
Le Calame : Les acteurs politiques aussi bien de la majorité que l’opposition sont occupés par les préparatifs du dialogue politique appelé par le président de la République. Comment votre groupe exclu du RFD depuis mai 2024 a-t-il accueilli ce conclave en gestation ? Sous quelle bannière irez-vous à ce dialogue, RFD ou autre ?
Nana Cheikhna : il apparait clairement que vous n'êtes pas au fait de la situation du RFD, car vous parlez encore d'une pseudo-exclusion non fondée juridiquement et depuis longtemps dépassée. La partie prétendument exclue est celle qui regroupe aujourd'hui l'ensemble des sections du parti, de ses fédérations et qui détient la légitimité juridique conformément aux textes du parti tout autant que la légitimité populaire grâce au choix qu'a porté sur elle l'écrasante majorité des militants.
L'affaire est entre les mains de la justice et la dernière décision en référé de la chambre civile a d'ores et déjà ordonné la suspension d'une soi-disant procédure d’implantation annoncée par l'autre partie.
- Selon vous, quel intérêt la Mauritanie et sa classe politique auraient à se retrouver pour un dialogue politique ?
- Je souhaiterais rappeler à ce niveau que la Mauritanie se trouve au sein d'une zone extrêmement perturbée (sociétés livrées à la violence, terrorisme, trafics de tous genres).
Elle se doit de créer les conditions adéquates pour échapper à cette lame de fond caractérisée par la déstabilisation, les guerres qui traversent son environnement géographique.
De même, à l'intérieur du pays, la situation recèle des dangers qu'il convient de mesurer et dont il devient urgent que le pouvoir prenne conscience.
Rappelons-en bref quelques éléments : Ce que nous appelons ici "processus démocratique" est fortement contesté et demeure entaché de graves irrégularités, la cohésion sociale est chaque jour plus menacée face à une indifférence inquiétante de la situation et les conditions de vie des citoyens demeurent très précaires dans un pays qui recèle un potentiel de richesse considérable.
Il faut par ailleurs relever l'urgence de trouver les moyens de résoudre les problèmes cruciaux demeurés en suspens et particulièrement ceux relatifs à l'unité nationale, à la question de l'esclavage et veiller à engager un processus visant à mettre fin à l'émiettement social et les contradictions qui en découlent.
Le dialogue annoncé devra aussi trouver les moyens de sécuriser le vivre ensemble et asseoir les fondements de nature à favoriser l'édification d'une nation forte vivant en harmonie et intégrant sa diversité sur des bases consensuelles.
Au plan économique et social, il est tout aussi urgent de susciter un engagement des gouvernants relatif à la mise en œuvre d'un processus susceptible de relever le niveau de vie des populations et mettre en place une vision macroéconomique en mesure de nous sortir à terme du système ridicule de mendicité couteuse depuis longtemps pratiquée, véritable rocher de Sisyphe, indigne d'un Etat qui se respecte.
Ceci constitue seulement quelques questions évoquées pour l'urgence qui les caractérise, mais beaucoup d'autres aspects de la vie nationale méritent d'être discutés afin d'y apporter des réponses adéquates.
De l'autre côté, il y a ceux qui croient que le dialogue n'est justifié qu'au moment des crises ouvertes et ne ménagent aucun moyen pour créer des éléments de blocage de réformes pourtant salutaires pour tous.
Je crois quant à moi que ce n'est pas au pied du mur qu'on apprend à bâtir et que chercher des solutions après une tempête, ce n'est plus négocier le vent mais ramasser les débris.
Qu'à Dieu ne plaise !
-En 2023, on était sur le point de lancer un dialogue politique mais la majorité décida in extrémis d’arrêter le processus. Avez-vous aujourd’hui l’assurance que le processus qui vient d’être enclenché avec la nomination d’un facilitateur, en la personne de Moussa Fall ira jusqu’à bon port ? Le dialogue sera-t- il inclusif et sans tabous ?
-En ce qui concerne le projet de dialogue de 2023, je n'étais pas au sein des discussions y afférentes. Ces dernières ont pris un temps très long pour aboutir à un échec qui fait à présent de l'ombre sur la crédibilité de l'actuel processus. En effet, les annonces qui finissent en queue de poisson ont le défaut de diminuer la lumière de celles qui les suivent. Ne dit-on pas que les engagements non tenus rongent la confiance comme le sel ronge la pierre, lentement, mais sûrement ?
