Supprimer le Sénat. Si le débat est un vieux serpent de mer en France, d’autres pays ne s’embarrassent pas des mêmes précautions. A l’image de la Mauritanie, ce pays d’Afrique de l’Ouest dont les électeurs ont voté, le 6 août dernier, pour la suppression de la Chambre haute du parlement. Un referendum proposé par le président Mohamed Ould Abdel Aziz, selon qui le Sénat mauritanien était « inutile et coûteux », où le « oui » a remporté 85% des suffrages exprimés.
Il s’agit donc d’un véritable plébiscite pour le potentat local, arrivé au pouvoir en 2008 à la faveur d’un énième coup d’Etat – la Mauritanie n’a jamais connu de transition politique pacifique depuis son indépendance, en 1960. Et ce même si à peine un peu plus de la moitié des électeurs (54%) se sont rendus aux urnes.
L’opposition dénonce la répression
L’opposition à Mohamed Ould Abdel Aziz, qui avait appelé au boycott du referendum, a une toute autre lecture du scrutin d’août dernier. La victoire du président va renforcer ses pouvoirs, la suppression du Sénat n’étant compensée que par une meilleure prise en compte théorique des conseils régionaux et religieux, dans un pays dont la population est presque exclusivement de confession musulmane. Elle ouvre surtout la voie à un maintien de Mohamed Ould Abdel Aziz au pouvoir, dénoncent les militants locaux en faveur des droits de l’homme. La Constitution mauritanienne interdit en effet à un président de se présenter trois fois devant les électeurs. Or Abdel Aziz a déjà été réélu en 2014.
Autant de critiques que balaie le régime. Durant le scrutin, déjà, les rues de Nouakchott, la capitale, étaient quadrillées par les forces de l’ordre. Une manière pour le pouvoir de se rappeler aux bons souvenirs de l’opposition. Mais le succès du referendum ne semble pas avoir calmé les ardeurs répressives de Mohamed Ould Abdel Aziz. Le 5 octobre dernier, alors que de nombreux anciens membres du Sénat dissout manifestaient dans les rues de la capitale, la police a fait usage de la force, dispersant dans la violence les protestataires.
Quatorze partis de l’opposition ont dénoncé cette répression. Critiquant les « politiques catastrophiques » menées par le régime, le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), qui les fédère, avait appelé à une mobilisation « pour la restauration du processus démocratique (..) et l’imposition d’un changement démocratique et pacifique dans le pays ». En vain, semble-t-il. « La répression des sénateurs, (...) des journalistes et hommes d’affaires, leur emprisonnement (...), la répression des activités menées par les partis politiques, l’interdiction des manifestations de la jeunesse (témoignent) de l’approche dangereuse du régime visant à prendre en otage le pays », a déclaré le FNDU dans un communiqué.
Le changement de drapeau, nouvelle pantalonnade du régime
Les électeurs mauritaniens étaient également appelés, lors du referendum, à se prononcer sur l’adoption d’un nouveau drapeau national. Une lubie présidentielle, Mohamed Ould Abdel Aziz souhaitant ajouter deux bandes rouges à l’étendard vert arborant l’étoile et le croissant islamiques. La raison invoquée ? Symboliser le sang, « les efforts et le sacrifice » des patriotes tombés lors du processus d’indépendance du pays, autrefois colonie française.
Problème, ce processus s’est déroulé sans que la moindre goutte de sang ne soit versée. Il s’agit donc d’une erreur historique, voire d’une instrumentalisation des luttes décoloniales à des fins politiciennes. « Nous devons éviter ces débats ridicules et vains », a ainsi jugé l’ancien ministre mauritanien des Affaires étrangères, Ahmedou Ould Abdallah. D’autant plus qu’un tel changement entraîne mécaniquement de nombreuses dépenses inutiles (remplacement des drapeaux sur les bâtiments officiels, les frontières, les uniformes, les formulaires administratifs ou encore les pièces d’identité et passeports), dans un pays qui reste l’un des plus pauvres au monde : en Mauritanie, le revenu moyen est de 850 euros par an...
Les fixettes d’Abdel Aziz n’ont pourtant pas de quoi faire sourire. Dans le passé, le président mauritanien a déjà démontré le peu de cas qu’il faisait de la démocratie. Sa réélection, en 2014, a ainsi été marquée par de nombreuses irrégularités, le dictateur s’arrogeant le score improbable de 82% des voix exprimées. Un « bon » électoral de presque 30% en quelques années, le président n’ayant, en 2009, reçu que 52% des suffrages. A l’image du dernier referendum, l’opposition avait boycotté ces deux scrutins.
Philippe Servoz
source legrandsoir.info