Le 21 mars 2018, il y a un an jour pour jour, le tribunal pénal d’Aioun, capitale de la Région (wilaya) du Hodh El Gharby (à l’est de la Mauritanie), a condamné à une peine de 10 ans de prison ferme un père de famille. Son crime : avoir violé six de ses filles âgées de 12 à 26 ans – seule la plus jeune y a échappé. L’homme était détenu depuis neuf mois déjà, après que les filles et leur mère (divorcée) aient déposé une plainte. Le fait lui-même, comme nombre d’autres qui défraient régulièrement la chronique mais qui font, au mieux, figures de faits divers, est révélateur d’un climat d’insécurité qui entoure bon nombre d’adolescentes et de femmes mauritaniennes. Cette insécurité, elle existe dans le foyer comme dans l'espace public, et trouve sa source au sein d’une société patriarcale complexe et traditionnelle, récemment urbanisée et où la question des violences sexuelles demeure l’objet d’un certain tabou – malgré le travail de quelques militantes féministes ou activistes.
Face à ce phénomène, une jeune femme, associée à des maîtres en arts martiaux (des hommes) et à leurs disciples (des femmes), s’est engagée depuis plus de deux ans à mettre en place des cours de self-défense afin d’outiller les jeunes femmes de Nouakchott contre les agressions. Regard sur cette initiative innovante qui érige les femmes comme actrices de leur sécurité.
« Je ne suis pas d’accord que les hommes sont des fauves et que les femmes devraient s’armer. Mais il y a quand même l’idée que les femmes ne peuvent pas compter sur eux, et doivent donc devenir actrices de leur sécurité ». Ces mots sont de Dioully Oumar Diallo, initiatrice du projet RIM Self Defense. Ils résument assez bien à quoi la problématique des violences sexuelles contraint les femmes en Mauritanie. Bien qu’elles y soient très courantes, les agressions sur les femmes et les adolescentes sont encore un tabou dans ce vaste pays du Sahel. Quelques cas de viols ont bien défrayé la chronique ces dernières années (en particulier ceux de Penda Sogué et de Kadji Touré en 2013), mais notamment parce qu’ils s’étaient accompagnés d’un meurtre et d’actes de torture. Sans cela, la plupart des viols demeurent largement tus pour éviter le déshonneur à la victime. Les associations travaillant dans le secteur s’accordent pourtant sur le constat : au quotidien, le phénomène constitue un vrai enjeu de sécurité pour les femmes.
Pour lutter contre ce fléau, rares sont les initiatives qui dépassent le stade des discours à l’occasion de journées commémoratives telles que le 8 mars. Quelques associations, comme l’Association des Femmes Cheffes de Familles (AFCF) ou l’Association Mauritanienne pour la Santé de la Mère et de l’Enfant (AMSME), disposent certes de locaux pour accueillir tant bien que mal les victimes de violences. Mais très peu d’actions semblent menées pour prévenir, en amont, les violences. Les femmes sont, la plupart du temps, considérées comme des êtres faibles, comme des « petites sœurs » qu’il faudrait protéger.
Pourtant, depuis près de deux ans, une initiative a pris de l’ampleur pour répondre concrètement à ce problème, à contre-courant de la pensée dominante. L’objet : mettre en place des cours de self-défense dans les quartiers de la capitale. Une démarche d’autant plus innovante en Mauritanie qu’elle rend les femmes en actrices de leur propre sécurité, et qu’elle leur permet d’aborder les sujets relatifs à leur épanouissement physique et moral.
