Paix d'Allah à vous !
Je vous félicite d’avoir remporté les élections et prie Allah de vous aider à assumer le devoir sacré. «Certes, Nous avons proposé (présenté) le dépôt aux cieux, à la terre et aux montagnes. Ils ont craint de le porter et en ont eu peur. Et l’homme s’en est chargé. Certes, il est très injuste et très ignorant ».
Selon le rapport 2018 de Freedom House, notre pays n'est pas libre. Notre indice en la matiériste atteint à peine de 30%, alors que le voisin du sud, le Sénégal, parvient à 75%. Même le Mali, en crise existentielle, est «partiellement libéré» avec 44%, malgré les nombreux problèmes sur lesquels il butte ; Les pays scandinaves arrivent en tête, comme à l’accoutumée, avec des scores de 100% en Norvège, Suède et Finlande. Le bas de la liste était réservé aux pays arabes, à l'exception de la Tunisie, dont le score de 70% dépasse les Iles Comores, partiellement libres à un taux de 55%. Selon Freedom House, la Tunisie demeure le seul pays arabe pouvant être qualifié de libre, malgré les problèmes économiques, les menaces persistantes à sa sécurité et l’aversion des Etats frontaliers à la notion de droits de l'homme. La Mauritanie était considérée comme «partiellement libre» en 2008 la transition civile du pouvoir. Cependant, le pays s'est replié et a rejoint le gros du contingent arabe après que l'armée a destitué le président élu.
Reporters sans frontières classe notre pays 94 sur 180, en termes de liberté de la presse et nous nous retrouvons, une fois de plus, dans la fournaise de l’environnement arabe mais proverbe local le prétend, «mourir parmi dix» est un agrément. La situation de la liberté de la presse dans notre région est tout simplement déplorable. Les média les moins contraints du monde arabe prospèrent aux Comores, à la 56ème place mondiale, suivis de ceux de la Tunisie à la 70ème. À titre de comparaison, le Sénégal occupe la 49ème au classement de Reporters sans frontières de l'année dernière, malgré la modestie de ses ressources.
Les pays arabes disposent de tous les moyens nécessaires pour prétendre à la qualité d’Etats libres et civilisés, offrant prospérité et vie digne à leurs citoyens. En Mauritanie, comme l'a souligné le candidat Ghazwani dans son premier discours de campagne et à juste titre, la démocratie signifie plus d'investissements étrangers. Une fois de plus, le pays plonge dans la canicule des systèmes arabes en décomposition et corrompus, où ceux qui sont au pouvoir abusent des pauvres et des opprimés. La plupart du temps, ces derniers vivent dans la peur et ne disposent d'aucun moyen valable de demander des comptes à ceux qui détiennent la force et l'influence.
Même si le Qatar et les Émirats arabes unis ne sont pas considérés libres, ils obtiennent un classement relativement élevé en termes de transparence dans les transactions financières. L’Etat le plus exemplaire au sein de cet univers, la Tunisie, s'efforce de rattraper le monde libre puisqu'il est classé soixante-dixième
Bien que les libertés politiques ne soient comme elles devraient l'être en Mauritanie, le développement économique s’avère positif, quoique modeste, au cours de la dernière décennie. Le niveau de vie de la population en général a augmenté et le taux de pauvreté diminué, passant de 44,5% à 33, selon les dernières données publiées par la Banque mondiale. La population dépasse de peu quatre millions, dont la moitié dans les villes ; cependant, seuls 55% des enfants âgés de 6 à 11 ans sont inscrits à l'école. Notre PIB est régulièrement en hausse depuis 2008 mais pas suffisamment pour correspondre à la croissance de la démographie. La bonne nouvelle pour le nouveau président est que notre pays détient le potentiel de se développer, si la volonté politique vient au rendez-vous Selon la Banque mondiale, «les perspectives économiques à moyen terme sont favorables. La croissance devrait augmenter en moyenne de 6,2% pour la période 2019-2021 »
Comme Freedom House et Reporters sans frontières, le rapport périodique de la CIA, sur notre pays, dresse un tableau sombre des libertés fondamentales et de la justice économique et sociale. Ces évaluations proviennent d’études approfondies, scientifiques et complètes de tous les pays et sont publiés, par l’Agence, afin d’informer le peuple américain sur le monde alentour. Si nous croyons en l'urgence de la situation, nous devons changer, maintenant, et le pouvons.
