Le Calame : L’alliance électorale de l’opposition démocratique (AEOD) n’a pas réussi à s’entendre sur un candidat unique. Les discussions se sont enlisées presque. Sur quoi elles ont achoppé ?
Me Mahfoudh Ould Bettah : Je voudrais vous rappeler d’abord que le principe en politique est que chaque parti présente son propre candidat, à une échéance aussi importante que la présidentielle. La coalition étant l’exception. Les partis de l’alliance électorale de l’opposition démocratique (AEOD) ont opté pour cette exception. Mais l’idée du retour au principe n’est jamais exclue pour la simple raison qu’on est en présence de pluralité de partis politiques qui obéissent, chacun, en ce qui le concerne à ses propres contraintes, notamment politiques.
L’AEOD a été justement conçue dans la perspective de dépasser les logiques individuelles pour donner à l’opposition des chances de pouvoir peser d’un poids réel dans l’échéance de 2019. Nous étions conscients de la nécessité, pour chaque parti et pour l’ensemble des partis de privilégier cette option. Il se trouve, malheureusement qu’on n’a pas pu aboutir à la concrétisation de cette ambition.
Et pour répondre précisément à votre question, les discussions ont fini par achopper malheureusement sur les stratégies individuelles, les agendas partisans et l’absence de soucis réels à donner toutes ses chances à l’option prise.
Aucune des options envisagées (candidature interne, candidature externe) n’a pu emporter le consensus qui est la règle sur laquelle se fondent les décisions des cadres d’action commune de l’opposition (AEOD, FNDU et COD).
Il y a lieu très justement, d’exprimer beaucoup de regrets pour l’échec de cette option.
A ce niveau, je voudrais exprimer la position de notre parti, CDN ; celle-ci consistait, dès la signature de la déclaration commune à exprimer notre soutien à toute candidature interne qui ferait consensus. Cette position était largement justifiée par le fait que l’opposition, s’est structurée en partis depuis 27 ans et qu’elle compte en son sein de nombreuses personnalités pouvant susciter des dynamiques électorales gagnantes et assumer, valablement la plus haute charge de l’Etat.
Nous n’avons jamais dénié, leurs qualités indéniables aux candidats externes proposés, mais nous ne comprenons pas, non plus, que l’opposition soit contrainte à recourir à des personnalités qui lui sont externes.
-Cet échec que beaucoup d’observateurs attendaient, y compris dans vos propres rangs, ne vient-il pas signer la fin du « copinage » au sein de l’alliance mais surtout au sein du FNDU ?
-Il est fort à craindre que l’échec de l’option du candidat unique ne soit le début de la fin, pas du « copinage », comme vous le dites, mais plutôt du partenariat qui a été privilégié, jusqu’ici, par les partis de l’opposition.
Ceci étant, lors de la dernière réunion de l’AEOD, il a été convenu de maintenir le cadre de celle-ci pour, à la fois, obtenir du pouvoir les conditions que requiert une élection transparente et de reporter les voix sur le candidat de l’opposition qui se retrouverait au 2e tour.
- Parmi les raisons avancées pour expliquer les divergences figureraient la question des financements pour battre campagne et la représentativité de certains candidats potentiels. Y’en avaient –il d’autres, comme des raisons idéologiques ou politiques ?
- Les raisons de cet ordre (financier) ont été avancées, pour privilégier l’une des options, mais on ne s’est pas attardé sur cet argument qui n’a pas emporté la conviction de certains. En revanche, les raisons politiques et idéologiques ont au fond pesé et fini par l’emporter.
-Par cet échec, l’opposition mauritanienne ne vient-elle de faire un énième deuil de l’alternance démocratique?
L’absence de candidat unique est une perspective qui semble éloigner pour certains les chances s’une alternance au profit de l’opposition : mais malgré tout la pluralité des candidats n’a pas que des inconvénients. Elle fournit l’occasion de présenter une offre politique diversifiée qui a des chances de toucher tous les segments que n’aurait pas pu mobiliser une candidature unique. Si les règes du jeu seront respectées, la pluralité des candidats cesse d’être un handicap et pourrait même devenir l’option la plus pertinente pour réussir l’alternance démocratique.
-Quel crédit donner à l’engagement de vos deux camps de se retrouver derrière le candidat de l’opposition qui réussirait à mettre en ballotage le candidat du pouvoir ? Quelles chances pourrait avoir, selon vous, cette hypothèse de 2e tour?