De l’application TaxiSecure à l’ouverture de salles de self-défense : chronique d’une approche innovante de la lutte contre les violences sexuelles
Diplômée en Master Réseau-Télécom à Dakar, Dioully Oumar Diallo a piloté le projet RIM Self Defense depuis ses débuts, et coordonne aujourd’hui les activités. Son engagement dans la lutte contre les agressions, notamment dans l’espace public et les transports, n’est pas nouveau. Elle nous raconte : « Il y avait un premier projet d’abord, qui s’appelle TaxiSecure, qui a commencé en fin 2014. Plusieurs personnes de mon entourage ou moi-même avions vécu des intimidations, voire des agressions à bord des taxis… C’était une espèce de tendance qui a atteint un pic en 2013 et 2014. Il y a eu malheureusement le cas de l’une des célèbres victimes, Penda Sogué, qui a été kidnappée à bord d’un taxi, violée puis tuée […]. Il n’y avait pas encore ''TaxiSecure'', il n’y avait pas ce nom-là. C’était juste une idée : comment faire pour prévenir les agressions à bord des taxis ? Il y avait cette hantise pour les parents, une fois que ta sœur ou une autre femme sort de la maison, tu es là au téléphone : ‘‘est-ce que tu es bien arrivée ? Est-ce que tu as pris le taxi ?’’ Cette hantise-là, beaucoup de gens la vivaient. Puis est venu le lancement du MauriApp Challenge [une compétition de projets d’applications mobiles, lancée en 2014 à l’initiative de l’association mauritanienne Hadina RIMTIC]. C’était une occasion de concrétiser quelque chose, et c’est là qu’est née TaxiSecure, et qu’avec un collègue on a développé l’application ».
TaxiSecure consiste en une application mobile, téléchargeable gratuitement, et qui permet de vérifier l’identité et la régularité des taxis, sur la base de sa plaque d’immatriculation. En outre, l’application doit permettre, en cas de danger ou de soupçon sur un taximan, d’envoyer un SMS d’alerte à ses proches, puis de géolocaliser le téléphone en cas d’enlèvement ou d’agression. Mais, bien qu’arrivé en troisième position du concours MauriApp Challenge, le projet s’est rapidement confronté à des obstacles, en tête desquels le refus des autorités publiques de collaborer en partageant les données sur les taxis enregistrés. D’autres limites sont apparues, nous explique Dioully : « Après le lancement de l’application et sa mise en ligne sur Google Play, on s’est rendu compte qu’il manquait quelque chose, que ça n’impactait pas par rapport à tout ce qui se passait, les viols, les agressions… Même si l’application est utile, elle reste limitée. D’abord parce que tout le monde n’a pas un smartphone. Même si on entend souvent que la Mauritanie aurait un taux de pénétration du mobile de 125%, ce n’est pas tout le monde qui a un smartphone. Et même quand on a un smartphone, ce n’est pas tout le monde qui est connecté à Internet ou qui aura du crédit au moment d’une agression… Il y a tellement de choses qui limitent l’application TaxiSecure ».
Et de poursuivre : « Donc c’est là qu’est venue l’idée : pourquoi ne pas outiller les femmes elles-mêmes, à développer des capacités à pouvoir se défendre en cas d’agression ? » Mais un premier constat s’imposait : il n’existait pas de formations en techniques d’autodéfense à Nouakchott. Il existait, en revanche, des salles d’arts martiaux et de sports de combat : karaté, judo, taekwondo, viet vo dao, kung fu, ju jitsu, boxe, etc. « Avec un ami, on a visité des salles et on a pris contact avec des maîtres en arts martiaux […]. À l’issue de ces différents contacts, il a été convenu de mettre en place un programme commun de self-défense, qui soit issu du karaté, du ju-jitsu, du kung fu et du judo ». Ce sont une douzaine de maîtres qui ont ainsi été réunis et invités à construire, sur la base des techniques d’auto-défense de leurs différentes disciplines, le contenu d’un programme complet de self-défense. Durant près de deux ans, entre juin 2016 et juillet 2018, les maîtres se sont réunis au moins une fois par semaine, à la Maison des Jeunes de Nouakchott, et ont élaboré un programme.
Parallèlement, un travail a été mené pour identifier des jeunes femmes disposant déjà d'un certain niveau en arts martiaux, et qui puissent elles-mêmes devenir, à terme, formatrices. « L’idée était que les techniques qui composent ce programme soient enseignées à des femmes qui ont elles-mêmes des bases en arts martiaux et qui sont, pour la plupart, issues des mêmes écoles et salles que les maîtres. Maintenant, elles ont été formées sur une durée de presque deux ans, et sont devenues elles-mêmes des formatrices aptes à former d’autres filles dans différentes communes de Nouakchott ».
