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un grain de sable pour secouer la poussière...

Mauritanie /Par Ahmed Ould Mouhamed Sidya

Vendredi 22 Juin 2018 - 08:40

Mauritanie /Par Ahmed Ould Mouhamed Sidya
1- Les tentes
 
L’échange rituel de salutations que font deux Mauritaniens qui se rencontrent commence toujours, bien sûr, par le salut de l’islam « Assalamou aleykoum » c’est-à-dire « La paix soit sur vous » et se poursuit par des questions sur l’état de chacune des deux personnes, de leur famille, de leurs parents, de leurs enfants s’ils en ont, de l’état général « Est-ce qu’il n’y a pas de mal ? » « Est-ce qu’il n’y a que le bien ? » et peu après « Quel est l’état des tentes ? ». Cette question à propos des tentes commence à disparaître, parce que justement « les tentes » ont presque disparu, du moins sous leur forme antique. Mais, de temps en temps, on l’entend quand même, restée comme un vestige dans le langage de l’hospitalité chez certaines personnes. D’autres l’ont carrément remplacé par « Quel est l’état des gens de la maison ? ».
 

La tente et la maison se livrent un combat sans merci depuis que cette dernière a eu l’audace de franchir les frontières de l’autre, d’une façon certes progressive (peut-être pour ne pas attirer l’attention) mais sérieuse, se présentant sous forme de hutte, de case, puis de chambre isolée, de petite maison puis de villa et enfin d’immeuble, différentes manifestations d’une même réalité qui reste là où elle est, lourde, paresseuse, indifférente au temps qu’il fait alors que la tente, elle, se déplace tout au long de l’année et parcourt des centaines de kilomètres dans un perpétuel mouvement.

 
Après beaucoup de péripéties, où ce conflit a pris des formes différentes, chacune des protagonistes prend le dessus à l’occasion : la maison a occupé des territoires qui appartenaient à la tente, mais il n’est pas rare de voir une tente sauter sur le dos d’une maison, enfonçant ses griffes et ses crocs dans la chair bétonnée comme pour en sucer le sang ou se mettant dans la cour juste devant les portes des chambres comme pour asphyxier cette intruse. Durant les trêves, on les voit cohabiter sagement comme deux grandes amies.
 

Les Mauritaniens entreprennent depuis quelques années une médiation discrète, assurant la maison que l’avenir lui appartient et qu’elle n’a qu’à faire preuve de sagesse et de patience, soufflant à la tente qu’elle n’a rien à craindre parce que, quoi qu’il arrive, ils ne pourront jamais se passer de l’une de pièces maîtresses de leur patrimoine et qu’au moins durant les trois meilleurs mois de l’année, ils l’accompagneront loin, « toujours plus loin », là où rien ne viendra les interrompre. Avec le temps et la mondialisation, des signes d’apaisement pointent à l’horizon et bientôt un plan de paix sera appliqué et la hache de guerre définitivement enterrée.
 

Pour ceux qui ont vécu le temps des tentes, le souvenir les poursuivra jusqu’au fond des chambres, les tirant parfois de leur lit où souvent il fait chaud et où parfois des moustiques indiscrets jouent leur funeste musique, leur rappelant que naguère ils ont dormi sur leurs deux oreilles sous une tente plantée sur une dune là-bas en brousse.
 
Oui, à un moment donné, tous les Mauritaniens nomades vivaient sous la tente en brousse où ils étaient groupés en campements suivant une répartition tribale.
 
Nous étions tous parents dans notre campement, malgré la présence de quelques tentes qui à l’origine n’appartenaient pas à notre tribu, mais que nous considérions comme des nôtres comme le veut  la règle de bon voisinage recommandée par notre Islam.
 
Il y avait une cinquantaine de tentes de dimensions différentes, dispersées sur un ou deux kilomètres carrés environ, non loin d’un puits qui leur appartenait parfois ou qui appartenait à une autre tribu, ce qui généralement ne pose plus de problème. Tout le monde envoyait ses animaux boire au puits et paître dans ses environs et tout le monde envoyait ses outres et les récupérait remplies d’eau pour la consommation domestique.

 
Autrefois il y a eu des guerres entre tribus à cause justement des puits, mais depuis quelque temps c’est la paix qui règne et chacun accepte l’autre même si parfois le cœur n’y est pas, car la terre, selon la loi, appartient maintenant à l’État.
 
Les grandes tentes du campement étaient faites de laine noire et leur taille était variable, les tentes blanches faites en tissu étaient généralement celles des serviteurs, des bergers, des artisans qui représentaient des classes sociales répandues dans la société mauritanienne et qui avaient chacune un rôle à jouer.
 
Les serviteurs de couleur noire que certains n’hésitent pas à appeler « esclaves » étaient de braves gens sur lesquels reposait le gros de ce qu’il y avait à faire dans un campement : ce sont eux qui préparaient le repas, qui amenaient l’eau, qui faisaient boire les animaux, qui pliaient les bagages lors des déménagements et les dépliaient lors des arrêts, qui coupaient les arbres pour clôturer les tentes ou former un enclos pour le bétail, qui trayaient les femelles laitières et qui partaient à la recherche du bétail si celui-ci s’éloignait.

 
Il y avait des tentes (par le mot tente, on désignait la famille) qui possédaient quelques familles de serviteurs et d’autres qui n’en possédaient aucun. La possession des esclaves en Mauritanie, qui était une réalité indiscutable et même une source de fierté avant l’indépendance, est passée par plusieurs étapes avant de devenir sinon inexistante, du moins un tabou dont mieux vaut ne pas parler. C’était certainement l’une des séquelles de la société primitive que certains justifient par l’histoire et la religion. Depuis un certain temps, les Droits de l’Homme ont eu raison de la théologie et du matérialisme historique.
 
Notre famille n’ayant pas de serviteurs, nous avions toujours été servis par ceux des parents et plus tard par ceux que mon père engageait moyennant un salaire qui revenait au début à leurs « propriétaires », puis avec l’évolution était redevenu le leur.
 
Je me vois obligé de parler de deux cas qui sont restés accrochés à ma mémoire malgré tous les « détergents » auxquels elle a été soumise.
 
  • El Moloud, c’est le nom d’un serviteur qui appartenait à la tente paternelle de ma mère et qui était le seul à s’occuper de notre quartier composé de sept tentes. Ce brave monsieur se réveillait le premier tous les jours que Dieu fait et commençait sa journée par traire les vaches de chacune des tentes, le nombre de ces vaches variait bien sûr d’une famille à l’autre et de saison en saison. Il ramassait toutes les outres du quartier (de deux à quatre par famille), les mettait sur ses épaules s’il n’avait pas, la veille, entravé un âne, et s’en allait au puits qui se trouvait à une distance de deux à quatre kilomètres du campement. Il restait au puits le temps qu’il fallait pour remplir les outres et trouver le nombre d’ânes nécessaire pour les ramener (un âne pour deux ou trois outres maximum). Il revenait généralement en début d’après-midi, déposait les outres devant chaque tente, versait celles qui devaient l’être dans le ou les seaux et accrochait les autres à côté de la tente. En même temps, il récupérait la quantité de mil que chaque famille destinait à son dîner et revenait sous sa tente. Il avait en effet sa propre tente où il vivait seul. Après un petit moment de repos où il déjeunait sommairement et prenait son thé, il entreprenait la préparation d’ "el-aich"  (des galettes faites à partir du mil). Il avait son mortier et son pilon, sa grosse marmite et le reste du matériel nécessaire. Il pilait le mil, le tamisait, allumait son feu et mettait sa marmite remplie d’eau dessus. Après ébullition de l’eau, il y versait la farine et au bout d’un moment commençait à remuer avec force jusqu’à obtention d’une pâte presque solide. Il réunissait les calebasses autour de sa marmite et commençait la distribution et bien qu’il ait pris le mil entier, il connaissait exactement la correspondance entre la quantité initiale et la taille de la galette qui revenait à chaque famille. La préparation d’el-aich se terminait vers la fin de la journée et El Moloud faisait alors le tour des tentes pour livrer le « gâteau » comme on l’appelait. Au crépuscule on le voyait courir dans toutes les directions pour attacher les veaux de chaque famille parce que c’était le moment où les vaches revenaient. Juste après il repassait pour traire les chèvres dont le lait était destiné aux jeunes enfants qui dormaient tôt.
  •  
  • Une heure et demie ou deux heures après, il entamait la traite des vaches, commençant par allumer un feu de brindilles pour chauffer la « tadit » ( récipient en bois de forme cylindrique dans lequel on trayait les vaches) et qui devait toujours être chauffé pour obtenir un lait avec beaucoup de mousse, donc plus agréable à voir et à boire. Ensuite il allait de tente en tente jusqu’à ce que la traite soit finie. Il revenait chez lui avec ce qu’il avait pu trouver comme lait, sucre, thé et autres dons de Dieu. Chaque famille était bien sûr disposée à lui donner tout ce qu’elle pouvait... Il recevait ses amis avec lesquels il prenait son thé nocturne, qui finissait quelque part dans la nuit. Voilà pour le quotidien immuable de notre cher El Moloud. Lors des déplacements c’était encore lui qui pliait les bagages et les mettait sur le dos des bêtes au départ, les descendait et les dépliait lors des arrêts. Il lui arrivait souvent de porter sur son épaule un enfant malade ou faible, donc incapable de marcher pendant tout le trajet. J’aimais beaucoup El Moloud qui était pour nous, les enfants, un proche parent et un ami, il nous recevait au moment de la distribution d’el-aich, nous donnait à chacun un morceau, il nous surveillait et ne manquait jamais de nous ramener à l’ordre si l’un de nous commettait une bêtise même si cela demandait parfois une gifle ou un coup, nous encaissions et évitions de recommencer sans aucune rancune. El Moloud ne s’était jamais marié, les mauvaises langues attribuaient cela à un problème physiologique, mais à y regarder de près, il pouvait tout simplement s’agir d’un problème de temps. Lorsque, plus tard, notre campement s’était rabattu sur la ville, El Moloud avait décidé de rester en brousse où il s’accrochait à sa vie de toujours. Il allait de campement en campement et n’accepta de venir en ville que lorsqu’il était devenu presque aveugle. Ce fut pour nous un grand plaisir de le revoir, son émotion à lui était telle qu’il ne pouvait s’empêcher de pleurer quand nous venions lui rendre visite. Il se sentait plus captif en ville où il n’avait rien à faire et son état de santé se dégradait petit à petit. Adieu la brousse, la liberté, bonjour le déchéance… Il mourut comme n’importe quel citadin, dans l’anonymat.
 
