Répondant à une question posée, je ne sais plus par qui, quand et où, « le tragique accident qui a coûté la vie à plusieurs de nos concitoyens au Mali », voulut souligner très officiellement le ministre mauritanien des Affaires étrangères, « ne peut passer sans focaliser l’attention nécessaire, d’autant plus qu’il n’est pas le premier. » Il faisait allusion aux événements survenus en 2012, lorsque l’armée malienne ouvrit le feu sur un convoi de mauritaniens de prêche affiliés au Groupe Daawa We Towba, tuant seize d’entre eux.
La nouvelle sortie « diplomatique » de monsieur Ismail ould Cheikh Ahmed, n’apporte pas de réponses aux questions qui se posent. Qu’est ce qui s’est passé, cette fois ? Où exactement ? Quand ? Quels furent les mobiles d’une telle barbarie ? Qui en sont les présumés ou réels auteurs ? Les « explications » du ministre n’ont même pas avancé un chiffre sur le nombre de nos compatriotes sauvagement assassinés. Mais la déclaration du ministre qui revenait fraîchement de Bamako semblait vouloir prétexter que la longueur de la frontière qui sépare la Mauritanie du Mali (2334 kilomètres exactement) en passant par six de nos wilayas –Adrar, Assaba, Guidimagha, Hodhs Charghi et El Gharbi, Tiris-Zemmour – rend « difficile d’éviter de tels incidents ».
Si l’on ne connaît toujours pas, à ce jour, tous les tenants et aboutissants de ce drame et bien qu’il ressemble fort à un crime « crapuleux et odieux », beaucoup de mauritaniens de la localité d’Adel Bagroule croit commis par des soldats de l’armée malienne. Les plus hautes autorités maliennes qui promettent de mener une enquête transparente, ont pourtant démenti catégoriquement toute «implication d’éléments de l’armée malienne dans ce massacre collectif de ressortissants mauritaniens ».
Sans autres informations, c’est donc le flou total. Un flou dans un flou ou même des flous alimentés par des spéculations et autres mises en lignes de vidéos sur la Toile se contredisant à qui mieux mieux sur les chiffres, les circonstances et les présumés auteurs de ce drame. Une agitation significative en tout cas de l’indignation des parents des victimes et de la rue, ainsi que de l’exaspération du gouvernement mauritanien et de toute la classe politique.
Ghazwani ne décolère pas, Assimi Goïta très embarrassé
Cette affaire sécuritaire est prise très au sérieux par le chef de l’État mauritanien qui en suit attentivement et personnellement les suites. Elle met également en alerte notre ministère de la Défense. L’état-major général des armées a mis en mouvement des unités d’intervention rapide dans la zone d’Adel Bagrou pour rassurer les populations. Côté malien, ce grave incident est géré avec prudence et la presse de nos voisins en fait peu écho, se limitant à ne rapporter que les déclarations officielles. Comme celle du gouvernement diffusée le 22 Janvier, présentant ses condoléances aux familles des victimes et s’engageant à ouvrir une enquête transparente et diligente dont les conclusions seront « partagées » avec Nouakchott. Très gêné par cette « peau de banane » posée sous son pied, le chef de l’État malien promet, pour sa part, que « toutes les mesures seront prises pour identifier, arrêter et traduire devant la justice les auteurs de ce crime abominable ».
Combien de morts, en fait ?
Si ledit communiqué officiel avance le chiffre de sept mauritaniens égorgés, on est bien en droit de se poser la question sur le nombre exact des victimes de cette « tuerie en série ». Aux premières heures du drame, on le situait à quatre, avant de le revoir à la hausse, comme dit tantôt. Mais, dans une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux, un mauritanien qui s’est rendu auprès de la fosse où ont été enterrées les défunts rapporte qu’on en dénombrerait seize, selon l’oncle d’une des victimes : sept maures et neuf peulhs. Pourtant ni Nouakchott ni Bamako n’évoquent un tel chiffre. S’il est exact, qui sont les neufs peulhs égorgés en même temps que les maures ? Des mauritaniens ? Des maliens ? Et pourquoi aucune déclaration officielle n’en parle ?
Cette affaire qui fait grand bruit en Mauritanie et assourdissant silence à Bamako n’a manifestement pas encore révélé la réalité ; ni des circonstances, ni des mobiles, ni des auteurs, ni même du nombre de victimes. En définitive, seule une enquête sérieuse, approfondie et impartiale paraît en mesure de réunir au grand jour tous les éléments de cette équation sécuritaire difficile à résoudre. Bamako, qui se tait en attendant les conclusions de l’enquête qu’elle promet de lancer, s’interroge sur les motivations d’un acte provocateur aussi abject à l’égard de mauritaniens dont le pays sera peut-être l’indispensable ballon d’oxygène pour sortir le Mali du coma où risque le plonger l’embargo décidé par la CEDEAO.
Les assassinats perpétrés en terre malienne au mauvais endroit et à la mauvaise période, porte-t-elle ou non la signature d’éléments « égarés » relevant d’une unité des FAMA, comme le laissent croire certains ? Telle est la réponse urgente à trouver, pour éviter de situer l’accident malheureux et regrettable dans un contexte que les deux pays auront beaucoup de mal à gérer, en cette période de troubles politiques et de désordre sécuritaire dans certaines zones isolées d’un territoire malien couvrant 1.241.238 kilomètres carrés, véritable passoire pratiquement incontrôlable.
Faire appel à la police scientifique d’Ould Merzoug pour identifier les corps ?
Aucun impact de balles n’a été décelé sur les corps découverts dans un état de décomposition avancé et seule une enquête judiciaire et scientifique menée à terme pourrait disculper les soldats maliens accusés par les riverains de la région de Nara. Depuis quelques temps, disent ceux-ci, ceux-là infligeraient aux mauritaniens des exactions multiples et répétées.
Mais le fait que toutes les victimes aient été égorgées laisse effectivement à penser à un acte crapuleux commis par des criminels. Des bandits de grands chemins pullulent en effet dans cette zone, profitant de l’insécurité grandissante au Mali pour mener vols et enlèvements. Ce constat ne dédouane cependant pas les soldats de l’armée malienne qui peuvent avoir joué les « aveugles » dans les mouvements de ces criminels transfrontaliers.
Cette tuerie macabre aurait-elle été suivie par un vol de bétail transhumant dans la région ? Ce pourrait être le mobile des crimes perpétrés pour semer la confusion dans l’esprit des autorités des deux frontières. En ce cas, les enquêteurs maliens doivent orienter leurs investigations en tenant compte d’antécédents attribuables à des voleurs de bétail. Le 12 Janvier 2022, le commissariat de police du 9èmearrondissement de Bamako avait arrêté trois de tels bandits munis de cartes militaires. Interrogés, les larrons avaient déclarés que la trentaine de bœufs qu’ils conduisaient de Korymalé à Bamako appartenait à un haut gradé de l’armée malienne. Questionné à son tour par la police, l’intéressé avait nié les faits mais, bizarrement, supplié le commissaire de police de lui confier la garde des trois voleurs. Pourquoi ? De quoi en tout cas rapprocher cette affaire de celle de Nara ? L’enquête à laquelle les mauritaniens ne seront pas associés, nous le dira… pour peu qu’il y ait un réel « partage » d’informations.
Mohamed Chighali
lecalame