Parmi ces formatrices, nous avons l’exemple de Fama, dans le quartier de Zatar, à Dar Naïm, en banlieue de Nouakchott. Élève de kung fu depuis près de trois ans, elle s’est investie dans le projet depuis ses débuts, et dispense désormais (en binôme avec une autre formatrice) ses cours auprès d’une quinzaine de filles, sous la supervision de trois maîtres de kung fu. Elle témoigne : « Je faisais les arts martiaux, le kung fu, et j’ai rejoint ce projet de self-défense pour les femmes […] Avant, je ne voyais pas les avantages. Mais maintenant, je les vois : pour moi, pour les jeunes femmes, et pour ma maison – car les cours ont lieu chez moi. L’autre jour, l’une de mes élèves, âgée de 16 ans, allait à l’école. Elle suit l’école au quartier de Tounsouwelim, qui n’est pas à côté. Sur le chemin, un bandit a essayé de l’agresser, de l’attraper. Elle l’a mordu, elle l’a giflé, et l’homme l’a laissée. Elle n’a pas utilisé les techniques elles-mêmes, mais elle a réagi. Elle a elle-même dit que les cours l’ont aidée à réagir. Ça lui a donné du courage ».
De la nécessité de faire tomber un certain nombre de préjugés et de tabous qui entourent la question des violences
La réalité du harcèlement et des violences sexuelles en Mauritanie, y compris dans les lieux et les transports publics, va de pair avec une condition de la femme marquée par les interdits et pressions sociales résultant du poids des traditions, qui constituent un frein à leur épanouissement individuel et collectif : mariages précoces, contraintes morales et vestimentaires, vision négative du sport et des loisirs féminins, persistance des pratiques de l’excision et du gavage en fonction des communautés, etc. En somme, un système de domination de la femme qui multiplie les mécanismes de contrôle de son corps et de son esprit, à tous les âges de la vie (Entre soumission et manipulation sociale : quelle condition pour la femme en Mauritanie ?).
Parallèlement, il convient de souligner que le système judiciaire protège insuffisamment, et que la criminalisation du viol fait d’ailleurs l’objet d’un flou juridique dans le Code pénal. Les juges se saisissent souvent des articles sur l’adultère (zina) qui culpabilisent aussi la victime (La question du viol en Mauritanie : le tabou peut-il sauter ?). Pour autant, conscience doit être prise que le viol constitue un acte d’une violence inouïe qui prend facilement le pas sur la vie des victimes – en plus de représenter une menace perpétuelle pour toutes les femmes. Prendre simplement le taxi une fois la nuit tombée revient déjà à prendre un risque, en particulier en direction des quartiers périphériques, où la délinquance est plus grande, où l'éclairage public est parfois inexistant, etc.
L’approche utilisée par l’initiative RIM Self Defense impose de dépasser un certain nombre de clichés sur les femmes, sur les violences sexuelles et sur les enjeux de sécurité. Tout d’abord, elle rappelle que, certes, le viol constitue bien une violence terrible, ainsi qu’un enjeu aigu de sécurité pour toutes les femmes, mais aussi qu’il n’est pas une fatalité. Il s’agit d’un problème de société contre lequel il faut lutter. Ensuite, elle souligne que les femmes ne sont pas des objets de plaisir, mais que leur corps leur appartient. Qu’elles sont, comme les hommes, des êtres humains à part entière, et que comme telles, elles ont droit au respect et à la sécurité, qui est une condition essentielle au bonheur et à l’épanouissement. « Depuis le bas âge,nous dit Dioully, la femme est modelée, destinée à satisfaire, à faire plaisir, à nourrir le fantasme des hommes, à travers le gavage, le massage, la finesse chez les Peuhls par exemple. […] Le projet RIM Self Defense joue là-dessus parce que les femmes doivent déjà savoir que leur corps leur appartient. Elles ne doivent pas être destinées à être un produit de satisfaction ou bien de plaisir. […] La première chose que fait ce projet, c’est de donner conscience aux filles qui participent qu’elles ont un droit sur leur corps, qui n’est pas destiné à autrui. Elles ont droit de prévenir qu’elles ne sont pas un bonbon, ‘‘qui passe peut toucher’’, ‘‘qui passe peut faire des remarques déplacées’’ ».
