Excellences Messieurs les Chefs d’Etat et de gouvernement,
L’Union africaine a décidé de tenir son trente-et-unième sommet ordinaire dans notre capitale. C’est tout à l’honneur de notre pays. Mais vous devez savoir que ce pays qui vous accueille continue de souffrir de tares et d’ignominies inimaginables en ce début de 21ème siècle.
Notre pays est en effet malheureusement régi par un système politique raciste et esclavagiste entièrement dédié à l’arabité exclusive de la Mauritanie et, incidemment, à la négation des autres composantes nationales. De fait, les Noirs de Mauritanie – composés de Peuls, de Soninkés, de Wolofs, de Bambaras et de Haratines – sont, pour certains, relégués au statut de citoyens de seconde zone, et, pour une partie des Haratines, à celui de sous-hommes puisqu’ils continuent encore à vivre sous le joug de l’esclavage.
Cette politique d’exclusion systématique des Noirs de Mauritanie qui a toujours été une constante de l’Etat, au-delà des différents pouvoirs qui se sont succédé à la tête du pays de son indépendance en 1960 à nos jours, a connu son paroxysme avec la tentative de génocide des années 1986 – 1991 qui s’est soldée par des tueries et des déportations massives de milliers de négro-mauritaniens et la destruction de centaines de villages par les forces armées et de sécurité nationales aidées par des milices spécialement créées pour l’occasion. Les exécutants de cette épuration ethnique sont protégés par une loi d’amnistie votée en 1993, tandis que les victimes et ayants-droit courent encore aujourd’hui derrière l’Etat pour être rétablis dans leurs droits. L’Etat a pourtant fini par reconnaître sa responsabilité sous le magistère du seul Président démocratiquement élu de l’histoire du pays, M. Sidi Ould Cheikh Abdallahi et même sous celui de l’actuel chef de l’Etat. Mais l’action de réparation engagée par le premier a été sabotée par le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz, issu du coup d’état du 06 août 2008, qui, disant s’inspirer des mécanismes de la justice transitionnelle, l’a réduite aux seuls devoirs de réparation et de mémoire, qu’il n’a d’ailleurs que partiellement mis en œuvre, et au rapatriement par le retour organisé sous l’égide de l’accord tripartite Sénégal-HCR et Mauritanie de 24.436 déportés du Sénégal, excluant plus de 20000 autres qui continuent d’errer au Sénégal et au Mali sans aucune assistance. Quant aux déportés qui ont bénéficié du retour organisé, ils n’ont jamais été rétablis dans leurs droits. Ils sont aujourd’hui encore regroupés dans des camps d’infortune et sont devenus réfugiés dans leur propre pays.
Cette épuration ethnique, doublée de la négation culturelle des composantes noires à travers l’exclusion de leurs langues de la sphère publique de l’école et des médias, en est aujourd’hui à son aboutissement. Le pouvoir despotique de Mohamed Ould Abdel Aziz qui incarne le système raciste et esclavagiste qui régit la vie nationale a parachevé l’exclusion des Noirs de Mauritanie. La haute fonction publique, l’administration, le commandement des forces armées et de sécurité, les hommes d’affaires, les grandes écoles témoignent aujourd’hui d’un apartheid qui ne dit pas son nom, tant l’accaparement de tous ces secteurs de la vie nationale par la seule composante arabe est outrancier. Le domaine foncier n’est pas épargné non plus. Les terres cultivables de la vallée du fleuve Sénégal, patrimoine et composante essentielle de l’identité des populations autochtones sont l’objet de convoitises de la part de l’Etat, d’hommes d’affaires véreux, si ce n’est de multinationales. De fait, les expropriations y sont devenues systématiques.
Comme si tout cela ne suffisait pas, l’exclusion des Noirs de Mauritanie continue de plus belle avec l’enrôlement biométrique des populations censé doter la Mauritanie de pièces d’état civil fiables et sécurisées. Cet enrôlement s’est révélé être, autant dans sa conception que dans son exécution, une opération raciste et discriminatoire à l’endroit des Noirs dont beaucoup ont aujourd’hui perdu leur nationalité mauritanienne et sont devenus pour certains apatrides dans leur propre pays. Autre conséquence de cet enrôlement inique : beaucoup d’enfants et d’adolescents, dont les parents peinent à obtenir les nouveaux papiers d’état civil, se retrouvent privés de fait de leur droit à l’éducation.
Ce droit à l’éducation auquel ne peuvent pas prétendre ceux qui sont nés dans la servilité puisque, hélas, dans cette Mauritanie du 21ème siècle, des hommes continuent à être la propriété d’autres hommes. Cela est certes interdit par la législation mauritanienne qui criminalise l’esclavage et l’érige en crime contre l’humanité. Mais entre les lois et la réalité du terrain, le fossé est immense.
Il s’ajoute à cela un climat liberticide délétère marqué notamment par une chasse à l’homme ciblant systématiquement les défenseurs des droits humains et les opposants au régime. Les prisonniers d’opinion sont aujourd’hui légion dans le pays. Des militants antiesclavagistes croupissent en prison depuis plus de deux ans. Le Sénateur Mohamed OuldGhadda est détenu sans jugement depuis plus de six mois pour s’être opposé aux amendements constitutionnels voulus par le régime. D’autres sénateurs, des journalistes et des syndicalistes sont mis en examen et interdits de sortie du pays pour les mêmes raisons tandis que des hommes d’affaires et des citoyens ordinaires, contraints à l’exil pour leurs opinions, sont sous le coup de mandats d’arrêts internationaux émis à leur encontre. Le blogueur Mohamed Cheikh OuldMkhaitir condamné à mort en 2014 pour apostasie mais dont le jugement a été révisé pour être commué en une peine de deux ans de prison par une cour d’appel est toujours détenu illégalement.
Ce tableau, pour le moins sombre, est celui qui correspond au vécu des Mauritaniens. Que le faste et le luxe insolents et surtout factices de l’organisation du sommet ne trompent personne. En plus des tares congénitales de notre pays, le régime en place traîne beaucoup d’autres ignominies dont les moindres sont la corruption et la mal gouvernance. Pendant que vous serez en conclave dans le luxe des palais et des hôtels de Nouakchott, des Mauritaniens continueront à mourir de l’infamie de la famine à l’intérieur du pays.
Nouakchott, le 30 juin 2018
Les Signataires
Afrique Renaissance AMDH
Club Unesco pour le Dialogue des Cultures COVIRE
CRADPOCIT KawtalNgamƳellitaare
Maprom REVE 1989
Touche pas à ma nationalité (TPMN)
source lecalame.info