Dans sa réponse à un journaliste sur la question de savoir si l'armée gouvernait notre pays, le président Ould Abdel Aziz a déclaré qu'elle avait pris le pouvoir en 1978, citant le coup d'État contre le premier président, Ould Daddah. Il ajoutait que l'armée avait organisé deux autres putschs contre elle-même, en 1984 et 2005. Il a ensuite évoqué la « rectification » de 2008 qu'il dirigea, le décrivant pratiquement comme un coup d’état, ce qui est de mon opinion un acte plutôt courageux de sa part ; d’ailleurs, certains de ses partisans insistent pour que l'évènement d'État soit qualifié de "révolution du peuple". Il a résumé le cas de l'armée mauritanienne par le proverbe de la "chair du cou", que les gens critiquent mais mangent. De façon étrange, selon le Président, l'armée ne gouvernait pas l'Etat. A ses yeux, "des groupes politiques et des idéologies "ont utilisé celle-ci comme un outil pour accéder au pouvoir. Ainsi, d'après lui, l'armée a décidé de rester à leur écart, après 2005, car ces derniers "ont ruiné le pays".
Le président expliquait que l'armée avait décidé de céder le pouvoir après le coup d'État de 2005 et de disparaître complètement de la scène politique .J’ai du mal à comprendre ce point de vue, puisque de mon opinion destituer le dirigeant d’un pays et en établir un nouveau constitue l’intervention ultime en politique!
Pour ce qui précède, j’adresse, au nouveau Président, les demandes suivantes, dans le cadre de ses prérogatives constitutionnelles, afin d'améliorer la situation de notre pays et rattraper le reste du monde libre, en assurant la justice sociale et une qualité de vie meilleure pour les citoyens.
Je souhaite, Monsieur le Président, vivre dans un pays où les institutions démocratiques ont évolué de manière à vous permettre de rendre des comptes, ce qui servirait l'intérêt général.
L’adoption du modèle de société ouverte faciliteraient ce travail, à notre place et feraient respecter le droit des gens. L'ordre légal, en charge de responsabiliser tout le monde est considéré acquis dans le monde libre. Si je comprends bien, pour l’instant, vous êtes au-delà de toute forme de responsabilité. La seule façon d'avancer est d'essayer de vous demander des comptes, de vous rendre redevable à vos électeurs.
Malheureusement, nous vivons toujours dans une culture de la peur du Président, de l'oppression et de la violence de ses hommes de main. Nous craignons d'être jetés injustement en prison et privés de nos droits fondamentaux, lorsque nous osons nous opposer à vous. Le Président n'a pas à aimer ceux qui s'opposent à lui ; il peut même les détester s'il le souhaite. Cependant, il doit leur donner ce qui leur appartient, en vertu de la loi. Lorsque le journaliste américain Jim Acosta a défié le président Trump et discuté ouvertement avec lui lors d'une émission en direct, son contradicteur auguste a tenté de l'exclure du corps de la presse de la Maison Blanche ; le monde entier observait l’incident, avide de voir comment la situation évoluerait. En fin de compte, un simple journaliste a vaincu le Président ; peu de temps après l’épreuve de force, il était autorisé à revenir dans la Maison-Blanche, malgré les vœux de l'homme le plus puissant de la planète. Le seul gagnant ici est la loi et tous ceux qui s’en soucient et le perdant exclusif, celui qui prétend la violer.
Cet événement n'a pas diminué le prestige des États-Unis ni celui de son Président ; au contraire, les honnêtes gens considèrent le pays avec plus de respect quand il montrait à quel point personne n'était au-dessus de la règle ni de la responsabilité ; ainsi, les gens pouvaient même tenir le premier fonctionnaire pour responsable, donc redevable.
Monsieur le président, voulez-vous être le président de quatre millions d’esclaves effrayés, brisés et soumis, ou voulez-vous être le meneur d'un peuple digne, la tête haute ?
Si vous partagez mon vœu, je vous soumets cinq doléances :
1) Je demande la dissolution immédiate du Parlement, comme le prévoit l'article 31 de la Constitution, l'appel à des élections équitables incluant tout le monde. Il faut bannir les anciennes façons d’utiliser les institutions de l’État, de faire chanter des hommes d’affaires et de se tortiller les bras pour obtenir un résultat frauduleux. Il n'y a pas de pays enviable sans un parlement fort et indépendant. Je comprendrais si vous, Monsieur le Président, ne souhaitez une législature qui gênerait votre programme puisque vous disposez actuellement d'une chambre d'enregistrement qui avaliserait vos décisions, avec des ovations tonitruantes. Un Parlement sain, de votre côté, demeure un investissement plus rentable, quand il reflète le choix du peuple. Sinon, il ne serait plus qu'un simulacre inacceptable par un homme d'honneur.