L’idée de cours de self-défense s’est construite de façon cohérente, pour répondre de la façon la plus concrète possible à la problématique des violences sexuelles tout en mettant les femmes en avant. Cette initiative vise tout à la fois à mettre en place des lieux de formation en techniques d’autodéfense, dans chaque quartier de Nouakchott, et qui constituent aussi des espaces d’échanges, dans le but de lever les tabous et de tisser des liens forts de solidarité entre femmes. Dioully Oumar Diallo nous explique : « Au niveau de ces salles, il n’y a pas que les formations en techniques de self-défense. Ces salles sont des espaces de discussion entre les filles, qui échangent sur des thématiques qu’elles ne peuvent pas échanger ailleurs, par exemple. On a remarqué un bond, une grande progression. Certaines ont vu leurs résultats scolaires s’améliorer, d’autres disent qu’elles ont davantage de facilités à s’exprimer. Parce que ces salles-là ne représentent pas que le lieu d’une activité physique, mais un espace où se retrouver, où communiquer, où échanger librement, sans aucun tabou… Bref, un espace propre à elles. Pour une fois, elles savent se retrouver librement, dans un espace qui leur est propre, et aborder des sujets qui leur tiennent vraiment à cœur. […] Elles sont là entre filles, elles s’habillent comme elles veulent, elles discutent sans tabou, sans avoir peur qu’on leur dise ‘‘T’as pas le droit de dire ça, il y a un parent qui t’écoute’’ ».
Les cours de self-défense ont donc un objectif à court terme, à savoir répondre à l’urgence sécuritaire des agressions. Mais les espaces d’échanges et les liens de solidarité créés dans les salles ont un impact de plus long terme. Les pressions sociales ou familiales limitent souvent l’épanouissement physique et psychologique, individuel et collectif des femmes mauritaniennes (pratique d’activités physiques ou intellectuelles, connaissance de son propre corps et de sa propre sexualité, etc.). Les séances de formation sont l’occasion de passer des messages sur un certain nombre de thèmes, et d’offrir aux participantes un espace d’expression et d’échanges. L’idée est aussi que les entraînements en groupe suscitent des liens de solidarité et une conscience collective féminine, tout en contribuant à une réappropriation, par les filles, de leur propre corps. Les formations en techniques d’autodéfense ne constituent pas une fin en soi. Elles s’inscrivent dans une démarche plus large de lutte contre les violences et en faveur de l’émancipation progressive des femmes au sein de la société mauritanienne.
Le défi d’une pérennisation difficile à assurer
Tout ce travail a été rendu possible par l’engagement bénévole des formatrices qui enseignent les techniques, et des maîtres qui les coachent. Un appui financier du Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC) de l’Ambassade de France, survenu deux ans après le démarrage de l'initiative, a permis d’ouvrir et de prendre en charge pour une durée de six mois les dépenses de sept différentes salles. À ce jour, cinq d’entre elles sont opérationnelles : la première au niveau du quartier de Socogim PS, dans la commune du Ksar ; une deuxième dans la commune d’Arafat, près du carrefour Msid-Nour ; une troisième dans la commune de Toujounine, non loin de la route de l’Espoir ; une quatrième dans la commune de Dar Naïm, près de l’hôpital Cheikh Zayed ; et une cinquième à la nouvelle Maison des Jeunes, derrière la Mosquée marocaine. Dans les quatre premières, plus d’une quinzaine de jeunes femmes s’entraînent, gratuitement, plusieurs jours par semaine. La fréquentation est régulière, et encourageante.