 
 
  • Fatma les veaux, c’est le nom d’une servante que mon père avait engagée pour travailler chez nous lorsque nous nous étions installés définitivement en ville. Un jour je remarquai que mon père se préparait à partir en voiture dans les environs de Boutilimit, je me renseignai et sus qu’il avait pris contact avec une femme qui avait des serviteurs à « louer » et qu’après accord, il avait pris une voiture pour amener notre future bonne. Je demandai à l’accompagner et nous montâmes dans la Land-Rover. Une demi-heure après, nous nous arrêtâmes devant l’une des tentes d’un campement poussiéreux à une vingtaine de kilomètres. Mon père descendit de la voiture, dont l’arrivée créait un véritable remue-ménage, et se dirigea vers des femmes assises à l’ombre de la tente. J’étais resté dans la voiture et je promenais mon regard sur ces paysages désolés que j’avais connus jadis verdoyants et pleins de vie. Cinq minutes après, une femme se leva et commença à appeler en direction de ce qui fut une tente située cent mètres plus loin, et dont il ne restait plus que quelques morceaux attachés les uns aux autres. Peu après une petite silhouette se détacha de ces loques et en s’approchant prenait petit à petit une forme humaine.
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  • C’était une petite servante d’environ un mètre cinquante, elle portait un enfant accroché à son sein et avait pour tout vêtement une espèce de pagne troué de partout qui entourait sa taille et descendait jusqu’aux genoux. La femme lui ordonna, quand elle fut à une vingtaine de mètres, de monter dans la voiture pour accompagner celui chez qui elle travaillerait en ville. Candide n’avait pas besoin d’aller à Surinam ; à vingt kilomètres de Boutilimit, il y avait des nègres et des négresses. Profondément choqué par le spectacle, mon père sursauta et, après un échange de paroles pas très douces avec la femme, appela notre future bonne et se dirigea vers la voiture d’où il sortit un voile en guinée qu’il ordonna à la servante de porter. Comme elle n’en avait jamais porté, elle ne sut que faire des dix mètres de tissu flambant neuf. Elle avait commencé à trembloter en s’approchant de la voiture qu’elle regardait avec des yeux hagards. Ses pas étaient hésitants et lorsque mon père lui remit le tissu, son visage fut pris de contorsions sur toute sa surface comme si quelque chose allait se passer. C’était un sourire égaré qui se frayait un passage pour atteindre ses pauvres lèvres. Elle s’enveloppa un peu n’importe comment dans son voile, prit son courage à quatre mains et grimpa dans l’arrière de la voiture. La femme qui l’avait appelée suivait, incrédule, la scène et comme elle venait d’être violemment prise à partie par mon père, elle chuchota : « C’est la fin du monde ! Fatma les veaux qui porte un voile en guinée !… » Mon père la toisa d’un regard plein de mépris et lui jeta qu’ "on ne doit pas traiter les humains de la sorte ". Nous repartîmes pour Boutilimit et malgré la proximité de la ville, la pauvre eut un mal de terre terrible. Elle commença à vomir dès que la voiture se mit en route et quand nous arrivâmes, elle était trop fatiguée et l’arrière de la voiture complètement sali. Le conducteur, son cousin, était énervé et dégoûté au point d’en oublier ce lien de parenté.
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  • Depuis quelques années il vivait en ville et c’était un chauffeur! Ma mère et mes sœurs accoururent pour aider cette pauvre femme et son enfant à descendre de voiture et prendre soin d’elle. Elle reprit connaissance peu après et n’en crut pas ses yeux lorsqu’elle remarqua qu’on s’occupait d’elle, qu’elle portait correctement son nouveau voile et que son fils dormait tranquillement. Cette nuit-là, elle mangea pour la première fois à sa faim et dormit d’un sommeil profond et réparateur. Le lendemain, après une grasse matinée à laquelle ma mère avait tenu, elle se réveilla, prit son petit déjeuner, donna à manger à son enfant et pria Dieu pour les gens qui l’entouraient de tant d’attentions. Je partis à Nouakchott, la capitale où j’étudiais au Lycée national, le seul lycée du pays et en revenant quelques mois après en vacances, je retrouvai notre bonne installée dans une tente qui lui appartenait, avec une malle, des vêtements pour elle et pour son enfant qui commençait à grandir. Elle connaissait la ville, elle parlait, elle se révoltait parfois et revendiquait son salaire que mon père envoyait, comme convenu, à sa « maîtresse ». Les vacances suivantes, elle n’était plus là. Elle était allée installer sa tente quelque part en ville et, d’après les dernières nouvelles, était sur le point de se marier… Adieu la maîtresse, le campement et vive la liberté !
 
Quant aux bergers et aux artisans, contrairement aux serviteurs qui étaient noirs, eux avaient la même couleur que le reste de la population.  Les bergers eurent à un moment donné comme spécialité de s’occuper de l’élevage des ovins, caprins et surtout des chameaux et cela se transmettait de père en fils. La même chose a dû se passer pour les artisans dont la spécialité était le travail du bois, des métaux et du cuir. L’utilité de ces différents groupes était évidente néanmoins la société ancienne les traitait comme étant inférieurs. Ils avaient pourtant produit des hommes de grande valeur : des saints, des érudits, des héros qui s’étaient imposés malgré la position sociale d’origine. Actuellement, les grandes valeurs dont s’était toujours vanté le peuple mauritanien, à savoir l’honneur, l’honnêteté, la prodigalité, la sagesse, la droiture et surtout la fidélité dans les engagements se rencontrent surtout dans ces groupes qui semblent les prendre en charge après que les autres se soient résolus à en être de moins en moins dignes… signe des temps. Il n’en reste pas moins que parmi eux, comme parmi leurs maitres, il y a des individus qui méritent le mépris que la société leur a toujours réservé, a eux. Rien à faire, le fouet du temps a suffisamment remué, malaxé, trituré la société mauritanienne pour que l’effet de ces anciennes divisions sombre lentement dans la cohue de la survie.

J’ai failli oublier un autre groupe social qui est omniprésent en Mauritanie sauf chez nous où ils ont toujours été de passage : ce sont les griots.
À Boutilimit, il n’y avait aucun griot résident et comme tout au long des huit premières décennies du XXe siècle, ce village était un passage obligé, beaucoup de griots en ont fait le tour. Mais les gens de Boutilimit n’avaient jamais compris le « bon usage » pratiqué partout ailleurs, la preuve en était que la première griotte qui avait séjourné à Boutilimit et qui certes était une des meilleures voix de son époque avait laissé la gent masculine complètement désemparée. Elle n’était pas très belle mais elle avait été tour à tour l’épouse de deux des plus grands hommes de la ville.

 Dans les autres régions de Mauritanie, les griots ou artistes avaient pour mission de rendre les gens heureux : ils chantaient, jouaient de leur instrument de musique (Tidinit pour les hommes, Ardine pour les femmes) et vivaient généralement avec les guerriers qui les entretenaient et les protégeaient. En contrepartie, ils se chargeaient de célébrer leur « maître » en chantant son éloge avec toujours beaucoup d’exagération.

 
Notre campement menait une vie d’une tranquillité que pratiquement rien ne perturbait. Le réveil était toujours matinal dans cette brousse merveilleuse que nos ancêtres ont sillonné dans toutes les directions au gré des pâturages pendant des siècles et que nous malheureusement n’avons eu à connaître que peu d’années à cause de l’école et de la ville qui envahissaient ces contrées lointaines et surtout de la sécheresse qui s’est abattue sur notre région à la fin des années soixante. J’étais encore enfant et passais les vacances scolaires en brousse pour approfondir mes connaissances du Saint Coran, que la scolarité venait perturber chaque année au mois d’octobre. Entre six heures et demie et sept heures du matin, la plupart des enfants qui apprenaient le Coran avaient fini la première phase de la classe coranique matinale qui consistait à réciter ce qui était écrit sur les tablettes depuis deux ou trois jours en commençant par la face où ils avaient écrit la veille et surtout en insistant sur l’autre face. En effet, si la première est remplie, la seconde doit être lavée pour y écrire à nouveau. Son contenu doit  être bien fixé, car on n’aura plus l’occasion de l’avoir sous les yeux. Certains étaient en train de réciter leurs sourates, c’est-à-dire ce qu’ils avaient réussi à mémoriser depuis qu’ils avaient commencé à apprendre le Coran et qui variait de l’un à l’autre, selon l’âge et la date à laquelle ils avaient commencé l’apprentissage. On en trouvait qui récitaient tout le livre saint par cœur.

