Le Calame : Votre coalition a décidé d’aller au dialogue en gestation. Qu’en attendez- vous ? Pensez-vous que les conditions sont suffisamment réunies pour un véritable dialogue politique ?
M. Dia Alassane : Nous avons décidé d’aller au dialogue parce que par principe nous ne fermons jamais la porte aux discussions. Les crises les plus graves, même celles qui dégénèrent en guerres, finissent toujours par être résolues autour d’une table. Et Dieu sait, malgré les dénégations du Président Ghazwani, que la crise, dans notre pays, est non seulement très profonde mais multiforme et qu’elle peut à tout moment nous faire sombrer dans le chaos. Si nous pouvons nous éviter cette menace en nous mettant tous autour d’une table, c’est tant mieux.
La Mauritanie n’a jamais été autant divisée que ces dernières années ; le repli communautaire et les velléités indépendantistes, aussi bien au nord qu’au sud du pays, n’ont jamais été aussi prononcés. Alors nous attendons que ce dialogue soit l’occasion de rediscuter du contrat national. Avons-nous véritablement la volonté de vivre ensemble ? Si oui, dans quelles conditions ? Répondre à ces questions est primordial par rapport à tout le reste puisque c’est la base pour asseoir une véritable unité nationale toujours chantée mais jamais réalisée. Bref, c’est d’un deuxième Aleg que nous avons besoin, qui aura l’avantage d’impliquer, cette fois-ci, l’ensemble des composantes nationales de notre peuple.
Je doute cependant que l’Etat soit dans les mêmes prédispositions vis-à-vis de ce dialogue puisque le président de la République persiste à dire que « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes » qu’est la Mauritanie.
Que vous a inspiré le premier tour de table organisé, il y a quelques jours par les acteurs politiques pour la mise en place d’une commission de préparation, voire de supervision ?
Je pense qu’il est effectivement très important d’impliquer l’ensemble des parties prenantes dans la préparation, la supervision du dialogue et plus tard le suivi de la mise en œuvre des décisions consensuelles qui en sortiront. Mon inquiétude réside plutôt dans le manque d’implication de l’Etat dans ce qui se prépare. On a entendu le Président Ghazwani dire dans une de ses dernières sorties qu’il se positionnait en arbitre entre les différents bords politiques qui croiseront le fer au dialogue. Or l’Etat est à la base et du génocide des années 1990 et de toutes les politiques de discrimination et d’exclusion qui ont suivi et qui minent l’unité nationale. Il doit donc être impliqué au premier chef dans la recherche de solutions aux problèmes qu’il a lui-même créés et ce sera à lui de les mettre en œuvre. Mais l’impression que l’on a jusque-là, c’est que l’exécutif ne veut pas du dialogue, il y va un peu à marche forcée.
Pensez-vous que la feuille de route élaborée par les partis politiques tient compte des problèmes qui préoccupent la CVE/VR ? Et quelles sont les propositions de solutions que préconise votre coalition ? Les engagements du président Ghazwani de mettre en œuvre les recommandations consensuelles des acteurs politiques vous rassurent-t-il ?
Pour la feuille de route qui avait été élaborée par les partis représentés à l’assemblée, non seulement elle ne nous engage pas, nous et nos partenaires de la Coordination des coalitions et partis politiques de l’opposition démocratique (CCPOD), mais elle est caduque. Nous considérons que la réunion qui s’est tenue en vue de mettre sur pied une commission de préparation est le véritable point de départ des assises qui s’annoncent et que l’ordre du jour sera discuté dans le cadre de cette préparation. La CVE/VR veillera à ce que ces préoccupations prioritaires y figurent en bonne place.
Quant au Président, il faut déjà qu’il arrête de crier sur tous les toits que le pays n’est pas en crise et qu’il n’a pas par conséquent besoin de dialogue. Le gouvernent devra, comme je l’avais dit plus haut, être partie prenante du dialogue et l’engagement du Chef de l’Etat à mettre en œuvre les recommandations consensuelles qui en seront issues devra prendre une forme beaucoup plus solennelle.
Depuis son arrivée au pouvoir, le président Ghazwani prône la création d’une école républicaine. Quel contenu attendez-vous de ce projet ? Les concertations engagées récemment par le ministère de l'Éducation nationale, de la Réforme et de la formation professionnelle ont-elles constitué, selon vous, un important point de départ pour ce projet ?
Une école républicaine suppose une école qui tienne compte de la diversité nationale mais surtout qui instaure l’équité pour tous les enfants du pays à travers le recours à l’ensemble de nos langues nationales comme médium d’enseignement. Le timing des journées de concertation autour de la réforme du système éducatif et les débats que cela a provoqués ne semblent pas indiquer que l’on en prenne véritablement le chemin. Il aurait été plus logique d’attendre les conclusions du dialogue annoncé en ce qui concerne le statut des langues et le type de citoyen nouveau que nous voulons pour notre pays pour réunir la famille scolaire qui ne doit se préoccuper que de l’aspect technique et de la mise en œuvre de la réforme dans le respect de l’orientation globale imprimée par les politiques.
Quelle place pourrait occuper l’officialisation puis l’enseignement des langues nationales dans ce dispositif de réforme ? Que vous inspire ce débat sur la transcription des langues nationales Pulaar, Soninké, Wolof en caractère arabe ?