Mais les difficultés font florès également : les moyens manquent, à la fois pour assurer la continuité de l’initiative depuis la fin du financement de la coopération française, et pour permettre d’ouvrir de nouvelles salles – y compris dans des quartiers où des nouvelles formatrices et des maîtres ont été identifiés. Une telle initiative a l’avantage d’être très concrète et efficace, mais elle demande inévitablement un soutien et un effort continus pour la location ou la mise à disposition des salles et d’un minimum de matériel. Or, la demande est déjà parfois trop forte pour les capacités des salles en fonctionnement. Aujourd’hui, tant bien que mal, l’initiative persiste grâce aux cotisations, mais « si on ne trouve pas une autre solution, nous explique Dioully, ces salles-là risquent de fermer, et les filles qui sont avec nous depuis le mois de juin dernier vont perdre cet espace qui leur permettait de s’outiller face aux agressions, mais aussi de discuter, d’échanger, d’être elles-mêmes. […] Donc ce serait vraiment dommage ».
Par ailleurs, la thématique des violences sexuelles est complexe, de sorte qu’une initiative telle que RIM Self Defense n’est pas sans risque et sans contrainte. La communication, notamment, doit faire l’objet d’un travail important (pour attirer des jeunes filles motivées et en nombre) mais surtout subtil, car il y a des réactions réticentes, soit au principe d’une initiative qui aborde la question des violences sexuelles, soit au principe d’activités physiques et sportives pour les filles. Dioully nous raconte encore : « Certaines filles disent qu’une femme ne doit pas faire de sport parce qu’elle aura le corps dur, et que ce n’est pas du goût des hommes. Moi-même, j’ai aussi eu des femmes qui m’ont mis en garde parce que l’activité physique pourrait causer la perte de la virginité des filles. Il y a beaucoup de préjugés ».
La façon d’aborder le sujet et le vocabulaire utilisé doivent être construits de sorte que les parents comprennent l’urgence sécuritaire relative aux violences sexuelles, et qu’il ne s’agit pas d’apprendre à leurs filles à se battre mais simplement de conseils pour éviter les situations dangereuses et de quelques techniques pour s’échapper de situations violentes. À cet égard, les formatrices ont elles-mêmes, évidemment, un rôle à jouer, car elles sont les plus à même de répondre aux premières questions des filles et des parents. « On n’est pas en train de former des combattantes, se plaît à répéter Dioully. Ces filles ne deviendront pas des Robocop ou des Rambo, l’idée est juste qu’elles puissent échapper à une situation d’agression, non qu’elles cherchent la confrontation physique. L’idée est de développer leurs capacités, leur sixième sens en sachant identifier les situations dangereuses. Ces filles ont le droit de se défendre face à une personne qui veut leur faire du mal ».
Plusieurs risques ou obstacles sont liés à des questions de société, ainsi qu'aux préjugés relatifs à la condition féminine ou aux violences sexuelles. Par exemple, l’idée que les femmes qui portent certaines tenues ou qui sortent à certaines heures « provoqueraient » leurs agressions. Les artisans du projet doivent donc redoubler d’effort pour être à l’écoute et à la disposition des filles, de leurs parents, et pour essuyer les critiques vis-à-vis d’une telle démarche. La meilleure réponse étant la démonstration par la preuve. Mais là aussi, des changements sont à l’œuvre : « Il y a une prise de conscience, nous décrit Dioully. Dans la salle de la commune de Toujounine, pour toutes les filles, ce sont leurs papas qui les ont emmenées. Ces espaces-là, les filles les fréquentent parce que leur famille accepte. Des mamans sont venues dans les salles. Ça veut dire que les parents ont pris conscience du danger, et commencent à pousser leurs filles à apprendre à se défendre ».
Pour rassurer, il est aussi essentiel que les jeunes femmes suivent leurs cours dans de bonnes conditions. Or, les salles d’entraînement, à Nouakchott, sont aujourd’hui sous-équipées. La location de salles et leur équipement en bonne et due forme sont donc un facteur clé de succès de l’initiative.