Les jours se succédaient et se ressemblaient. La vie n’offrait pas grand-chose malgré son extrême beauté quand on y réfléchit maintenant. Les enfants s’occupaient des petits travaux qui leur étaient confiés par le maître et qui consistaient essentiellement à conduire les veaux après le départ de leur mère, à aller chercher du bois pour la préparation d’éventuels repas et parfois à ramener les chameaux si un voyage était programmé.

En fin de matinée on s’apprêtait à écrire : chacun a bien sûr son « calame » et on prépare l’encre qu’on "gratte". On prend une grosse pierre creusée ou un morceau de marmite en forme de petite cuve, on y verse une petite quantité d’eau et on commence à gratter avec un morceau de charbon de bois jusqu’à obtention d’un liquide noir et lourd. On y ajoute un morceau de gomme arabique obtenu à partir de la sève des acacias gommiers qu’on remue et qu’on gratte aussi. L’encre ainsi obtenue apparaît clairement sur nos tablettes en bois et y reste tant qu’elles ne sont pas lavées à l’eau. Notons qu’avec cette encre et ces calames, des bibliothèques entières ont été écrites et existent encore aujourd’hui.

On relisait ce qu’on avait écrit, on le corrigeait, on déposait les tablettes et on s’esquivait. L’après-midi, on revenait juste après la prière de Dohr, c’est-à-dire vers 14h30 ou 15 heures, on reprenait les tablettes, on devait réciter par cœur ce qu’on avait écrit le matin et gare à celui qui n’y arrivait pas. Il subissait le châtiment du maître et serait la risée des autres élèves. On récitait les sourates et vers dix-sept heures, on était libre sauf si le maître avait des tâches à confier à certains élèves, comme par exemple ramener les veaux à l’enclos… Au crépuscule, certains revenaient pour relire leur tablette et réciter leur sourate.

On revenait à l’aube pour reprendre la journée avec la lecture des tablettes, ceux qui venaient le plus tôt étaient bien sûr les mieux appréciés. C’est pour cela que certains élèves venaient toujours avant l’aube et allumaient le feu de bois pour lire à la lumière des tisons.
L’école coranique du campement était mixte et les élèves garçons et filles restaient ensemble sans que cela n’attire l’attention de personne et parfois même on s’adonnait à des petites scènes derrière les « bagages », en cachette bien sûr parce que si on nous surprenait, s’aurait été catastrophique. J’avoue que j’avais un peu de culot, parce que j’ai toujours eu une petite amie et assez souvent, Dieu me pardonne, je profitais des moments de la prière où tout le monde était occupé pour obtenir mon petit baiser que la complicité de ma partenaire faisait passer inaperçu.
 

Le reste du temps chacun ou chaque groupe avait son programme pour la matinée. Ce programme consistait la plupart du temps à sortir du campement pour jouer à n’importe quoi jusqu’à la mi-journée. Les jeux étaient divers. Il y avait le jeu des osselets, situés dans les pattes arrière des ovins et des caprins au niveau de l’articulation, qui se détachent facilement  et que les enfants collectaient. Ceux des gazelles avaient une valeur supérieure. Ce jeu consistait à aligner les petits osselets, à raison d’un ou de plusieurs osselets par joueur selon la convention, à tirer un petit trait visible juste derrière les osselets "Edbeb", à aller jusqu’à une certaine distance dans la direction du petit trait avec trois pierres de taille différente et à lancer ces pierres l’une après l’autre en cherchant à frapper un osselet sans toucher le petit trait, la troisième pierre doit être jetée de telle sorte qu’elle s’arrête à une distance raisonnable des osselets parce que, quand tous les joueurs ont fini de lancer les pierres comme décrit plus haut, ils reprennent les mêmes pierres pour lancer de nouveau chacun à partir du lieu où sa troisième pierre s’était arrêtée. Celui dont la troisième pierre s’est arrêtée le plus loin est le premier à tirer. Ils visent à nouveau les osselets et chacun cherche à en faire tomber le maximum, sans se soucier du petit trait qui n’a plus d’importance. Il y a toujours des gagnants et des perdants et le jeu s’arrête si la plupart des joueurs n’ont plus d’osselets ou si le temps du jeu est terminé.

Il y avait aussi les jeux de balle. La balle est un petit morceau de peau d’animal circulaire cousu au pourtour avec un fil de peau sur lequel on tire pour avoir un petit sac qu’on remplit de tissu et qu’on ferme avec le même fil de peau, de telle sorte que le tissu ne puisse plus sortir et que la forme devienne ronde. La balle ainsi obtenue a servi à des générations et des générations, avant que la balle de tennis actuelle ne vienne nous en détourner, nous les « civilisés » d’aujourd’hui.

Je me rappelle bien les trois sortes de jeux de balle que j’ai eu à pratiquer. Le premier consiste à s’arracher la balle : les enfants sont divisés en deux équipes où chaque joueur est muni d’une canne à tête courbée pour mieux soulever la balle. On place la balle à distance égale entre deux buts désignés d’un commun accord entre les deux équipes et qui sont matérialisés approximativement (cela peut être un arbre ou une dune). Le jeu commence et chaque joueur cherche à servir l’un de ses coéquipiers pour atteindre le but. La balle circule entre les joueurs qui au sein de l’équipe sont organisés à peu près comme dans ce qui sera appelé plus tard le football, il y a des attaquants et des défenseurs, mais il n’y a pas d’arbitre ni de hors-jeu. L’équipe qui atteint la première le but avec la balle se proclame gagnante ce qui donne parfois lieu à des cérémonies, car il arrive que les équipes viennent chacune d’un campement et ainsi le jeu devient compétition.

Le deuxième ressemble un peu à ce qu’on appelle maintenant le base-ball. Il peut être individuel ou par équipe :
    Au jeu individuel, la balle est soulevée le plus haut et le plus loin possible par un joueur à l’aide d’un bâton, cette fois sans courbe à l’extrémité et le joueur qui réussit à l’attraper en l’air vient frapper à son tour, celui qui garde la balle le plus longtemps est le vainqueur.
   Par équipe, ce sont les joueurs de chaque équipe, de préférence peu nombreux, qui font un demi-cercle autour d’un joueur de l’équipe adverse. Celui-ci soulèvera la balle avec sa main entre eux et chacun essaie de la toucher avec son bâton pour l’envoyer en l’air, tous les membres de l’autre équipe essaient alors de l’attraper avant que la balle ne touche le sol. Si l’un d’entre eux réussit, c’est au tour de la deuxième équipe de frapper.

  Le troisième est un jeu collectif où deux équipes composées d’un nombre pair de joueurs font un tirage au sort pour déterminer celle qui va « chevaucher » l’autre. Le jeu consiste à faire circuler la balle en la jetant entre les joueurs de l’équipe qui sont juchés chacun sur le dos de l’un de ses adversaires qui, courbé, se tient stoïquement les genoux. Si la balle tombe, les « cavaliers » descendent et courent vers un but déterminé à l’avance, pendant que les « chevaux » cherchent à atteindre l’un d’eux avec la balle avant qu’il n’arrive au but. S’ils réussissent, ce sera leur tour de chevaucher.
 
Je reviens au terme « bagages » pour me rappeler ces habitations que sont les tentes : ce sont de grandes tentes faites de laine d’ovins qui nécessitent un travail immense ; cela d’ailleurs fait dire aux gens que c’était une femme jalouse qui avait été la première à en fabriquer. Après la tonte des ovins, on bat la laine jusqu’à ce qu’elle devienne propre et on en fait des fils qui seront enroulés sur la quenouille. Puis on les étend entre deux poteaux pour en faire un long rouleau qu’on met dans l’eau pendant un certain temps et après l’avoir séché, on le roule en fuseaux. Avec ces boules (pelotes) on commence le tissage. Le métier à tisser est composé de deux ensouples retenues par la pique de chacune et de la longueur voulue pour la « bande ». La largeur est déterminée par la longueur de l’ensouple. On installe les lisses au milieu du fil de chaîne. Il y a aussi le peigne, la navette (ou fil de trame), une baguette d’envergure, mais il n’y a pas de pédales et je crois que c’est la seule différence entre ce métier à tisser ancestral et celui plus moderne avec des pédales.

Le temps nécessaire pour tisser une bande d’à peu près cinq mètres de long sur soixante-dix à quatre-vingts centimètres de large en moyenne est d’une à deux semaines selon la disponibilité de la tisseuse. Les tentes sont faites à partir des bandes ainsi obtenues à raison de sept, neuf ou onze bandes par tente selon la position sociale de la famille. Le nombre de bandes est toujours impair et le jour de la confection est toujours un grand moment. Tout le monde en parle et toutes les femmes du campement se rassemblent chez l’heureuse famille, car c’est un événement aussi important que la construction d’une villa dans une zone résidentielle aujourd’hui.
Cette confection est une affaire de femmes et commence par l’étalage de ces bandes l’une à côté de l’autre entre deux grosses cordes dépassant la largeur de la tente de deux mètres, bien tendues entre deux piquets et de chaque côté desquelles seront fixées ces bandes qui seront aussi cousues l’une à l’autre par un gros fil de laine. Il y a toujours deux petites bandes de vingt à trente centimètres de largeur, mais de longueur égale aux autres bandes, qui seront ajoutées à la dernière bande de chaque côté et on prend soin de glisser un fil blanc apparent tout au long du côté extérieur de ces petites bandes en guise de décor.