-L’hypothèse d’un 2e tour est fort envisageable si comme je l’ai dit tantôt, les règles du jeu sont claires et respectées. Rien ne permet, à ce stade de mettre en doute l’engagement des partis de l’opposition qui prendraient part à ces élections, de se retrouver derrière le candidat de l’opposition qui mettrait en ballotage le candidat du pouvoir ; je dirai même qu’il pourrait bénéficier des voix des autres partis et candidats recalés qui, au fond voudraient voir le pays s’offrir une nouvelle ère politique.
-Dans la perspective de la présidentielle, une délégation de l’AEOD a rencontré le ministre de l’intérieur, suite à une correspondance qu’elle a adressée au gouvernement. Qu’attendez-vous du gouvernement dans le cadre de l’organisation du processus électoral ? La refonte de la CENI ou tout simplement son aménagement dont on parle depuis quelque temps suffirait-elle à vous rassurer ?
-Effectivement, une délégation de l’AEOD dont j’étais membre a rencontré le ministre de l’intérieur, par deux fois. Il s’agissait, pour le ministre d’obtenir de l’AEOD des précisions sur les différent points soulevés dans la correspondance de l’opposition qu’il a reçue le 8 février. Cette correspondance comportait un certain nombre de points : politiques et techniques.
Sur le plan politique, l’AEOD avait réclamé l’ouverture politique, notamment la fin des poursuites contre certaines personnalités politiques, syndicales, de la presse et des affaires, poursuivies dans des affaires éminemment politiques, l’ouverture des media publics aux forces politiques et sociales du pays, l’arrêt de toutes les mesures qui restreignent ou mettent en cause les libertés, la fin de la diabolisation de l’opposition etc.
Au plan technique, l’AEOD a réclamé, non pas un réaménagement de la CENI, mais une refonte totale de celle-ci. La CENI a été constituée sur des bases qui violent les lois qui l’établissent et précisent les modes de désignation de ses membres.
L’AEOD a réclamé le respect de deux principes :
- La CENI doit être paritairement composée du pouvoir et de l’opposition
- Ses membres doivent être choisis sur des critères de neutralité et de probité.
L’AEOD a également réclamé la mise à jour de la liste électorale en vue de permettre à tous les mauritaniens, à la fois de l’intérieur que de l’étranger en âge de voter de pouvoir accomplir leur devoir civique. Comme elle a réclamé la neutralité de l’Etat (administration, justice et armée…)
Enfin, elle a demandé la mise en place d’un observatoire national des élections et la présence d’observateurs étrangers.
Dans sa réponse, le ministre a promis de soumettre notre requête au gouvernement et nous donner la réponse de celui-ci lors d’une prochaine rencontre. Force est de constater, pratiquement deux semaines après cette rencontre que la réponse tarde à venir.
-Que vous inspire la déclaration du président Aziz sur la candidature de son compagnon d’armes, le général Ghazwani qui, d’après lui aurait pris la décision personnelle de se porter candidat à la présidentielle avant de recadrer en affirmant qu’il est bien le candidat de la majorité et que lui-même, l’UPR et le gouvernement le soutiendraient activement ?
-Je n’ai particulièrement pas suivi les déclarations du chef de l’Etat sur la candidature du général Ghazwani. Je suppose, en revanche que l’actuel chef a exprimé la volonté ferme de l’Etat de présenter la candidature du général Ghazwani comme une émanation de son pouvoir, à la fois de lui-même, de son gouvernement et de son parti, l’UPR. L’objectif d’Ould Abdel Aziz est d’encadrer au plus près, celui auquel, le pouvoir, selon lui, va échoir.
Ceci étant dit, le candidat Ghazwani semble vouloir se soustraire à cette emprise, en se déclarant candidat indépendant, ouvert à toutes les forces politiques et sociales autres que celles du pouvoir. Il est fort à craindre que le souci du chef de l’Etat sortant de continuer à peser de son poids sur le cours des choses et le souci légitime du candidat d’exercer la plénitude de sa charge sans en référer à son prédécesseur, ne soient l’occasion d’une rupture entre les deux hommes, qui, il faut l’espérer n’affectera pas la stabilité du pays et le bon fonctionnement de ses institutions.
