Le Calame : Le dialogue politique annoncé par le président de la République est sur toutes les lèvres. Ghazwani a désigné le monsieur dialogue en la personne de l’homme politique Moussa Fall et a presque décliné une sorte de feuille de route pour le dialogue. Votre réaction ?
Mamadou Moustapha Bâ : Je voudrais vous remercier de cette opportunité de présenter les vœux les meilleurs à l'occasion du mois béni du Ramadan au peuple mauritanien et à tous les musulmans du monde qu'Allah SWT accepte notre jeûne et exauce nos prières.
Ceci dit, un dialogue politique est, en théorie, une pratique essentielle dans toute démocratie. Il incarne les valeurs d'inclusion, de participation et de viabilité, contribuant à la consolidation de la gouvernance démocratique. Cependant, en Mauritanie, cette vision idéale semble souvent déconnectée de la réalité.
Les dialogues précédents mal faits, ont laissé des résultats inexploités ou ont échoué à produire des avancées significatives, avec des conclusions jamais appliquées.
Cet appel récent du président Ghazouani au dialogue pourrait marquer une volonté d'inclusivité. Le choix de Moussa Fall pour coordonner ce processus reflète une certaine reconnaissance de son expérience et de sa connaissance du paysage politique. Toutefois, cette désignation aurait gagné en crédibilité si elle avait été faite en concertation avec l'opposition. L'héritage politique de Moussa Fall, marqué par son expérience sous le régime de Maouiya, peut susciter des attentes mitigées quant à sa capacité à répondre aux enjeux cruciaux.
Ce que j'attends du président Ghazouani, c'est un engagement solennel et des garanties fermes quant à l'application des conclusions du dialogue. Trop souvent, ces initiatives se sont soldées par des promesses non tenues, renforçant le scepticisme parmi les opposants.
Bien que certains partis aient répondu favorablement à cet appel, je reste dubitatif quant à la sincérité et l'efficacité de cette initiative. Sans des mécanismes clairs de suivi et une volonté politique réelle, ce dialogue risque d'être une répétition des précédents, sans impact durable sur la vie démocratique du pays.
L'absence de dialogue inclusif fait le lit de la frustration et, lentement mais sûrement, du rejet et de la révolte.
- Votre parti est en gestation. Où en êtes-vous avec les tractations imposées par la dernière loi sur les partis politiques ? Pensez-vous pouvoir décrocher votre récépissé d’ici là ? Pensez-vous pouvoir prendre part à ce dialogue ?
-Notre parti a bénéficié d'un élan de sympathie remarquable, ce qui nous a permis d'obtenir plus de 8000 parrainages, un chiffre impressionnant dans le contexte des nouvelles exigences légales. Cet engagement témoigne de la détermination de nos militants et de leur capacité à surmonter les obstacles réglementaires dans un délai record.
De plus, l'ancrage territorial de notre parti, tant au niveau national que dans la diaspora, reflète une représentativité étendue et une dynamique prometteuse pour notre avenir politique. Cela pourrait renforcer notre légitimité et sa capacité à participer activement au dialogue national.
Il faut noter que par principe le PAREN/VE est ouvert à tout dialogue inclusif et franc, cependant il est à préciser que ce parti est une composante de la CVE avec laquelle nous sommes liés par une charte et que dans son domaine d'attributions, tout dialogue politique est entièrement du domaine exclusif de la CVE et de sa commission exécutive.
Indépendamment de tout ceci, la CVE est également membre de la grande Coalition antisystème qui a son tour engagera un débat interne à l'issue duquel une décision sera prise. Donc voilà où nous en sommes présentement.
Quant à la reconnaissance, le Parti est fin prêt et a rempli toutes les conditions énumérées dans la nouvelle loi et nous n'attendons que le démarrage de la plate-forme numérique annoncée par les services compétents du ministère de l'intérieur et de la décentralisation pour engager le processus. Nous espérons que le parti décrochera son sésame dans les mois à venir pour jouer pleinement son rôle dans l'échiquier national et international.
-Si votre parti est effectivement convié au dialogue, quels sont les préoccupations des mauritaniens qu’il va y défendre ?