Au milieu de la bande centrale, on place une petite crête en fil de coton qui surplombe les mâts et qui est entourée d’un cordon blanc qui parcourt deux ou trois bandes dans tous les sens et qu’on appelle le « collier » de la tente. Sur les deux grosses cordes, on place un crochet aux quatre angles de la tente et de deux à cinq crochets au milieu de chaque corde selon l’envergure de la tente. À ces crochets seront suspendues d’autres cordes moins grosses et longues de cinq à six mètres. On peut ainsi avoir de huit à quatorze cordes accrochées à la tente. Aux coins, on installe les quatre piliers auxquels on accroche les parties qui débordent de la grosse corde. Les autres cordes sont attachées à des piquets disposés à distance. La fin de ce travail représente une fête pour les enfants qui assaillent la tente et celui qui choisit le premier la bande centrale a droit au meilleur cadeau, généralement un morceau de sucre avec une poignée de biscuits ou d’arachides. Les autres auront chacun un petit quelque chose. Par cette offrande la famille célèbre l’achèvement de sa demeure. Ainsi fait, la tente est soulevée grâce à deux mâts aiguisés à l’extrémité qui se croisent au milieu de la bande centrale sous la crête, dans un morceau de bois en forme de demi-cercle creusé de chaque côté pour recevoir leur pointe. On tire sur toutes les cordes et la tente s’élève majestueusement. Sous la tente, on installe une charpente en bois ressemblant à un lit de camping, sur laquelle on met les malles ou les sacs en cuir qui contiennent les éventuelles provisions, les habits et tout ce que la famille possède. Elle est placée généralement à l’ouest des mâts ou bien parfois entre les mâts pour diviser la tente en deux parties. Cette charpente et ce qu’il y a dessus s’appelle « le bagage ».

On étale les nattes qui sont généralement faites avec les tiges d’une herbe reliées par des fils de cuir et qu’on place à même le sol, elles seront au nombre de deux ou trois, selon la surface disponible et parfois il y en a une en réserve qu’on peut placer devant la tente quand il fait chaud ou s’il y a des hôtes. La famille vit sous la tente, le père, la mère, les enfants, les cousins s’il y en a, les hôtes quand ils viennent. Tout le monde dort, mange ensemble sous le même toit. On laisse quand même un petit espace entre les femmes qui se placent généralement près du bagage et les hommes qui se tiennent un peu plus loin.

Voilà pour l’habitat. Pour ce qui est de la vie, elle est exclusivement basée sur le bétail, ovins, caprins, bovins ou camélidés dont on consomme le lait et la viande. Quant aux équidés, essentiellement des ânes, ils puisent l’eau du puits et transportent les bagages lors des déménagements assez fréquents, peu avant, pendant et peu après la saison des pluies. Au puits, on attelle deux ou trois ânes au bout de la corde avec laquelle on tire l’eau du fond qui atteint parfois quarante mètres et les gentilles bêtes vont et viennent jusqu’à ce que les bassins se remplissent et que les animaux finissent de boire. Alors on remplit les outres et on les charge sur leur dos jusqu’au campement. On leur donne un répit tout en les entravant pour qu’ils ne s’éloignent pas, car le lendemain ils recommenceront la même corvée et s’ils ne sont pas retenus ils seront tout à fait disposés à fausser compagnie et dans ce cas c’est la soif. « Pouquoi tant de mépris pour cet animal… ».

Le déménagement est une manie chez nous, on se déplace incessamment huit mois sur douze et même parfois toute l’année pour des raisons de pâturage ou d’eau ou de bénédiction. Car parfois on juge que l’endroit n’est pas béni et on le quitte. C’est le nomadisme.
Il y a deux sortes de nomadisme : le grand nomadisme est pratiqué par les dromadaires et leurs bergers, qui parcourent parfois jusqu’à sept cents kilomètres pour aller se nourrir d’herbes particulièrement riches qui poussent dans le désert. Le petit nomadisme, lui, se situe dans un espace d’une centaine de kilomètres et connaît des étapes presque régulières que j’ai pratiquées pendant une dizaine d’années.  

Nous habitions Tinyarg à cent soixante kilomètres à l’est des côtes atlantiques dans les environs d’un grand village, Boutilimit et presque toujours nous nous trouvions là à la fin de la saison sèche, à une quinzaine de kilomètres à l’est lorsque les premières pluies atteignent une zone située quarante kilomètres plus loin, où l’herbe pousse rapidement et où il y a surtout des marigots qui retiennent l’eau durant plusieurs semaines. Des éclaireurs sont envoyés pour faire l’état des lieux. Si la situation est satisfaisante, le campement se prépare à bouger. C’est la mobilisation générale et pendant un ou deux jours on réunit le bétail, on envoie chercher des provisions en ville, généralement du sucre et du thé vert, la boisson thymoanaleptique de ces nomades. Le mot d’ordre du jour est « contracte tes muscles, les gens déménagent », slogan rappelé aux jeunes qui doivent faire preuve de courage et d’endurance. Tôt le matin, on plie bagage et on peut voir tout le monde s’affairer : qui attache quelques objets ensemble pour les rendre plus transportables, qui ramène les ânes et les dromadaires qui vont porter les bagages, qui réunit le bétail qui sera mené à la prochaine étape. Au bout d’une heure à peu près, tout ce beau monde fait mouvement et là on n’entend plus qu’un mélange de bruits et de voix, bruits des animaux qui marchent et des bagages qui grincent sur le dos des ânes et des dromadaires, voix des gens, les uns sifflant derrière les animaux, les autres appelant quelqu’un pour rééquilibrer les bagages inclinés sur le dos d’une bête, d’autres encore mènent les ânes chargés avec des « arrr… » qui ne finissent pas.

Ce cri-là est destiné aux ânes et on remarque que certains savent le dire mieux que d’autres.  Il arrive que des bagages tombent et les hommes accourent pour les remettre en place, il arrive aussi qu’une personne tombe et on le remonte sur la bête. Ce sont généralement les vieillards, les femmes et les enfants qui, ne supportant pas la marche, montent entre les bagages placés d’un côté comme de l’autre du dos de l’animal. On s’arrête parfois pour donner à boire à un enfant en versant de l’eau contenue dans les outres dans une petite écuelle que la mère donne à son ou ses petits pour les désaltérer et on continue comme ça jusqu’à la prochaine étape. La distance parcourue dépend du climat, de l’état des animaux et des personnes. Il arrive qu’on s’arrête pour une seule nuit le temps de se reposer et de permettre aux animaux de le faire.  Dans ce cas on décharge les bagages sans les déplier et on passe la nuit à la belle étoile, car défaire la tente pour la replier le lendemain est une entreprise éprouvante.  Parfois, on campe pendant quelques jours et on repart vers cette région où l’hivernage commence tôt et qu’on appelle « Aftout ».

C’est une étendue plate d’environ trente kilomètres de long et quinze de large, au sol caillouteux par endroits, avec une végétation dense,  beaucoup d’arbres et de l’herbe à perte de vue et surtout beaucoup d’eau, car le sol ici retient l’eau de pluie et les rivières et les marigots se succèdent dans tous les sens. Et tout le monde s’accorde au bonheur de fouler l’herbe menue. Il n’y a plus qu’à choisir là où s’installer. Les spécialistes savent qu’à chaque espèce animale convient une espèce végétale donnée et assez souvent la dispersion du campement se fait sur cette base : les vaches, les chameaux et les ovins occupent chacun leur coin. Les propriétaires des chameaux et des ovins sont en perpétuel déplacement, mais ces déplacements font parfois moins d’un kilomètre, histoire de changer de pâturage.
C’est l’abondance, il y a beaucoup de lait, beaucoup de viande et beaucoup d’herbe fraîche. Les hommes et les animaux changent d’aspect, après le teint cuivré de la saison sèche on blanchit, on récupère ses forces et au bout d’un mois à peu près c’est le retour, car il a plu partout et les moustiques commencent à perturber la quiétude nocturne de ce monde. Dès que les plantes éphémères qui couvrent le sol après la pluie sont au milieu de leur cycle, ces bestioles surgissent, encouragées par la présence de l’eau stagnante et rendent la vie difficile dans tout l’Aftout. On rebrousse donc chemin et on revient à Tinyarg.

C’était un itinéraire presque immuable jusqu’à la fin des années soixante, lorsque la région fut frappée par une sècheresse effroyable qui décima le bétail, tua des milliers de personnes et entama la destruction de l’environnement, entrainant un déséquilibre total de l’écosystème. Nous refusâmes d’y croire pendant deux ou trois années et nos déplacements devinrent beaucoup plus longs. On parcourait jusqu’à une centaine de kilomètres, espérant trouver des espaces encore vivables pour le peu d’animaux qui restaient et pour les hommes qui s’accrochaient à cette vie, qui leur semblait la seule digne d’être vécue.

On eut beau persister, rien à faire, malgré les longs voyages, les recherches, tout était fini. Les arbres que nous contournions et qui semblaient se dessécher, dont les troncs laissaient apparaître des rides semblables à de grandes plaies mal cicatrisées, c’étaient des acacias gommiers sur les branches desquels nous étions venus récolter la gomme arabique pour les jeunes filles du campement. Sous leur ombre, nous avions vécu les moments les plus innocents de notre vie. Ils semblent vieillir et ne nous remarquent même plus, alors qu’ils nous accueillaient autrefois « à branches ouvertes » et accompagnaient nos manèges enfantins de mouvements de feuillage et même parfois nous arrosaient de fleurs avec une complicité manifeste.

