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Mauritanie : la descente aux enfers continue

Vendredi 27 Octobre 2017 - 09:38

La Mauritanie est un pays ambivalent. Vu de l’extérieur, « il bénéficie d’une image positive, sur les scènes régionale comme internationale », notait la journaliste Charlotte Bozonnet dans Le bilan du Monde en 2016. Ceci grâce, notamment, à son bilan sécuritaire et à son statut d’allié des Occidentaux dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Vu de l’intérieur, en revanche, le pays, dirigé depuis le coup d’Etat de 2008 par Mohamed Ould Abdel Aziz, un ancien général réélu en juin 2014 au terme d’un scrutin boycotté par l’opposition, a moins bonne presse — c’est un euphémisme. En cause, surtout : la volonté supposée de son chef de l’Etat de se maintenir au pouvoir.

En août dernier, la communauté internationale s’alarmait ainsi de voir le gouvernement dériver vers l’autoritarisme décomplexé, après qu’un sénateur extrêmement populaire, Mohamed Ould Ghadda, se soit fait arrêter dans des conditions mystérieuses. Tout juste le parquet avait-il annoncé son inculpation, sans trop donner de détails, pour des « crimes transfrontaliers et des actes visant à perturber la sécurité et la tranquillité publiques ». « Opposant farouche au régime de Ould Abdelaziz, adversaire déclaré du projet de réforme constitutionnelle visant à supprimer le Sénat, Ould Ghadda est devenu au cours des derniers mois la figure de proue de la Mauritanie qui s’oppose au Président » notait La Tribune Afrique.

Un événement qui n’est pas sans rappeler « les pires heures » du pays, d’après certains observateurs, « où les opposants étaient enlevés de nuit, emmenés vers des destinations inconnues, certains d’entre eux disparaissant définitivement ». Le sénateur est en effet la seconde personne enlevée en deux mois. Une crispation du régime mauritanien due notamment aux récents revers politiques qu’il a rencontrés, autour de la réforme constitutionnelle vivement souhaitée par le pouvoir. L’une des mesures les plus décriées, la suppression du Sénat, avait empêché Mohamed Ould Abdel Aziz d’obtenir une majorité au Parlement ; « En supprimant le Sénat, il s’est attaqué aux fondements de l’architecture sociale complexe de la Mauritanie et s’est coupé de ses bases » renseignait une source proche du président.

« L’esclave mauritanien est attaché par son éducation »

En août dernier, les habitants ont donc voté à 85 % en faveur de l’abolition de la chambre haute, à l’issue d’un référendum boycotté par une petite moitié de la population et boycotté par l’opposition. Celle-ci déclarant d’ailleurs que ce recours au vote populaire donnait « à Abdel Aziz un trop grand pouvoir de décision et lui [ouvrait] la voie à la suppression des limites du mandat présidentiel » selon l’agence de presse Reuters.

Pour les principaux opposants, le référendum n’était ainsi qu’une tentative du président de renforcer son pouvoir et repousser son terme. Jusqu’à quand ? C’est l’une des principales inconnues, aujourd’hui, en Mauritanie. Si le principal intéressé déclare régulièrement qu’il quittera ses fonctions une fois leur terme arrivé, tout laisse à penser le contraire.

En marge du référendum d’août dernier, des militants de l’opposition étaient descendus dans la rue de Nouakchott, la capitale, pour protester contre les manœuvres du gouvernement. « La Mauritanie n’a jamais connu de transfert de pouvoir pacifique et les hauts fonctionnaires se sont prononcés en faveur de la levée des limites de durée, actuellement fixées à deux mandats » renseigne Reuters.

Pas étonnant, par conséquent, que les citoyens expriment de plus en plus leur mécontentement. D’autant plus que le pays demeure l’un des rares à recourir encore à l’esclavage, pratique pourtant abolie en 1981, et malgré plusieurs appels du pied, les gouvernements successifs refusent de reconnaître son existence. Et mettent tout en œuvre pour prouver à la communauté internationale qu’il s’agit d’un non-sujet en Mauritanie.

« Aujourd’hui, l’esclavage n’existe plus [dans le pays]. Les allégations faisant état de marchés d’esclaves ou de l’existence de personnes asservies sont fallacieuses et mensongères » a récemment affirmé le commissaire adjoint aux droits de l’Homme en Mauritanie, Rassoul Ould El Khal. Afin de prouver sa bonne foi, le pouvoir a d’ailleurs mis en place trois tribunaux spéciaux pour connaître des cas d’esclavage ; de la poudre aux yeux, pour les associations mauritaniennes qui militent non seulement pour l’abandon de toutes les formes de soumission humaine, mais également pour une évolution des consciences.

Car, loin de l’image d’Epinal de la femme ou de l’homme enchaînés et contraints par la peur de travailler, « l’esclave mauritanien est libre de ses mouvements, mais attaché par son éducation » explique Boubacar Messaoud, lui-même ancien esclave, au pure player Le Devoir.

La croissance ralentit et la faim augmente

Alors que l’année 2015 a été particulièrement marquée par la répression des militants du mouvement anti-esclavagiste, il y aurait aujourd’hui environ 4 % de la population (soit 155 000 personnes) réduite en esclavage en Mauritanie, selon la Walk Free Foundation. Qui classe le pays au 121ème rang sur 167 en ce qui concerne les réponses apportées à la lutte contre ces pratiques. Tous les indices liés aux libertés à l’intérieur des frontières convergent d’ailleurs vers le même point. Alors que l’indice mondial de l’esclavage estime que la Mauritanie est vulnérable à hauteur de 47 %, l’ONG Freedom House estime que le degré de liberté de la population, entre 2008 et aujourd’hui, a chuté de « partly free » à « not free  ».

Enfin, si les autorités mauritaniennes semblent perdre légèrement pied, ces derniers temps, c’est que la situation économique et sociale du pays s’est passablement dégradée. « Après plusieurs années de faste liées aux prix élevés des matières premières, la Mauritanie pourrait souffrir de la chute des cours du minerai de fer, sa principale richesse, a prévenu, en juin 2015, le FMI en annonçant une croissance ralentie à 4,1 % en 2015, contre 6,4 % en 2014 » d’après Charlotte Bozonnet. A ces chiffres, potentiellement inquiétants, s’ajoute le problème beaucoup plus grave de la malnutrition infantile ; dans son dernier rapport, publié en octobre 2017, le Global Hunger Index a confirmé la dégradation de la situation mauritanienne en la matière.

Une opposition qui se fait entendre, une économie qui décline et une société qui va mal, entre la faim rampante et l’esclavage toujours d’actualité ; voilà ce que propose en 2017 Mohamed Ould Abdel Aziz à la Mauritanie. Cette situation pourrait d’ailleurs empirer si le chef de l’Etat décidait de bouder la Constitution pour briguer un troisième mandat ; il n’y a qu’à regarder un peu plus au sud-est, en République démocratique du Congo (RDC), où Joseph Kabila, dont le mandat présidentiel a expiré en décembre dernier, s’accroche toujours au pouvoir, et plonge son pays dans l’insécurité et le marasme social et économique.

 

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