirats et ailleurs ? Les précédents ne manquent pas. Même si le statut de rempart que s’est forgé l’actuel chef de l’État mauritanien lui laisse, encore, une certaine marge de manœuvres, auprès des grands bailleurs, on espère, tout de même un peu – sans trop y croire, hélas ! – en l’utilité réellement publique de notre Observatoire de lutte contre la corruption, dont le président aurait toujours la secrète volonté de faire prévaloir l’indépendance, plutôt que la mauritanité… À défaut de pouvoir applaudir à son fol courage, on attend, avec beaucoup plus d’optimisme, de nouvelles révélations, en provenance d’autres sources (5). Restez donc à l’écoute : elles ne devraient pas manquer de surgir, avant l’élection présidentielle de 2019…
Ahmed ould Cheikh
NOTES
(2) : Le seul bien dont nous pourrons témoigner, devant Dieu, qu'il appartenait, depuis toujours, au Président Ould Abdel Aziz et à sa famille…
(3) : https://www.asso-sherpa.org/tag/mauritanie
(4) : Il faudra se lever de bonne heure et se coucher très tard, avec très peu de chances de succès, à qui voudrait lever un tant soit peu cette incertitude. Rien, à ma connaissance, sur le Web : citée, pour la première fois, en Décembre 2014, en tant qu’organisateur, en Mauritanie, de la Journée mondiale de lutte contre la corruption, l’OMLCC n’y tient site ni ne communique les fruits de son labeur…
(5) : dans la lignée, par exemple, de https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/main-basse-sur-la-mauritanie-152107 ; qui mériterait d’être solidement étayé…
source lecalame.info