Plus loin, je me suis trouvé en train d’écarquiller les yeux : est-ce que ce sont bien là les restes du vieux baobab qui veillait sur le grand marigot à côté duquel nous nous arrêtions toujours pendant quelques semaines ? De ce majestueux arbre sous lequel se sont arrêtés tant de vaches, tant d’hommes, qu’il couvrait de son ombre épaisse, leur procurant ainsi  les conditions idéales d’une petite sieste bien méritée, il ne reste plus qu’un amas de branches à moitié ensevelies. Le grand marigot a laissé la place à une flaque grisâtre dans laquelle se vautre une vieille ânesse.  Ce marigot, comme bien d’autres, a fait jadis le bonheur des habitants de la région, hommes et animaux, car l’eau était là, servie sur un plateau de cailloux, limpide, bénie, car venant directement du ciel, loin du puits profond dont l’eau était obtenue au prix d’énormes efforts.

Pour notre campement dont le cheptel avait été décimé, il n’y avait plus rien à faire à part se rabattre sur le village, ce que nous fîmes avec beaucoup de regrets et d’émotion.
La décision de devenir citadins a été prise par les responsables du campement, c’est-à-dire les hommes. Et nous voilà dispersés entre les quartiers du village, chaque famille a trouvé un terrain quelque part et au bout de quelques mois, nous nous étions presque oubliés les uns les autres alors que nous étions restés ensemble depuis des générations…
Il y a  évidemment des personnes qui n’ont pas supporté ce changement brutal. Se résigner à la vie citadine après avoir vécu pendant plus d’un demi-siècle dans la nature, libre de toute contrainte d’espace et de temps, n’est pas à la portée de tous. Pour nous, les jeunes, c’est bien après, quand nous avons commencé à vieillir, que nous avons senti l’ampleur du vide que les artifices de la ville n’ont jamais réussi à combler.

Nous nous sommes accoutumés à la ville, nous avons fait nos études, nous avons voyagé à l’étranger, nous avons travaillé, nous nous sommes mariés et avons fait des enfants, mais il y a toujours une partie de nous qui refait surface chaque fois que nous sortons en brousse pour passer quelques jours de vacances.
Dès que les dernières maisons de la ville disparaissent, je me trouve pris d’assaut par les innombrables souvenirs de ma tendre enfance et je commence une gymnastique comparative inconsciente. J’essaie de faire un rapprochement entre tout ce que je sens, tout ce que je vois et ce que je sentais et voyais autrefois. Je respire profondément, lentement pour bien appréhender les odeurs ambiantes, attentif à la moindre nuance et c’est toujours un bonheur immense de retrouver quelque chose de ressemblant qui puisse déclencher cette rétrospection salutaire à mon âme meurtrie. J’adore m’arrêter pour faire quelques pas sur une dune et sentir la terre fondre sous mes pieds comme pour me retenir. Je me traîne tant que je peux pour répondre à cette sympathique invitation et ainsi faire preuve de fidélité à la vieille amitié qui me lie au sable sur lequel je suis né, j’ai fait mes premiers pas, j’ai joué, j’ai dormi, j’ai marché pendant plusieurs années.

Le relief, bien que monotone dans notre région où il n’y a ni montagne ni plateau, mais seulement une succession de montées et de descentes, ne m’a jamais laissé indifférent. Je scrute l’horizon pour observer la disposition des dunes de sable sur les montées et me trouve en train de chercher le chemin où peuvent passer les ânes et les chameaux transportant le campement, le lieu où, si on veut s’arrêter, on peut installer les tentes, de quel côté seront placés les veaux, les cabris et les agneaux…

Plus tard, quand j’ai eu l’occasion de voyager plus loin vers les autres régions du pays, surtout  à l’Est, j’ai découvert d’autres paysages plus extraordinaires encore avec cette fois des montagnes, des oueds, beaucoup plus d’arbres et par endroit la véritable brousse que j’avais connue. L’impact qu’ont laissé sur moi ces régions quand je les ai découvertes pour la première fois était tel que je me suis toujours arrangé pour refaire le voyage sinon chaque année, du moins tous les deux ou trois ans, malgré l’effort physique et matériel que cela demande. La vue de la montagne, même si nos montagnes ne sont ni les Alpes, ni les Pyrénées, ni les Andes et évidemment loin de l’Himalaya, parce que ne dépassant pas quelques centaines de mètres d’altitude, me met dans un état de forte émotion. Je me trouve en face de l’une de ces manifestations qui font réfléchir « le roseau pensant » à la grandeur de la nature. La même sensation, je l’ai rencontrée au bord de l’océan et face au désert.

 J’ai vu la montagne pour la première fois au Maroc où un jour, du haut du café « al Mamoune » à Marrakech, j’aperçus l’Atlas,comme si, croisant mon regard il tombait du ciel et y restait suspendu. Mon sang se gela, tellement le spectacle était grandiose : les crêtes couvertes de neige surplombaient de loin la masse nuageuse qui ceinturait la montagne, laissant à peine visible l’étendue verte qui couvrait le paysage beaucoup plus bas. J’étais comme hypnotisé et je ne repris conscience que lorsque mon ami m’annonça l’arrivée des cafés que nous avions commandés.
Plus tard, chaque fois que je voyais des montagnes, j’avais l’impression qu’elles me disaient « nous ne sommes pas très hautes mais nous sommes à toi » et ceci pour une raison très simple « un tiens vaut mieux… ». Je me retrouve dans le même état en revivant ces moments intenses.

 
Bien que les déplacements en brousse aient été éprouvants, j’ai toujours eu un grand plaisir à parcourir des distances allant parfois jusqu’à quatre-vingts kilomètres à pied, avec bien sûr des arrêts qui pouvaient parfois durer quelques jours, menant un chameau par la bride et m’interdisant de monter, car il fallait montrer que j’étais un homme. Le plaisir résidait dans des retrouvailles extraordinaires avec ces paysages familiers qui ont balisé toute mon enfance : là-bas, derrière l’autre dune, à côté de la rivière, « le petit profond » est né mon jeune frère le jour de la Tabaski. J’avais entendu ma mère dire qu’elle avait mal à la tête et je n’avais pas compris pourquoi toutes les femmes du campement s’étaient réunies dans notre tente que mon père avait quittée avec l’annonce de l’arrivée de ma grand-mère maternelle, ce qui est normal, car chez nous, on ne reste pas avec les beaux-parents plus de temps qu’il n’en faut pour échanger des salutations brèves. Dans certaines régions même, les beaux-parents et les beaux-enfants ne se rencontrent jamais. Cette pudibonderie a survécu jusqu’à présent et son origine m’est inconnue. Si je vous dis que, par respect pour les mêmes coutumes, il ne m’a jamais été permis de me réunir avec mon père et ses grands frères et que plus tard, je me suis trouvé obligé de défendre à mes enfants de s’approcher de moi quand j’étais en compagnie de mon père ou d’un proche parent plus âgé que moi, vous trouverez sûrement cela pour le moins curieux.

Le deuxième jour de la fête, ma mère avait entre les mains un petit garçon que mon père m’encourageait à toucher, ce que je fis sans hésitation. J’avais encore à l’esprit le jour de la naissance de ma sœur deux ans plus tôt, je n’avais que trois ans, mais je n’ai jamais oublié le moment où ma tante m’arracha des bras de ma mère qui était en train d’accoucher et qui, malgré les douleurs, faisait signe pour que je reste à côté d’elle, parce que mes cris augmentaient sa peine. Je me débattais et je pleurais. Quelques heures plus tard, je m’aperçus que ma place était prise. Je réalisai que la distance qui me séparait de ma mère s’allongeait avec la naissance de mon frère.
Nous sommes tous nés sous la tente, loin des maternités et des gynécologues, sur des nattes, grâce à une accoucheuse pour qui l’hygiène et les médicaments relevaient de l’utopie voire du sacrilège.
 

L’école

 
Un soir, par un très beau clair de lune, je m’étais trouvé en train de faire mes adieux à ma mère et à mes grands-parents. Sans savoir exactement pourquoi, je savais que j’allais accompagner mon père parce que j’avais vu son chameau blanc à genoux devant la tente avec la selle bien installée et le sac de cuir de mon père derrière la bosse (chez nous, ce sont des dromadaires, avec une seule bosse, mais le mot chameau nous semble plus facile à prononcer et on les appelle ainsi). « Le vaisseau du désert », comme on le nomme,  peut transporter aisément deux personnes parce que le dos est divisé en deux parties par la bosse.