-Au cours de cette sortie, le président Aziz a démenti les rumeurs selon lesquelles plus de 2 milliards de Dollars seraient gelés dans une banque à Abu Dabi, sur ordre des autorités américaines. L’énormité de la somme laisse beaucoup sceptiques. Que vous inspirent ces rumeurs qui interviennent en fin de règne d’Ould Abdel Aziz ?
Cette affaire n’et pas avérée, à ce stade, c’est pourquoi, vous me permettrez de ne pas en parler. Il s’agit de rumeurs comme vous le dites.
-A en croire certaines rumeurs, des partis politiques d’obédience négro-africaine seraient en discussion pour désigner un candidat unique. Que pensez-vous de cette option ?
- Je respecte le choix de tous mes compatriotes, mais je pense qu’il est temps que l’élite mauritanienne dépasse le cadre communautariste, tribaliste et régionaliste, notre peuple n’en a que trop souffert. Il faut que cette élite s’élève au dessus de ces loyautés et qu’elle accorde la primauté à la loyauté au pays et à la communauté nationale, dans sa globalité.
Les pouvoirs autoritaires se nourrissent de nos clivages et divisions communautaires. Un peuple divisé est une proie facile pour les régimes despotiques et corrompus.
-Votre parti, comme d’autres, a été victime d’une mesure de dissolution prise par le ministère de l’intérieur. En réaction, vous avez qualifié cette mesure de nulle, d’arbitraire et d’infondée. Que comptez-vous faire pour défendre vos droits ?
-La Convergence démocratique nationale (CDN) a été effectivement victime d’une mesure de dissolution qui manque manifestement de base légale. Les dispositions de l’article de la loi 24 – 2012, relatif à la dissolution ont été expressément abrogées par la loi 31 -2018. Cette dernière ne dispose que pour l’avenir, en vertu du principe qui voudrait que les lois ne sont pas rétroactives et sous la loi de 2018, il n’y a eu qu’une seule élection.
De plus, à considérer même que les dispositions de la loi 2012 n’ont pas été abrogées, ces dispositions ne sont pas applicables à la CDN parce qu’elle ne prévoit la dissolution que pour deux cas de figure seulement. Soit, une double participation, à l’occasion de l’une d’elle, le parti n’a pas obtenu le pourcentage requis, soit une double non participation successive. Or, notre parti, comme du reste plusieurs autres ont boycotté les élections de 2013 avant de participer à celles de 2018. A considérer que le boycott est une non participation, on n’aura pas participé une fois en 2013, et participé une fois, en 2018. Or, ce cas de figure n’est pas envisagé par la loi, en plus du principe que les lois qui portent sanction ne peuvent être appliquées à des cas qui n’y sont pas expressément énoncées…Si elles doivent être interprétées, c’est au profit de la partie contre laquelle leur application est requise.
Par ailleurs, il est à noter que les élections ayant fondé cette mesure sont des élections frauduleuses, et nous en avons en avons fait, nous en particulier à la CDN, les frais. Les instructions ont été données aux présidents des bureaux de votes, sur l’ensemble du territoire national, de falsifier nos résultats. Nous avons plusieurs extraits de PV, obtenus par forcing où nos résultats ont été complètement modifiés au niveau de la CENI. Tenez, pour illustrer mes propos, je vous cite le bureau de Benar, arrondissement de Male. Notre candidat a obtenu 217 voix mais la CENI ne lui reconnait officiellement que 4 voix. C’est le cas à Hachi Cheggar, à Sélibabi, dans les Hodhs et ailleurs. Apparemment, il y a comme une instruction pour réduire à néant nos résultats. Il y a lieu de préciser que nous étions par notre présence le 2è parti d’opposition après Tawassoul du point de vue du nombre de listes présentées par notre Parti : 63 listes municipales, 102 candidats à la députation et 9 listes régionales, ce qui a du effrayer le Pouvoir.
Nous avons la conviction que le peuple mauritanien n’a rien à nous reprocher, au contraire, il apprécie notre engagement pour la chose publique ; en revanche, le pouvoir en place nous en veut particulièrement parce qu’il a toujours considéré que nous sommes une opposition radicale ; il n’a pas donc hésité à se faire plaisir de nous créditer d’un pourcentage sur la base duquel, il finira par dissoudre notre parti.
A ce stade, nous avons introduit un recours en annulation contre cette mesure devant la Cour Suprême. Nous avons en même temps introduit une demande en sursis à exécution de l’arrêté du ministère de l’intérieur.
Propos recueillis par Dalay Lam
source lecalame.info