L’officialisation des langues nationales pulaar, soninké et wolof relève d’une exigence de justice, d’équité et de reconnaissance vis-à-vis de l’ensemble de nos composantes nationales. Cela va créer une administration de proximité, en rupture avec celle de type colonial qui sévit dans la vallée, et aidera à une meilleure inclusion des locuteurs de ces langues de la part des pouvoirs publics, des locuteurs revigorés qui s’impliqueront davantage dans les politiques de développement. Cette officialisation permettra une plus grande visibilité à notre belle diversité en offrant un égal accès aux médias à toutes nos langues et cultures.
C’est encore cette officialisation qui permettra de corriger l’inégalité structurelle de notre système éducatif en généralisant l’enseignement des et en langues nationales pour que nous en finissions avec les écoles d’élites et les concours de recrutement où ne sont généralement admis que les éléments de la composante arabe qui ne sont ni plus ni moins intelligents que les autres mais qui ont le privilège d’étudier dans leur langue. Bref, l’unité nationale, la quiétude et la cohésion sociale qui n’ont pas de prix passent nécessairement par l’officialisation de toutes nos langues nationales.
Pour ce qui est de la transcription des langues nationales, il n’y a pas plus méprisant pour une communauté linguistique que de vouloir lui imposer un alphabet. La transcription des langues négro-africaines n’est pas un sujet de discussion, surtout pas pour de petits chauvins haineux aux idéologies panarabistes importées du Moyen Orient.
La HAPA a relevé le non-respect de la diversité par les médias publics et privés voire même dans l’administration. Elle a invité ces institutions à se conformer à la Constitution. Que vous inspire cette réaction du nouveau président du gendarme des médias ?
C’est tout à l’honneur de la Hapa et surtout de son nouveau président parce que cette situation n’est pas nouvelle et le supposé gendarme de l’audiovisuel ne l’avait jamais dénoncée auparavant. Cela dit, tout reste à faire dans le sens du rééquilibrage de nos différentes langues et cultures dans nos médias publics et privés. Comment peut-on comprendre que des antennes locales de Radio Mauritanie comme celles de Kaédi, Maghama ou encore Sélibaby émettent entre 60% et 80% de leur programme en arabe ; Cela ressemble à s’y méprendre au modèle centralisateur et assimilationniste du jacobinisme par lequel la France coloniale nous avait imposé sa langue. L’officialisation de toutes nos langues nationales serait une panacée pour corriger de tels déséquilibres
Quelques années après l’assassinat de Lamine Mangane, membre de TPMN, une structure que vous présidez par ailleurs, où en est l’enquête ?
L’enquête en est toujours au point zéro. Bala Mangane, le père du jeune garçon, avait déposé plainte, dès le lendemain de l’affaire, par l’intermédiaire de son avocate Me Fatimata Mbaye. Mais selon celle-ci, il n’y a jamais le moindre début de l’exécution d’une quelconque instruction. Interpellée sur l’affaire à l’Examen Périodique Universel (EPU) de Novembre 2015, la Mauritanie avait répondu qu’une enquête avait été diligentée et qu’elle avait conclu à un non-lieu, ce qui est évidemment faux. La famille et TPMN courent toujours pour que justice soit rendue à ce jeune martyr de la citoyenneté pour tous.
TPMN a été un fer de lance dans la dénonciation du recensement biométrique des populations. Quelle appréciation vous en faites quelques dizaines d’années après ?
Le temps nous a donné raison. L’Etat, à travers les commissions mises en place dans les régions dans les départements et communes de la vallée du fleuve, reconnait implicitement le tort fait à ces populations, Mais dix ans après, il faut avouer que l’exclusion de l’état-civil continue de plus belle pour bon nombre de Noirs de Mauritanie. De fait, le combat de TPMN reste plus que jamais d’actualité jusqu’à ce que chaque Mauritanienne et chaque Mauritanien puissent obtenir ses papiers d’état-civil sans entraves dues à son appartenance ethnique et/ou statut social.
Quelle évaluation faites-vous des deux ans du président Ghazwani ?
Ce sont deux années perdues durant lesquelles le Président a bénéficié non seulement d’un état de grâce de la part de l’opposition mais également d’un immense espoir de changement de la part des populations. Mais il ne les a pas malheureusement mises à profit pour travailler mais à nous distraire avec l’affaire Aziz. Pour ne rien arranger la pandémie du covid 19 est arrivée avec la gestion opaque, calamiteuse et clientélistes des immenses fonds dédiés à la lutte contre la maladie. Puis il y a les concours, les nominations et les mouvements au sein des administrations des forces armées et de sécurité qui renforcent chaque jour que Dieu fait l’exclusion sur la base de l’appartenance ethnique et raciale. L’inflation continue de frapper de plein fouet le pouvoir d’achat de nos compatriotes qui sont de plus en plus nombreux à ne plus pouvoir assurer leur pitance quotidienne. On me rétorquera que le climat politique est apaisé avec l’opposition mais cela n’a malheureusement aucune incidence sur le panier de la ménagère.
Quels rapports entretiennent aujourd’hui les deux CVE ? Sont-elles parvenues à concocter une contribution commune pour le dialogue politique en vue ?
Nous entretenons des rapports de cordiale fraternité et nous essayons autant faire se peut d’accorder nos violons pour l’essentiel. Nous travaillons ensemble mais également avec nos autres partenaires de la CCPOD à l’élaboration d’une plateforme commune de l’opposition.
Propos recueillis par Dalay Lam
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