Mon père me souleva et me plaça confortablement sur le sac de cuir qui contenait ses habits et ses effets personnels, m’ordonna de bien tenir la corde qui entourait la selle et allait s’accrocher sur la queue de l’animal. Ensuite il monta sur la selle, fit signe au chameau qui se leva et le voyage commença.
Par mesure de sécurité, mon père prit son turban, le mit derrière mon dos et m’attacha à lui pour s’assurer que je ne tomberais pas. Nous sortîmes du campement et mon père commença à me parler du but de notre voyage. Il m’expliquait que j’allais à l’école, son école parce qu’il était directeur d’un établissement scolaire dans un petit village situé à soixante-dix kilomètres au sud  de Boutilimit et qu’une fois arrivés dans cette ville nous allions prendre une voiture qui nous amènerait à notre destination finale.
Le voyage à dos de chameau devait donc s’achever après vingt kilomètres et ne présentait aucun intérêt particulier. Bien que la distance fut relativement modeste, nous passâmes la nuit en route chez un berger que nous connaissions parce qu’à un moment donné, j’ai eu sommeil. Ma tête tapait sur le dos de mon père qui essayait vainement de m’empêcher de dormir en me racontant des histoires que j’avais fini par ne plus entendre. Lorsque le chameau s’agenouilla devant la tente du berger, je repris mes esprits et descendis. L’accueil fut chaleureux. Au bout d’un petit moment, nous étions installés sous la tente sur une natte de fortune entourée de deux peaux de chèvre tannées, relativement vieilles,, car tous les poils ou presque avaient disparu. Une grande calebasse pleine de lait de chamelle était posée à côté de nous. Le lait de chamelle était d’une blancheur qui pour un moment me parut rivaliser avec l’éclat de la lune. Le goût du lait ne me plut pas, car j’étais habitué au lait de vache et d’ovins ; ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai découvert que c’était effectivement le meilleur lait. Je me couchai pendant que mon père se préparait à prier et je dormis d’un sommeil tranquille. Le lendemain, nous repartîmes assez tôt, juste après que mon père et le berger aient pris leur thé vert matinal sans lequel la journée ne peut commencer.

À quelque distance de la tente du berger, mon père me raconta que nous avions couru un grand  danger en arrivant. Il y avait chez le berger un chameau en rut qui allait nous réserver un accueil particulier, n’eût été la vigilance de notre hôte.  En effet, les chameaux en rut sont extrêmement dangereux. Ils ne supportent pas de voir un autre chameau, à plus forte raison s’il est en rut lui aussi ou s’il est monté par une personne. Ils l’attaquent directement et le tuent assez souvent. Bien sûr la personne montée leur échappera difficilement ; ces bêtes, trop bêtes, sont furieusement jalouses de ceux qui sont dans leur état et méprisent totalement les montures, généralement des chameaux castrés. Dans un troupeau, qui peut parfois compter jusqu’à cent chamelles, il ne peut y avoir qu’un seul mâle non castré d’où le proverbe « deux bêtes en rut ne peuvent être placées dans le même troupeau ».

Nous arrivâmes à Boutilimit très tôt le matin et fûmes accueillis par ma grand-mère paternelle dont la tente était installée à côté d’une chambre en béton et d’une case en paille. Ma première journée en ville passa inaperçue, mais le lendemain matin fut inoubliable : « Les coqs chantent, le jour paraît… tout se réveille dans le village » . Cette chanson que j’ai apprise plus tard à l’école me renvoie toujours à ma première aube citadine. Je me retournais sur la natte « cherchant une raison de me réveiller » lorsque j’entendis un bruit aigu qui montait de partout et se propageait dans toutes les directions. Il était pratiquement uniforme. Je cherchai pendant un moment à l’identifier, mais je m’aperçus rapidement qu’il m’était totalement inconnu. Je m’assis et demandai à ma grand-mère, assise sur son tapis de prière, de quoi il s’agissait. Elle me répondit en souriant que c’étaient les coqs qui réveillaient les gens pour la prière matinale.

Je compris l’allusion et me levai pour prier. Je sortis de la tente pour aller « aux toilettes », c’est-à-dire à côté des arbres qui entouraient notre terrain et en délimitaient la concession. J’aperçus un oiseau blanc avec une crête rouge sur la tête, perché sur la case de nos voisins et qui allongeait le cou pour exécuter le chant qui m’avait sorti tout à l’heure de ma torpeur. Au moment où j’observais ce spectacle, je croisai un jeune parent qui avait entre les bras un sac d’où émanait une odeur particulièrement appétissante. Il se dirigea vers la tente et déposa sa charge à l’intérieur. Après avoir accompli mon besoin, je revins à la tente et vis les petites baguettes de pain que ma grand-mère sortait du sac. Le chant du coq et l’odeur du pain chaud sont restés longtemps dans mon esprit les symboles du réveil villageois.

Je ne me rappelle plus exactement le nombre de jours que nous avons passés à Boutilimi,t mais à la fin de l’une de ces matinées, mon père m’appela pour me dire de faire mes adieux à sa mère et me demanda de mettre ma tenue neuve (une chemise et une culotte) et de ranger mon petit boubou dans le sac. Je m’exécutai et ensemble nous nous dirigeâmes vers le centre du village qui se trouvait à plus d’un kilomètre de chez nous.

Boutilimit se situe dans une vallée bordée à l’Est et à l’ouest de deux grandes dunes auxquelles on donne jusqu’à présent le nom correspondant à leur direction. Tous les habitants authentiques du village (ils ne sont plus nombreux, hélas !) comprennent bien ce que veut dire la dune est et la dune ouest. C’est sur ces dunes que sont venus s’installer les bédouins qui ont été contraints par la sécheresse à la sédentarisation. C’est là qu’ils ont perdu l’identité tribale, naguère fondamentale dans la constitution d’un campement. Au centre se trouve « Djeuka », l’ancien petit village qui à l’époque était constitué d’une seule rue. Celle-ci reliait les deux dunes suivant une ligne télégraphique qui descendait du fort (maison des Français) construit sur le point culminant de la dune Ouest.

D’un côté comme de l’autre de cette rue se trouvaient des constructions discontinues à usages divers. Il y avait des habitations construites en banco (terre grise assez solide) avec, sur la rue, des chambres assez grandes qui servaient de boutiques, il y avait aussi un marché formé de baraques en zinc collées les unes aux autres. Le mot « Djeuka » est utilisé jusqu’à présent pour idolâtrer le village de Boutilimit. C’est devant ces boutiques que s’arrêtaient les rares camions venus approvisionner le village en marchandises. C’étaient au début des T46, puis des Berliets et enfin des Mercedes qui venaient de la capitale régionale Resso, située au bord du fleuve Sénégal et où se trouvait tout le commerce. Ces braves véhicules suivaient une piste très difficile qui reliait Resso à Boutilimit et mettaient généralement plus de douze heures pour parcourir les deux cents kilomètres séparant les deux villes, s’arrêtant dans chacune des bourgades qui naissaient au bord de cette piste pour descendre des passagers ou livrer des produits.

C’est dans l’un de ces camions, un T46, que j’ai effectué mon premier voyage motorisé. Nous montâmes, mon père et moi, dans la cabine avec le chauffeur (ce qui n’était pas permis à n’importe qui), parce que la dignité du directeur de l’école du village exigeait une certaine classe. Dans un grand vrombissement de moteur, le convoi s’ébranla, dépassa rapidement les dernières cases du village et traversa le terrain d’aviation situé à la sortie de la ville, laissant derrière lui un long nuage de poussière.

La piste apparut, se faufilant entre la végétation encore assez dense au début du mois d’octobre, formée de deux lignes parallèles qui se lançaient courageusement comme pour narguer cette nature encore vierge. La voiture traversa des campements et de petits villages où, parmi la population humaine et animale, chacun appréciait à sa manière le progrès industriel. Certaines personnes fuyaient ou se cachaient pour s’éloigner de cette chose qui ne pouvait que faire du mal, d’autre,s plus courageux se bouchaient le nez avec dédain pour éviter l’odeur nauséabonde des gaz d’échappement, quelques-uns se mettaient les doigts dans les oreilles pour atténuer l’effet de ce bruit infernal, enfin un groupe d’individus plus sages invoquait la puissance  de Dieu qui permit à l’homme de disposer d’une machine pareille. La gent animale, elle, se dispersait dans un affolement total, ne manquant pas pourtant dans sa course effrénée de jeter un regard  plein de panique à ce trouble-fête forcément dangereux. Après trois heures de route et quelques arrêts pour embarquer des passagers ou parfois des sacs de gomme arabique qui se vendront bien à Rosso…

… involontaires parce qu’on  s’était ensablés deux fois. L’ensablement exige le débarquement de tout le monde. On peut voir les apprentis avec leurs pelles creuser sous les roues pour mettre des tôles dessous. Le chauffeur qui, en grand chef, est resté au volant de la voiture, sur avis des apprentis, démarre pour sortir la voiture du sable et l’arrêter plus loin afin que les passagers rembarquent. Nous arrivâmes ainsi au « Robinet ». C’est comme ça que s’appelait le village où mon père travaillait, il portait le nom  d’une éolienne qui le ravitaillait en eau.

L’arrivée d’un camion était toujours un grand événement, même si cela commençait à relever de la routine. Nous fûmes assaillis par une nuée d’enfants et quelques grandes personnes qui étaient les commerçants du village et dont les boutiques se trouvaient sur la piste parmi les quelques maisons du village. Après les salutations cordiales entre les adultes, mon père me présenta à eux. À leur tour, ils informaient les enfants qui étaient très impressionnés par ma tenue. J’entendis des chuchotements et quelques-uns, les plus hardis, s’approchaient pour me tendre la main. Leur regard parcourait tout mon corps, depuis les chaussures en plastique que je portais jusqu’à la chemise, en passant bien sûr par la culotte qui était la vedette de ma garde-robe rudimentaire. L’un d’eux s’adressa aux autres en leur criant « C’est le fils de Monsieur ! »

Je fus pris d’assaut par les gosses qui m’entouraient, cherchant à s’approcher le plus possible pour me saluer ou me voir de près et les commentaires allaient bon train : « Il va étudier avec nous à l’école ». « Il vient de la ville. » « Il ressemble à son père » «  Ye bey ! Pourquoi il ne porte pas de boubou ? », etc.
Je ne fis pas cas de ces réflexions et suivis mon père qui se dirigeait vers la maison où il habitait, au bord de la piste, à quelques pas de la voiture qui venait de repartir.
Les élèves qui nous accompagnaient pour déposer les bagages de « Monsieur » dans la maison proposèrent à mon père de m’accompagner jusqu’au campement qui se trouvait à plus d’un kilomètre des maisons, parce que c’est là où tout le monde passait la nuit. Je partis avec mes futurs collègues au campement où mon père habitait la tente d’une vieille femme sans enfants qui m’accueillit gentiment.

