Le Calame : Quelle lecture faites-vous des manifestations, début Mai, contre les mesures gouvernementales visant à réguler le secteur du transport ? Le gouvernement a laissé entendre qu'il y aurait eu des entités manipulatrices, derrière ces violences. Partagez-vous son avis ?
Mohamed Jemil Mansour : Certes, l’organisation des différents secteurs est bien sollicitée et idoine ; certes, le secteur des transports a besoin, à l’instar des autres, d’ajustements et d’ordre… Mais le traitement de ces questions nécessite un bon niveau de sagesse et de progressivité, obligatoire, en plein respect de la fragilité de la majorité, écrasante, des transporteurs dont les conditions économiques et sociales ne leur permettent pas de s’adapter à un grand nombre de procédures simultanées.
Si l’on ajoute, à cela, que les lois et procédures ne sont pas appliquées, à l’ordinaire, sur les puissants, les riches et les influents, on comprendra pourquoi la riposte populaire fut si forte et apparente, nonobstant la fermeté de ses organisateurs sur son pacifisme, le premier jour. Mais d’autres parties qu’on peut deviner, par présomption et analyse, ont essayé de détourner cette riposte de son processus. Il y a eu des violences, unanimement condamnées et rejetées. Cela réveille une vieille dualité, traditionnelle : se taire ou entretenir la pagaille. Nous rejetons ces deux positions extrêmes et criminelles : se taire sur une injustice est un crime, au détriment de notre volonté de justice ; la pagaille en est un autre, au détriment de l’unité nationale et de la stabilité.
- Vous avez hérité de la présidence tournante du Forum National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU) au moment où le pouvoir décidait de convoquer un referendum, en dépit du rejet, par le Sénat, de la procédure d’amendements constitutionnels proposée par le dialogue de 2016. Que pensez-vous de la campagne déjà engagée par les supporters du pouvoir ?
- Il semble que le régime et les forces qui le soutiennent soient dans une situation confuse. Le referendum n’est ni convaincant, dans son objet, ni orthodoxe, dans sa voie, et ne remplit même pas, au niveau technique ordinaire, les plus élémentaires conditions. Nous avons décidé, au FNDU, de mobiliser la rue et de sensibiliser l’opinion publique, contre les amendements constitutionnels rejetés, tant dans leur conception, contenu et coût.
Président en exercice du Forum, je m’appliquerai, avec mes frères et sœurs, à sensibiliser le public, autant que possible, et à l’organiser pour des actions pérennes, en collaboration avec les diverses forces démocratiques de l’opposition, afin de faire échec à ce referendum et à son objectif.
- Que peut faire le FNDU, face à un pouvoir incarné par un homme « pas né pour perdre », selon ses propres dires ?
-Le sort est entre les mains du Divin Seigneur. Le gouvernant et tous les pouvoirs y sont assujettis. Certes, ce que font et appliquent ce président et ce régime est erroné, irrémédiablement gâté par de mauvais plans, anarchie et gestion catastrophique ; certes, les slogans qu’il brandit, en jouant sur l’émotivité des gens, s’avèrent irréalistes et inapplicables. Le FNDU est, lui, composé de pôles, partis et institutions obéissant à une méthode démocratique et à une méthodologie pacifique, confiante en ses résultats. C’est bel et bien le régime qui semble aller lui-même à sa perte, par son comportement et pratique. Et Dieu est Le Savant.
- Le recours à l’article 38 a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Ne craignez-vous pas que son usage soit un prélude au déverrouillage des articles relatifs à la limitation du nombre de mandats du président de la République ?
-Se référer à l’article 38 de la Constitution, pour faire passer ce referendum, est abusif et contraire à notre Loi fondamentale…L’amendement de celle-ci est un chapitre spécifique – le chapitre 11, avec ses articles 99, 100 et 101. Le referendum cité à l’article 38 n’a rien à voir avec la Constitution, un fait confirmé par l’article 40. En ce qui concerne le nombre de mandats, il est bien couvert et il n’ya aucun moyen d’y toucher, au vu de la Constitution actuelle, si ce n’est par un coup d’Etat.
-Au cours de sa prestation télévisée du 22 Mars dernier, le président a exclu tout dialogue avec vous, opposition dite radicale. Allez-vous, pour autant, boycotter les élections municipales et législatives anticipées, préconisées par l’accord du 20 Octobre dernier ?
- Pour ce qui est des déclarations du régime et du président afférentes au dialogue, elles manquent de crédibilité. Nous – pas seulement le FNDU mais toutes les forces de l’opposition démocratique – nous trouvons que le dialogue est une issue appropriée et souhaitable. S’il s’agit, bien entendu, d’un dialogue consensuel, équilibré et préparé pour préserver les intérêts du pays, de sa démocratie et de son avenir. Mais le comportement du régime, lors du dernier dialogue, a clairement prouvé son indisponibilité à une telle attitude consensuelle. Il préfère un dialogue dont les résultats sont fixés à l’avance, un dialogue contraire aux règles du jeu et n’ouvre donc pas la porte à l’égalité des opportunités.
S’agissant des élections parlementaires et communales anticipées, elles ne semblent pas assez poindre à l’horizon pour qu’on puisse prendre position. Les gens semblent se focaliser sur la problématique du referendum. Quoi qu’il advienne – élections anticipées où à terme prévu – le Forum en discutera, avec ses mécanismes et moyens, et prendra, le moment venu, les mesures qui s’imposent.