Je ne cesserais de le rappeler : Il est important pour le pays que le processus actuel aboutisse à un résultat consistant et surtout que ses éventuelles conclusions soient mises en œuvre.
- Il y a quelques semaines, les leaders de l’opposition s’étaient réussis pour « harmoniser leur position » dans la perspective du dialogue. Y aviez-vous pris part ? Que s’est-il passé depuis ? On a le sentiment que ça coince quelque part ?
-Oui, nous avons pris part à des réunions qui ont regroupé pratiquement tous les partis et mouvements d'opposition. Une bonne initiative a été prise au terme de ces débats visant à réfléchir sur une position conjointe sur certains points prioritaires relevant de l’intérêt national.
À la suite de ces discussions, une commission a été mise sur pied afin d'apporter des propositions.
-Le gouvernement mauritanien a fait adopter une loi portant création, organisation et gestion des partis politiques, ensuite un projet de décret instituant une journée nationale de la diversité. Comment avez-vous accueilli ces textes ? Certains partis pensent que le gouvernement devrait attendre le dialogue pour décider. Partagez-vous leur avis ?
-La nouvelle loi relative aux partis politiques crée des barrières qui semblent destinées à réduire de manière drastique les libertés politiques.
Il est important que le prochain dialogue s'y penche et propose un nouveau texte qui préserve les libertés et qui s'adapte aux réalités du pays
-Certains observateurs croient savoir que le dialogue pourrait décider des élections locales anticipées. Seriez-vous demandeur ?
-Cela dépendra, à mon avis des conclusions éventuelles de ce dialogue.
Si des changements profonds sont adoptés au niveau de l'arsenal juridique relatif au processus électoral justifiant une remise à niveau du processus en cours sur la base d'une nouvelle volonté politique résolument engagée pour asseoir la transparence et le respect des règles de neutralité de l'Etat et de l'administration, il conviendrait alors d'organiser de nouvelles élections. Sinon, je crois sans intérêt d'anticiper des élections sur la base d'un scénario éculé et non susceptible d'apporter un quelconque progrès
-Les conditions d’expulsion des migrants en situation irrégulière par les autorités mauritaniennes a suscité l’«indignation» au Sénégal et au Mali, des grincements de dents en Guinée. Comprenez-vous la réaction de ces pays frères et voisins ? Pensez-vous que le passage des ministres malien et sénégalais des affaires étrangères à Nouakchott a contribué à faire baisser la tension ?
-La question des migrants me paraît délicate et mérite une attention particulière des autorités car elle intervient sur un terrain fragile pour ne pas dire miné.
Il est un principe sur lequel nous devons être unanimes : La Mauritanie ne peut pas recevoir tous les candidats de la sous-région à l'immigration. Il y va de sa sécurité et cela dépasse évidemment sa capacité. Cependant, le pays se doit, à l'instar de tous les Etats de la sous- région, d'être une terre d'accueil pour les ressortissants de pays frères et amis.
Cela devrait aller de soi. Mais cet accueil n'exclut pas un contrôle strict des documents d'usage, un contrôle qui doit s'accompagner du plus grand respect de la dignité de tous et en particulier de ceux qui sont pris en situation irrégulière. D'ailleurs les forces de l'ordre en charge de ce dossier devraient être mobilisées dans ce sens avec la plus grande rigueur.
C'est pour moi l'occasion de rappeler aux forces de l'ordre, l'obligation qui leur incombe de respecter la dignité humaine de tous sans distinction aucune
-Certains bloggeurs et autres activistes justifient la décision du gouvernement d’expulser des migrants irréguliers par le « souci de préserver l’identité du pays » Qu’en pensez-vous au RFD ?
Quel rapport ? Son identité ? On ne va pas refaire le monde quand même !!!
On ne peut amputer notre chère Mauritanie d'une part de sa riche réalité qui fait d'elle un beau pays multiculturel : Arabe, Peul, Soninké et Ouolof. C'est cela son identité, qu'on le veuille ou non. Et je trouve le débat autour de cette question d'une étroitesse d'âme incroyable qui relève d'un esprit dangereux.
Propos recueillis par Dalay Lam
lecalame