-Comme je l'ai signalé auparavant, le PAREN/VE est membre de la coalition vivre ensemble (CVE) qui à son tour est membre de la Coalition antisystème. Partant de ce postulat, le Parti se conforme aux grandes préoccupations de l'heure de ces deux coalitions que sont a priori l'unité nationale et la cohésion sociale; la démocratie, les libertés publiques; le développement social et économique, une politique de la cohabitation entre nos communautés, une nouvelle politique du partage du pouvoir, une nouvelle politique d'aménagement du territoire (exemple le redécoupage territorial), la diminution du poids du pouvoir exécutif, la réorganisation du pouvoir judiciaire, nouvelle approche de l'état-civil, une nouvelle loi foncière, une politique ouverte contre l'esclavage et ses séquelles, une réforme de l'éducation nationale accompagnée d'une véritable prise en compte de toutes les langues et de leur officialisation au même titre que la langue arabe, la résolution du passif humanitaire, le retour des déportés, l'indemnisation des hommes d'affaires négro-africains qui ont vu leurs biens saccagés, pillés par la faute de l'Etat et tant d'autres, tous les fléaux qui gangrènent notre unité nationale, engager une véritable lutte sans merci contre les gabégistes et enfin la neutralisation de l'administration et des institutions dans le jeu politique avec des réformes institutionnelles pour renforcer la démocratie et promouvoir des programmes de lutte contre les inégalités sociales et ethniques.
-Le dialogue est l’initiative du seul président de la République qui en a fait un engagement électoral, même si l’opposition le réclame tout le temps. A votre avis, à quoi va servir ce dialogue en gestation ?
-Si toutes les conditions déjà énumérées sont respectées, ce dialogue pourrait poser les jalons du vivre ensemble en abordant les tensions sociales et politiques. Il permettra de mettre en place des réformes électorales et institutionnelles, d'offrir une plateforme pour une gouvernance partagée entre majorité et opposition. Toutefois, son succès dépendra de la volonté d'appliquer ses conclusions.
-L’opposition s’est réunie, il y a quelques jours, pour harmoniser ses positions et donc préparer une feuille de route pour le dialogue. Les choses n’avancent pas rapidement. Pensez-vous qu’elle réussira à parler d’une seule voix face à la majorité ?
-C'est mon souhait le plus ardent de voir une réelle dynamique de retrouvailles de l'opposition se réaliser, un sacerdoce pour moi. Je me suis toujours battu pour que ce rêve se concrétise. En effet une telle tentative avait été initiée par la CVE que je co-dirige. À la veille des élections présidentielles, plus d'une soixantaine de partis d’opposition, de mouvements de la société civile et des indépendants avaient pris part à des ateliers de concertations qui avaient pour objectif de lancer les nouvelles bases d'une future coordination de l'opposition et éventuellement de débattre autour de la possibilité d'une candidature unique de l'opposition pour faire face au candidat du pouvoir.
Mais les égos et les calculs personnels avaient encore pris le pas sur l’intérêt général.
Malheureusement, ces tentatives ont finalement buté sur la résistance de certains partis qui ont voulu saper la démarche qui consistait à créer un cadre de concertation de l'opposition. Les désaccords, les intérêts personnels ont eu raison des bonnes volontés affichées.
Ceci dit, il est important de noter que dans une perspective de l'alternance, l'opposition doit en effet démontrer que les divergences se fondent sur des enjeux réels et qu'elle peut participer à la construction de l'avenir dans une démarche commune.
Aujourd’hui, il est à constater que l'opposition peine à harmoniser ses positions face à la majorité. Bien que certains partis traditionnels semblent ouverts au dialogue, d'autres et d'autres restent sceptiques sur la sincérité du dialogue. Une unité complète semble difficile mais reste possible si des garanties crédibles sont offertes par le pouvoir.
-Que pensez-vous de la décision du gouvernement de créer une journée nationale de la diversité ?
-C'est beau à entendre "une journée nationale de la diversité". Est-ce un trompe-œil, un slogan où de la consommation pour certains ? Au moment où les inégalités sociales ont atteint leurparoxysme dans notre pays avec une arabisation achevée à outrance, des langues nationales non officialisées (pulaar, soninké, ouolof) et la faible représentation des communautés marginalisées et totalement exclues de la vie culturelle (négro-africains, harratines) dans la vie publique. Ces réalités sont de mon point de vue des obstacles à une véritable diversité culturelle.
En somme, si cette journée reflète une volonté politique d'unité nationale, son impact dépendra de mesures concrètes pour inclure toutes les composantes de la société mauritanienne.
Nous, au PAREN/VE, nous avons déjà travaillé autour d'un document avec des propositions concrètes qui répondent même au nom du parti, de la diversité culturelle et de la cohésion nationale.
Je serais surpris de voir qu'une journée puisse résoudre les fractures sociales déjà profondes.
Je ne saurais terminer sans rendre un hommage soutenu au feu président Docteur Kane Hamidou Baba (paix éternelle à son âme) qui disait : "dans un monde civilisé, le dialogue est une nécessité".
Propos recueillis par Dalay Lam
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