Mon peuple doit disposer d'un environnement propice au choix de ses représentants, et j'ose dire qu'il est dans l'intérêt du Président d'avoir une opposition apte à le contrôler, redresser et lui proposer.
Un parlement composé de 80% de vos partisans est davantage une blague qu'une affaire sérieuse ; notre pays, je le crois, mérite mieux. Ce simulacre constitue la preuve vivante de l'absence de démocratie et de l'exclusion des opposants pacifiques. Personne, ici, n’adhère à l’idée que tant de Mauritaniens voteraient favorablement dans un sens quasi exclusif. Nous aimons discuter et, au sein de la même famille, nous rencontrons l’ensemble du spectre politique, pleinement représenté. Je crois que 30% de la Chambre incarnerait une victoire historique pour tout parti, dans une démocratie. Tel résultat refléterait qui nous sommes et la profondeur réelle de notre diversité.
Le Coran nous enseigne que sans freins ni contrepoids, la terre sombrerait dans la corruption. « Et si Allah n'avait pas contrôlé le peuple, les uns par les autres, des monastères, églises, synagogues et mosquées seraient démolis, dans lesquels le nom d'Allah était souvent mentionné ».
2) Je demande un comité national inclusif pour réparer l'appareil de la justice. Le pouvoir judiciaire n'est pas un luxe mais le besoin vital du citoyen, afin de faire valoir et protéger ses droits contre le risque, quotidien, de les perdre.
Lorsque le peuple vous a élu, Monsieur le Président, il vous a accordait ainsi le monopole de la violence légitime. Vous ne devez user de la force pour atteindre vos objectifs personnels mais seulement dans l’intérêt du pays et de la population. Et pour cette raison même, vous devez être surveillé, plus que tout citoyen, en raison de l’énorme pouvoir que notre consentement vous confère. Nous ne pouvons vous tenir responsables sans un juge indépendant, qui craindrait Allah et n’écoute personne, à l'exception du texte de la loi voté par les représentants du peuple. Un juge qui tremble devant le châtiment de son Président n'est pas digne de servir la République.
Le magistrat agit sous le devoir sacré de décider, en conscience. Souvent, l'État n'intervient pas dans les cas impliquant des citoyens mais bon nombre des litiges cruciaux sont soulevés contre l'État et ses travailleurs influents. Nous avons besoin que le juge garantisse les droits des gens faibles, torde le bras de l'oppresseur et le force à se conformer à la loi.
3) Nous devons réparer notre système éducatif et intégrer la Mahadhra à l'école française. Pour cela, nous avons besoin d’un comité ad hoc, composé de représentants du gouvernement, de la société civile et de personnes ordinaires. Il n'y a aucune raison de ne pas tirer profit des modèles éducatifs performants tels ceux pays scandinaves et de l'Allemagne, avec le souci de la conformité à la langue commune de notre environnement..
4) Nous devons nous méfier des béni-oui-oui. La dernière chose dont vous avez besoin, Monsieur le Président est la chorale de vos louanges, chantée par les hypocrites, y compris les journalistes, les soi-disant intellectuels et praticiens du culte ; avant même votre victoire, ils ont déjà commencé à prendre leurs fonctions, vous envahissant de partout. Je me souviens du grand érudit andalou Mohamed Ibn Hazm né en 799 ; il mettait en garde un prince d’alors : «Ne vous laissez berner par les bandits qui prétendent être des religieux, portant des vêtements de mouton, sur des cœurs de lions. Ils embellissent les actes du peuple pervers et le soutiennent. Notre seule issue est de dire la vérité, prêcher la moralité et combattre le mal. »
Je présume que vous le comprenez, Monsieur le Président, vos louangeurs à venir ne veulent pas dire ce qu'ils pensent. Ils vont vous utiliser pour leur propre fortune dont les biais illicites n’échapperaient à votre entendement.
5) Nous devons améliorer nos relations avec les nations arabes et africaine voisines, sans commettre l’imprudence d’ignorer les puissances majeures, tout en maintenant notre indépendance. En diplomatie, nous ne gagnons rien à céder sous la pression du chantage. Un pays étranger ne peut intimider un président que s'il dispose, contre lui, des preuves d'un crime contre l'humanité.
Cultiver de bonnes relations diplomatiques refléterait la volonté du peuple ; les gens du commun chérissent la paix ; ils en savent la valeur, qu’ils ont peur de perdre. La majorité déteste les actes répréhensibles parce qu’ils l’entrainent, tôt ou tard, dans l’incertitude.
Les bénédictions d'Allah soient à vous!
Mohamedou Ould Salahi