En 100 jours de règne, Ghazwani n’aurait ainsi réalisé que deux petits pas, des rencontres, sur sa demande, avec les principaux ténors de l’opposition qui n’étaient pas depuis plus de dix ans en odeur de sainteté avec le système dont il a hérité, et une ouverture des médias publics à cette même opposition. Ce climat de détente et de dialogue a été unanimement salué et jugé comme les prémisses d’un changement que tout un peuple attend de toutes ses forces, même si Ghazwani n’a jamais réclamé être l’homme du changement.
Malgré cela, l’atmosphère général reste délétère tant sur plusieurs autres plans, le statu quo semble dominer, si des reculs dangereux ne sont observés. Le principal problème qui semble encore se poser à Ghazwani, reste la justice, un appareil qui semble encore incapable d’accompagner les bouleversements politiques, socioéconomiques et culturels, base du contrat social entre le peuple et le pouvoir de Mohamed Cheikh Ghazwani.
Les prisonniers de Lexeiba
Voilà plus de 100 jours que des jeunes protestataires du scrutin du 22 juin, dénommés les «Prisonniers de Lexeiba», croupissent en prison, pour avoir non pas commis de crimes ou de délits, mais pour avoir exercé leur droit constitutionnel à la manifestation pacifique contre les résultats de la présidentielle. Pire, le parquet d’Aleg et de Kaédi semblent particulièrement s’acharner sur leur dossier, au point de vouloir en faire une sorte de casus belli entre le président Ghazwani et l’opposition, dans un élan qui chercherait à saper les bases d’une entente politique encore fragile.
En temps normal, selon Birame Dah Abeid, «les manifestants arrêtés lors de scrutins, doivent être libérés aux lendemains des élections, pour apaiser le climat politique». Le cas des «Prisonniers de Lexeiba» constitue ainsi à ses yeux, une entorse aux libertés publiques et à la liberté d’expression, bases de tout système démocratique. Et cela rappelle les tristes années du Président Aziz.
Montée du courant Tekfiriste et l’apologie de l’esclavage
La deuxième plaie des 100 jours de Ghazwani est cette montée en flèche des courants Tekfiristes et les fatwas de la haine. Premières victimes de cette cabale du radicalisme wahabite, les griots, épinglés par le prêcheur populiste Mohamed Sidi Yahya qui a estimé, dans des audios largement diffusés, que les «gens de valeur comme lui» ne doivent pas prier sur leur dépouille. Une façon de dire que les griots ne sont pas «totalement musulmans pour que des gens de sa position prient sur eux». Selon Birame, si on était réellement dans un Etat de droit qui applique ses lois, Ould Sidi Yahya mériterait au moins une convocation sinon la prison, pour «incitation à la haine». Il n’a même pas été inquiété.
Idem pour le Chargé de mission auprès du Ministre des Affaires Islamiques, Mohamed Abeid Barka qui a lui émis une fatwa largement partagée dans les réseaux sociaux où il estime que quatre frères se partageant la même esclave peuvent assouvir leur libido avec elle, même si elle est mariée. Il s’est rétracté par la suite eu égard à l’énormité des insanités qu’il a laissé filé.
Pour Birame, ce genre d’insanités est répandu dans les livres du Fiqh que lui et ses partisans avaient incinéré en 2012, livres qui selon lui, servent à la formation de base des magistrats, des officiers de la police judiciaire, enseignés dans toutes les écoles coraniques, dans les Instituts islamiques et ceux servant à la formation des corps judiciaires et des services de sécurité. D’où, selon lui, la sacralité de croire dans la Mauritanie officielle que l’esclavage est légitime, malgré sa criminalisation par la Loi 2015-031.
C’est au nom de cette sacralité de l’esclavage, selon Birame, que le cas de la jeune esclave, Ghaya Maiga, 14 ans, a été réglée au profit des maitres par le juge d’instruction du tribunal d’Arafat à Nouakchott, malgré l’enquête de la police, le communiqué du Procureur de la République et le communiqué du Commissariat aux Droits de l’Homme, attestant d’un cas d’esclavage avéré, d’exploitation et de tortures sur mineur.
Loin de toute logique, la Cour d’Appel et la Cour Suprême donneront raison au juge d’instruction qui avait remis la jeune esclave à ses maitres, qui l’ont exhibée comme un trophée dès leur retour à Bassiknou. Pour Birame, un triple message a été envoyé par la justice mauritanienne aux esclavagistes, aux esclaves et aux défenseurs des droits de l’homme. Aux premiers, il leur assurait l’impunité, aux deuxièmes que ce n’est plus la peine de fuir, ils seront remis à leurs maitres, et aux troisièmes, vos plaintes finiront toujours à la poubelle.
Birame Dah Abeid estime qu’il s’agit là d’un recul dangereux dans le traitement des cas d’esclavage en Mauritanie, car du temps de Mohamed Abdel Aziz, au moins les supposés esclavagistes se faisaient interner en prison, même si c’est pour quelques jours. Dans le cas de Ghaya Maiga, c’est la justice elle-même qui a remis la victime à ses bourreaux, avec des excuses à Lalla, la maîtresse qui a fait elle et les siens une sortie triomphale.
Privées d’héritage
L’autre affaire qui, selon Birame Dah Abeid, atteste d’une déliquescence de l’appareil judiciaire et de la compromission des magistrats, le traitement qui est jusque-là réservé au dossier des filles du défunt Mohamed Mahmoud Ould Deh, ancien officier supérieur de l’Armée, décédé voilà sept ans. Leurs frères, dont un Secrétaire général de Ministère, semblent vouloir faire main basse sur l’héritage de leur père, sans leur en accorder la moindre portion, comme le prescrivent pourtant les textes religieux qui fondent la base de la Constitution mauritanienne. Selon Birame, la justice mauritanienne avait émis une décision de gel sur les biens du défunt jusqu’au règlement de l’affaire. Faisant fi de cette décision judiciaire, les fils du défunts qui seraient issus d’une autre mère que les filles spoliées, se seraient déjà largement servi de l’héritage, au point que d’ici à ce que la justice décide de trancher l’affaire, il n’y aura plus rien à partager. Tout cela au nom du pouvoir d’influence, du peu d’intérêt accordé aux droits des femmes en Mauritanie et d’un appareil judiciaire qui a oublié ce que veut dire lire la loi.
Cheikh Aidara
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