En outre, il convient d’insister : la progression de l’initiative, sa réussite, n’aurait été possible sans l’investissement des maîtres en arts martiaux et sports de combat depuis plus de deux ans, en amont des cours, pour construire le programme de formations et concevoir les techniques enseignées. Ce mode participatif a eu pour effet de les motiver à faire du projet un succès. L’initiative est bénévole, mais le matériel et l’équipement achetés bénéficient aussi aux cours en arts martiaux des maîtres (partage dutatami hors des heures de cours d’autodéfense par exemple).
L’idée est que chacun y trouve son compte : les jeunes femmes à travers les cours de self-défense, et les maîtres dans leur discipline. Et quoi de mieux pour cela que de mutualiser les moyens ? L’un d’entre eux, Elhassan Kanté, aujourd’hui en charge du suivi de la salle située au quartier Socogim PS et initialement maître en karaté, nous éclaire sur la méthodologie : « On s’est basé sur les différentes disciplines, telles que le karaté, le kung fu, etc., pour mieux en adapter les techniques au niveau des femmes qui viennent dans les salles. […] On a conçu un ensemble de techniques très simples à faire, et on les a mis en place en confiant plusieurs parties à des filles. En faisant des simulations aussi. […] Du côté des maîtres, ça a été compliqué parce que chacun voulait proposer des techniques un peu difficiles. Il a fallu les adapter pour en faire des techniques simples, pour que les filles restent motivées à venir s’entraîner. Car la plupart des femmes pensent qu’en faisant une discipline qui ressemble un peu au karaté, on va endurcir leur corps. Et ça, elles n’aiment pas cette idée. Il fallait donc rester sur des techniques simples ». À la question de savoir quelle difficultés le projet a pu rencontrer, Kanté nous répond de suite : « Le temps, surtout ! Deux heures de temps dans une semaine, ce n’est pas suffisant pour le self-défense. Parce que ça demande une préparation physique d’abord, pour des filles qui pour certaines n’avaient pas de niveau, et une préparation psychologique. Il y a beaucoup de choses à faire ! Le self-défense, ça demande de savoir courir un minimum, se déplacer, taper… Et il faut apprendre à être confronter à des situations à risque, faire des simulations. On met les filles en pratique. […] Certaines filles ont du niveau, mais d’autres partent de zéro. Aussi, on a plus travaillé sur les situations à risque après-coup. À la fin du projet, on a fait beaucoup d’exercices de simulation ». Il ajoute enfin : « J’ai fait moi-même plusieurs découvertes [dans le cadre de RIM Self defense] : j’ai pu connaître certaines personnes telles que les filles qui sont là, et partager un espace d’intérêts avec elles et avec les autres maîtres ».
« Je n’accepte plus les choses que je ne peux pas changer. Je change les choses que je ne peux pas accepter ». Cette phrase d’Angela Davis, militante américaine de l’afro-féminisme née en 1944, pourrait bien résumer l’état d’esprit qui anime la démarche de Dioully et des autres activistes sincèrement convaincues de la nécessité de lutter contre les violences, et pour cela d’outiller les jeunes femmes. La lutte continue, mais elle ne peut être faite que de discours, de photographies de groupe et de conférences symboliques. Elle avance grâce au travail de terrain, grâce aux actions accessibles aux femmes les plus exposées à la violence, dont les droits sont généralement bafoués dans l’indifférence générale, dans une forme de tolérance à la pauvreté et à la soumission. Grâce à des actions concrètes dirigées vers ces femmes issues de quartiers invisibles lors des sommets internationaux. Vers ces femmes souvent absentes de l’actualité politique, des débats sur l’avenir du pays, des préoccupations des classes dirigeantes. À ces femmes qui souhaitent changer les choses qu’elles ne peuvent plus accepter, et devenir ainsi maîtresses de leur destin.
Pour plus d'informations, rendez-vous sur la page Facebook de Taxi Secure - RIM Self Defense ou sur la page YouTube « Taxi Secure – RIM Self Defense ».
source lallumeurdereverbere.over-blog.com