- Le FNDU s’est engagé dans la recherche d’une candidature unique à la prochaine présidentielle. Mais le FNDU est composé de politiques et de non- politiques. Comment donc entendez-vous vous y prendre ? Est-ce à dire, enfin, que le Forum prendra part à la présidentielle de 2019 ?
- Pour ce qui est de votre première question, il convient de préciser que le FNDU n’en est pas encore à rechercher un candidat unique pour la présidentielle de 2019. Tout ce qu’il a fait, c’est mettre en place une commission centrale, dénommée « Alternance 2019 ». Cette instance est chargée de discuter et préparer la vision du FNDU pour 2019. Il s’agit de concevoir et mettre en œuvre un programme et une stratégie. Les rumeurs évoquées ne sont donc pas fondées. Via « Alternance 2019 », le Forum entend trouver une approche commune, pour ce rendez-vous d’importance majeure. Quant à la participation à la présidentielle, la question sera tranchée au moment opportun.
- Tawassoul est un parti disposant de moyens conséquents et d’un ancrage politique majeur, dans le pays. Serait- il intéressé par la candidature unique du FNDU ?
- Tewassoul est un parti politique dont les moyens sont limités. Mais il compte sur de nombreux adhérents, sur toute l’étendue du territoire et des différents secteurs de la vie. Aussi connaît-il une situation confortable qui l’encourage à travailler dans un climat collectif et participatif. Ceci étant dit, notre parti est concerné par tout ce qui a trait à la participation et à la réflexion autour d’une candidature unique.
- Le président Ould Abdel Aziz avait déclaré, à Néma, qu'il n'y aurait pas d'alternance en faveur de l'opposition. Cette élection est donc, pour vous, perdue d'avance ?
-Depuis quand acceptons-nous tout ce qui se dit? Depuis quand les pronostics d’Ould Abdel Aziz se sont-ils révélés exacts ? Le peuple mauritanien – ce peuple qui a souffert et souffre de tous les maux – est seul à décider s’il y aura alternance ou pas, en 2019. Moi, j’ai l’intime conviction qu’il ne renouvellera pas le mandat du régime actuel.
- Après avoir rejeté les amendements constitutionnels, les sénateurs poursuivent leur bras de fer avec leur majorité. Entendez-vous mutualiser vos actions respectives ? Si oui, comment ?
- Nous apprécions, hautement, l’action de nos sénateurs qui ont eu le courage de rejeter les amendements constitutionnels. Depuis qu’ils ont posé leur geste, ils suscitent respect, estime et considération du peuple mauritanien. C’est d’ailleurs pourquoi ils sont la cible du pouvoir qui tente, par tous les moyens, de les atteindre ; de les humilier, même. L’arrestation du sénateur Ould Ghadda en est une parfaite illustration.
Certes, les sénateurs sont, aujourd’hui, un obstacle aux amendements constitutionnels que le pouvoir tente de faire passer par la force. Ils agissent tous dans le cadre d’un comité de suivi qui guide leur action, ce que nous apprécions à sa juste valeur.
- Le vice-président de Tawassoul a démissionné, suite, dit-il, à l’adhésion au FNDU de personnalités ayant contribué à l’établissement de relations diplomatiques avec Israel. Certains croient que cette démission est, plutôt, consécutive à des divergences entre ce député et la direction du parti. Qu’en est-il ?
- La démission du vice-président du parti, Mohamed Ghoulam ould El Hadj Cheikh, a été suffisamment débattue. Quelqu’en soit le motif ou l’objectif, la seule entité habilitée à statuer sur cette démission est le conseil général de la Choura : il ne s’est pas encore réuni.
- Avec le recul du temps, que pensez-vous aujourd’hui, du Printemps arabe qui a balayé plusieurs régimes du monde arabe ? Pourquoi n’a-t-il pas pris, en Mauritanie ?
-Le Printemps arabe fut une période importante et grandiose, dans l’histoire de la zone. Il a permis, à plusieurs peuples, de se débarrasser de régimes autoritaires et ouvert de nouveaux horizons. Il a prouvé, s’il en était besoin, que certains refusent l’oppression et cherchent la dignité et la liberté. Dommage que les choses aient évolué en sens contraire de cet objectif. L’intervention étrangère, appuyée par des résidus des régimes autocratiques, ont détourné cette révolution. Les conséquences furent, comme on le sait, hélas, des coups d’Etat et des guerres civiles. La révolution a bel et bien été dévoyée par des forces hostiles, intérieures et extérieures.
Quant à la Mauritanie, les conditions n’étaient pas réunies pour produire ce qui s’est passé ailleurs. Il n’est d’ailleurs pas objectif de comparer les situations. Les réalités sont différentes, il existe toute une diversité et complexité de résistances et d’oppressions, ce qui implique toute une diversité et profondeur de réformes et d’actions, à partir d’une évaluation sérieuse et prise en compte des réalités et particularités de chaque pays.
- Que vous inspire la disparition de l'ancien chef de l’Etat, Ely ould Mohamed Vall ?
- Le défunt président Ely ould Mohamed Vall était une personnalité éminente de l’opposition. Sa perte laisse un vide difficile à combler, d’autant plus qu’il joua, en homme d’Etat, un rôle primordial, à un moment critique de notre histoire nationale. La transition qu’il pilota aboutit à une importante expérience démocratique, torpillée, hélas, par le coup d’Etat du 8 Août 2008.
Propos recueillis par Dalay Lam
source lecalame.info