Ye bey : petit père, expression pour appeler quelqu’un de familier

Je sympathisai rapidement avec deux enfants, dont l’un était justement le neveu de la vieille et habitait à quelques mètres.
Mon père arriva peu après et nous nous installâmes sous la tente, dans une partie où nous avions notre propre natte, nos couvertures, nos coussins et les ustensiles indispensables à la confection du thé.
Je dormis après avoir bu du lait de vache et me réveillai le lendemain pour aller à l’école. Déjà, un groupe de jeunes attendait devant la tente pour me raccompagner au village où se trouvait l’établissement. Je reconnus mes deux copains de la veille et en cours de route, je commençai à communiquer avec les autres enfants dont je fis la connaissance « l’espace d’un matin ».
Nous arrivâmes aux maisons et nous nous dirigeâmes vers une grande tente grise sous laquelle se trouvaient, disposées en rangées bien ordonnées, des tables sans bancs devant lesquelles, à deux mètres, une table plus grande avec une chaise servait de bureau pour le maître. Au fond, un tableau noir sur un chevalet, le tout sur des nattes de paille disposées les unes à côté des autres et qui servaient de sol à la classe. Ca spectacle ne m’était pas étranger, car, quelques années auparavant, mon père était directeur de l’école de Tinyarg. Lors des « visites inspirées » que je lui rendais souvent en classe, j’avais vu tout ce matériel et savais à quoi il servait grâce à mon père et aux élèves qu’honorait ma compagnie.

Mon père ne tarda pas à venir et les élèves se divisèrent en deux groupes, les anciens et les nouveaux. Sur indication de l’un de mes copains, je pris place parmi les élèves de première année. Le maître confia l’organisation du rang à un élève de deuxième année qui commença à nous aligner en veillant au respect du sacro-saint principe « les petits devant, les grands derrière ». Je compris que je devais occuper une place bien définie et me tenir debout pendant un certain temps. Ce fut mon premier contact avec l’ordre. Nous rentrâmes en classe et chacun prit place derrière l’une des petites tables sur la natte. On nous distribuait les livres, les porte-plumes, les encriers qui devaient être placés dans des trous aménagés dans la petit table, les cahiers, les buvards et les bûchettes. On m’expliqua l’usage de ce matériel plutôt encombrant. Je découvris l’écriture quand le maître prit nos cahiers pour transcrire le « i » au début d’une ligne, le « u » au début de la ligne suivante et nous demanda de finir chacune des deux lignes avec chaque lettre. Je n’ai pas eu de problème avec le « i » mais j’ai perçu le « u » comme deux « i » collés et sans points et c’est ainsi que j’ai rempli ma ligne. Mon père ne manqua pas de me réprimander en me montrant ce que je devais faire, et c’était parti.

J’entamais le syllabaire avec beaucoup d’enthousiasme et à la fin de l’année j’étais major de ma classe, ce qui me permit l’année suivante de rejoindre les « grands » en troisième année. Mon père n’y était pas pour grand-chose malgré les insinuations de quelques malveillants.
En troisième année, j’avais fait mes preuves en occupant la troisième place au premier examen. L’une des scènes les plus terribles de ma vie eut lieu après le deuxième examen, lorsque je me retrouvai en cinquième position, je n’en revenais pas et j’accusais mon père de me garder à distance pour éviter les qu’en-dira-t-on. Pour manifester mon indignation, lorsque mon père me remit la feuille de notes, je la lui jetai tout simplement sur son bureau. Cet affront me coûta le premier châtiment corporel de « l’exil », car ma mère, mes grands-parents étaient trop loin. Mon père me battit sans pitié devant les élèves et depuis ce jour, mes rapports avec lui se détériorèrent. J’étais, je l’avoue, rancunier au point de rapporter ces faits plusieurs mois après à ma grand-mère qui, à mon grand plaisir, avait admonesté mon père sans ménagement.

C’était la fin du premier exil. Je ne reviendrais plus avec mon père au Robinet où, malgré tout, j’avais vécu deux années scolaires pleines de souvenirs merveilleux. J’avais intégré rapidement ce monde et avec mes amis de classe, nous nous amusions beaucoup, surtout le soir dans le campement. La journée était plutôt morose à cause de l’école et du fait que je la passais avec mon père à la maison. Mes amis m’apprirent à aimer les jeunes filles et à les rencontrer le soir, à côté des tentes de leurs parents et en cachette. Malgré mon jeune âge, mon programme nocturne était toujours rempli. Je voltigeais entre les tentes où il y avait des filles cherchant à assouvir un appétit insatiable. J’avais eu des problèmes avec certains de mes amis auxquels j’avais arraché leurs copines. Je me rappelle bien d’un soir où mon meilleur ami m’a surpris avec son amie. Il avait commencé à me faire la morale, chose à laquelle il s’était aperçu très tôt que j’étais indifférent et pour marquer le coup, il a levé ses mains vers le ciel et a demandé à Dieu de me faire disparaître de leur vie paisible que j’étais en train de gâcher.  Cette réaction témoigne de la sérénité et du pacifisme de ces gens qui ne veulent pas de mal, même dans des circonstances qui, sous d’autres cieux, entraînent parfois des bagarres violentes. Dans cette partie de la Mauritanie, au sud de Boutilimit, les autochtones avaient décidé, à la suite d’une défaite à l’issue d’une guerre sainte, il y a trois siècles, de faire disparaître de leurs us et coutumes tout ce qui est emportement, énervement et réactions violentes. Heureusement pour moi !

L’année suivante, au mois d’octobre, je fus arraché à ma chère brousse, qui avait connu l’un des meilleurs hivernages et où les gens étaient extrêmement heureux, par mon oncle maternel. C’était un  haut fonctionnaire de l’État qui avait décidé de m’emmener à Nouakchott, la capitale naissante de notre pays, pour y poursuivre mes études. Je n’avais pas eu de sentiments particuliers, ou du moins je ne me rappelle pas en avoir eu avant le départ. Je me rappelle du voyage que nous avons fait en Land-Rover qui avait duré vingt-quatre heures. Nous étions sept dans la voiture : le chauffeur, mon oncle, sa femme, ses deux enfants, moi et un autre homme de Boutilimit, connu pour sa sympathie et son humour, et dont la présence rendait le voyage plutôt agréable. Nous passâmes la nuit en cours de route dans un campement où nous avons été très bien reçus, comme c’était la coutume dans toute la Mauritanie de l’époque. La viande et le lait étaient servis en grande quantité, le thé vert aussi. Le lendemain, nous reprîmes la route ou plutôt la piste, car en ce temps-là il n’y avait pas encore de route en Mauritanie. Les quelques heures qui nous séparaient de Nouakchott passèrent rapidement grâce aux interventions de notre accompagnateur qui ne laissait rien échapper à ses commentaires : si nous délogions un lièvre, il prenait le chauffeur à partie, lui reprochant de troubler la grasse matinée de ce pauvre animal ; si nous passions à côté d’un troupeau de vaches, il demandait à mon oncle de s’assurer que ce n’étaient pas ses vaches  qui avaient décidé de le suivre jusqu’à Nouakchott ; si la voiture touchait les branches d’un arbre, ce qui était normal, car il y avait encore beaucoup d’arbres entre lesquels se faufilait la piste, il accusait le conducteur de chercher à se débarasser de nous. Si nous rencontrions un chacal, il le rendait coupable de la disparition des brebis d’un éleveur qu’il n’hésitait pas à nommer… Mon oncle riait beaucoup, le chauffeur et moi aussi, même si parfois, l’intérêt du commentaire m’échappait un peu.

Soudain, j’aperçus des formes cubiques de couleurs différentes qui s’approchaient au fur et à mesure que nous avancions pour nous distancer, laissant apparaître des groupes de maisons séparées par des rues bien tracées. Je fus impressionné par ces maisons bien rangées et surtout par les rues goudronnées, dont le noir brillait sous les roues des voitures que nous croisions et qui étaient toutes petites à mon goût, moi qui connaissais seulement les camions et les Land-Rovers. Nous arrivâmes devant la villa où habitait mon oncle, dans le quartier chic de « l’îlot V » qui était la résidence des hauts fonctionnaires de l’État. Les maisons étaient construites suivant le même plan et divisées en blocs de quatre à cinq paires de villas, séparées par des murs très hauts derrière lesquels se trouvaient de très beaux jardins.  Je vis pour la première fois les fleurs. À y réfléchir maintenant, il est difficile à imaginer qu’au milieu des années soixante, en Mauritanie, les roses, les anémones, les primevères se mélangeaient avec les capucines, les giroflées et les chardons dans une harmonie propre à captiver un petit bédouin perdu. Le spectacle des jardins m’avait tellement saisi que tout au long des premiers jours, je circulais sur les murs pour contempler les couleurs qui égayaient les concessions voisines où à chaque fois je découvrais de nouvelles fleurs. Ici des lilas, des phlox, là c’étaient des jacinthes, des chrysanthèmes et même des iris, ailleurs ce furent des roses et des glaïeuls. L’art des jardins avait déjà sa place à Nouakchott. La beauté de ces plantes me rappelait nos tulipes et nos trèfles sauvages qui poussaient après la pluie sur de grandes étendues et qu’on remarquait à peine. Je réalisai bien après que l’engouement pour les jardins chez les Mauritaniens résultait du fait que, dans l’imaginaire musulman, le jardin est la réplique du paradis. Aussi ce lieu de détente et de méditation est l’avant-goût sur terre des richesses exquises qui attendent les bons musulmans dans l’au-delà, ce que décrivent les versets du Coran : « les ruisseaux couleront au bas du jardin, ses fruits s’offriront sans trêve ainsi que son ombre. Voilà la fin de ceux qui auront été pieux… ».

Je passai une année scolaire à Nouakchott qui fut heureuse, malgré les problèmes avec la femme de mon oncle. Celui-ci m’avait acheté des habits et des fournitures scolaires et m’avait inscrit à « l’école marché » située au cœur de la petite ville, à moins d’un kilomètre de la maison.  Mes études étaient plutôt brillantes, j’évoluai de la quatrième place à la deuxième, sans arriver à être le premier, ce que mon oncle n’avait cessé de me reprocher. Je garde encore en mémoire quelques images de cette année scolaire pas comme les autres : la beauté de la petite ville de Nouakchott dont les traits disparurent petit à petit avec l’exode rural des années soixante-dix, la propreté des rues, la fraîcheur du climat, les relations entre les habitants qui se connaissaient presque tous. Aujourd’hui, chaque fois que je passe par « l’îlot V », je sens un pincement au cœur tellement c’est différent. Les rues sont ensevelies sous le sable. Du goudron que j’ai connu luisant, il ne reste que des croûtes. Les jardins sont transformés en enclos nauséabonds pour les chèvres, les garages des villas sont devenus des boutiques où on vend de l’huile et autres produits alimentaires, pour les humains comme pour les animaux. Les places publiques, qui étaient nos lieux de rendez-vous avec les petites filles déjà coquettes du quartier, sont transformées en dépôts d’ordures.
Le cinéma, je l’avais connu pour la première fois quand je partais avec mes copains  à l’Ambassade de France à la fin de chaque semaine pour voir des projections de films au Centre culturel. C’étaient essentiellement des dessins animés et parfois des films pour jeunes, mais ce rendez-vous était l’un des plus importants de notre emploi du temps. Et c’était merveilleux. Pour y aller, nous traversions un grand espace buissonneux où on rencontrait des lapins et même parfois des chacals.

Il y avait aussi les jardins de la Présidence où, sous les lampadaires, je poursuivais les écureuils et les lapins qui avaient trouvé un havre de paix parmi les plantes bien arrosées. J’y allais de temps en temps, car, avec la famille de mon oncle, nous dînions souvent à la Présidence où j’ai appris à manger à la cuiller dans mon propre plat. Cet apprentissage de la civilité a pris un certain temps. Au début j’avais beaucoup de problèmes avec la soupe que je buvais sans la moindre discrétion. Je laissais échapper un bruit gênant quand j’aspirais le contenu de ma cuiller, comme si j’étais sous notre tente, là-bas, en train de manger mon « aïch » dilué dans le lait de vache, avec le bruit sans lequel nous n’étions pas sûrs que nous mangions effectivement cet excellent repas. C’est lorsque la femme du Président fit la remarque dans notre dialecte, disant : « Ahmed veut que tout le monde sache qu’il boit de la soupe ». Nous nous mîmes à rire. Je cessai de faire du bruit depuis lors, même en mangeant du gâteau. Trente-sept ans après, je lui ai rappelé que je n’avais jamais oublié sa remarque que j’avais trouvée plutôt sympathique. Elle s’en excusa gentiment.

Les problèmes avec la femme de mon oncle avaient commencé dès le premier mois. Je pense qu’elle avait réagi à l’attention que m’accordait mon oncle en s’érigeant en véritable marâtre. Lorsque je m’aperçus qu’elle cherchait à ternir l’image que mon oncle avait de moi, je commençai à ne plus la respecter et cherchai par tous les moyens à la vexer. Je ne pouvais pas aller trop loin parce que, d’une part, c’était ma parente et d’autre part, je remarquai que mon oncle prenait parti pour elle, ce qui était normal.
Je voyageai par avion pour la première fois pour passer les vacances de Noël à Boutilimit. Le vol n’était pas long, juste une quarantaine de minutes, mais j’étais heureux d’être le premier parmi mes amis à voyager dans le ciel. La ligne régulière était desservie par un DC 3 de la compagnie nationale Air Mauritanie, dont la flotte était composée de DC 3 et de DC 4, ces vieux avions qui reliaient nos villages. J’eus un terrible mal de l’air dont les effets secondaires ne disparurent qu’au milieu des vacances. Au retour, j’avais déjà l’expérience et mon voyage se passa plutôt bien. Je refis le voyage pour les vacances de Pâques. Mon oncle paternel m’achetait un billet « bébé » et trouvait toujours une personne prête à s’occuper de moi. En effet, les passagers étaient tous des parents parce qu’ils habitaient à Boutitlimit et j’ai toujours été entre de bonnes mains à l’aller comme au retour. Ces vacances, qui me permettaient de retrouver ma brousse édénique, où mes amis m’entouraient de beaucoup d’affection et mes parents me chérissaient pour quelques jours, me donnaient l’occasion d’oublier la femme de mon oncle.

Je formais une petite bande avec trois autres camarades du quartier qui m’avaient appris à jouer aux billes, à faire du vélo et à participer à des actes de petit banditisme, particulièrement avec les camelots. Ceux-ci à l’époque circulaient beaucoup dans le quartier pour vendre des fruits, des bonbons et autres objets utiles. Nous appelions le pauvre marchand, notre chef faisait semblant de vérifier l’état de ses fruits et l’un de nous intervenait pour distraire notre victime. À ce moment le chef faisait circuler derrière lui quelques fruits que récupérait un autre copain chargé de camoufler le butin. Notre « hôte » était libéré après lui avoir acheté n’importe quoi ou après lui avoir reproché ses prix ou la mauvaise qualité de sa marchandise. Nous nous échappions souvent et partions partager le butin. Mais il arrivait que le marchand sente le piège et refuse de s’arrêter. Ou il nous surprenait en flagrant délit et cherchait à rattraper l’un de nous pour lui donner une bonne raclée, ou comble de malheur, le traîner devant les parents qui se chargeaient de le corriger. Avec la fin de l’année scolaire se termina mon deuxième exil.

L’année scolaire suivante, je me retrouvai à Boutilimit, à l’école Sud. Avec l’école Nord, étaient les deux établissements primaires de la ville. J’habitais chez mon oncle paternel cette fois-ci, ou plus exactement avec ma grand-mère paternelle. Mon oncle était fonctionnaire à la préfecture et comme notre concession était loin, il prit une maison conventionnée par l’État à côté des bureaux administratifs, à deux minutes de mon école. Nous y habitions tous, la famille de mon oncle, ma grand-mère, mes cousins, moi et tous les proches parents qui venaient et partaient. Notre « grande tente », ce terme désignant les grands-parents, était installée dans la cour et pouvait accueillir tout le monde. Le climat était familial  malgré la dictature de mon oncle que nous craignions comme la peste. Nous étions chez nous partout où nous allions. Le début de cette année scolaire s’était bien passé. Je passai les vacances scolaires avec ma mère à Tinyarg et mon père qui travaillait toujours au « Robinet » venait une ou deux fois par mois à Boutilimit.

J’eus une récompense substantielle lorsque je devins le premier de ma classe et que le directeur de l’école écrivit à mon père pour qu’il m’encourageât. Ce dernier me demanda de choisir un cadeau, et comme j’hésitais, il me donna quatre cents francs CFA. 
La première chose que je fis fut d’envoyer deux cents francs à ma mère. Le reste, je le gaspillai en ville avec mes petits camarades que j’invitais tous les jours à prendre quelque chose dans  les boutiques, comme je le faisais avec mes amis de Nouakchott. Au milieu de l’année, j’appris une nouvelle dont je ne mesurai pas du tout l’importance : mon père s’était marié au « Robinet ». Je n’eus aucune réaction particulière, mais les souvenirs de mon passage au « Robinet » refaisaient surface. Particulièrement une femme qui, un jour, me demanda si j’acceptais qu’elle devienne ma marâtre. Je lui répondis automatiquement par une insulte commune « yahrag beyik » («que ton père soit brûlé »). Elle réagit à l’insulte par un éclat de rire que partagèrent ses amies présentes et qui me laissa indifférent.

Un autre jour, je m’étais bagarré avec un camarade de classe qui m’avait griffé au visage. Mon père l’appela et lui fit cadeau de quelques sous, montrant à qui voulait bien le voir qu’il prenait parti pour lui. Je compris sur le coup que mon père voulait ainsi m’apprendre à ne plus me quereller. Mais une autre interprétation, plus tard, me sembla possible : mon père cherchait à se rapprocher de ces gens-là.
Tout au long de mon séjour, un grand nombre de poètes –ils sont légion dans ce village- venaient chanter l’éloge de mon père qui était du reste un homme fort respectable (excusez le manque de modestie). Mais c’était peut-être une façon de chercher à affermir les liens et, pourquoi pas, à faire de mon père l’un des leurs… Cela arriva et mes résultats scolaires devenaient de plus en plus mauvais. Je me trouvai en septième position au deuxième examen et à la vingt-septième place à la fin de l’année.

source lecalame.info
 
chezvlane

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