En 2010, j’avais essayé de répondre à cette question dans un article publié sur Cridem : Le président Aziz peut-il gouverner sans majorité ? Les « étranges » évènements qui s’enchaînent, depuis l’Investiture, amènent à poser la même question mais en la ramenant au niveau de l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir en Mauritanie.
« Gouverner, c’est prévoir ». La formule d’Emile de Girardin est bien connue, mais malheureusement, elle ne correspond pas toujours à la réalité. La faculté de prévoir devrait pourtant être la qualité de l’homme politique.
Car ce que les citoyens attendent de leurs élus, notamment du Premier Magistrat du pays, c’est précisément qu’ils soient en capacité d’anticiper les nécessaires évolutions à venir pour mieux préparer l’avenir. Bien des problèmes pourraient être évités s’ils étaient pensés à temps, et celui qui sera devant nous sera de nature exceptionnelle. On peut dire, dans ce cadre, que le Président de la République, Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, doit savoir maintenant qu’il n’a pas une majorité en phase avec lui. La cooptation de technocrates et non pas des « techniciens » de la politique a été révélatrice de ce malaise.
Elu à 52% des voix des mauritaniens, Ghazouani a certes la latitude de gouverner en fonction d’un agenda précis, et de choix libres de nature à garantir l’effectivité de son programme électoral désormais scruté à la lettre par tous ceux qui l’ont soutenu et même par une opposition qui dit attendre pour voir s’il y a « rupture » ou continuité…
Disons tout de suite qu’on fait un mauvais procès au président en voulant le forcer à choisir, ici et maintenant. Quel intérêt a-t-il de faire table rase d’un passé qui, quoi qu’on dise, fait partie de son passé ? Certes, il n’était pas LE président entre 2008 et 2019 mais il était là, et bien là, dans le système. Peut-être pas le rendre responsable des travers de la politique économique et sociale du pouvoir mais dans cette forteresse qu’est l’armée considérée, à tort ou à raison, comme le dernier recours quand les choses atteignent le seuil critique. La seule question qui vaille est : Ghazouani devait-il agir, contre son ami, notamment quand ce dernier était en convalescence en France ? Oui, si l’on estime que la situation de crise était similaire à celle de 2005. Non, si l’on pense que le respect de la Constitution était un « fait d’armes » à mettre, réellement, au crédit de celui qui deviendra, sept ans plus tard, président à la place du président.
Il est vrai cependant qu’à partir de cet instant (01/08/2019), Ghazouani ne doit plus accepter d’être l’otage du passé. Les rôles s’inversent. C’est bien lui qui passe devant. Il engage sa personnalité. Il doit imprimer son style. Adapter et non adopter.
C’est dans ce cadre, que je trouve inadmissible que certains cherchent à ramener tout à ce « nehj » (voie) qui n’était nullement le sien. Aziz, c’est Aziz et le restera. Un fonceur, un homme qui voulait peut-être bien faire mais dont la méthode ne convenait pas à ceux habitués à manipuler le Chef parce que ce sont eux « qui savent ». Résultat : un bilan économique mitigé. De nombreuses réalisations mais faites avec des ressources conséquentes avec des taux de perte qui sont les taches indélébiles de cette gabegie qu’il disait pourtant vouloir combattre !
La force de Ghazouani est ailleurs. Elle réside en ce calme olympien que certains cherchent à tourner – détourner – en fragilité !!! Prendre le temps de voir la question sous ses divers angles, de se concerter avec les hommes du pouvoir qui comptent ne peut être qu’un bon signe. Cette sagesse qui éviterait à la Mauritanie de vivre dans une crise politique devenue sa « normalité ». Sur ce plan, il y a bien rupture et même l’opposition serait prête à « faire avec » si les forces qui font de la résistance, au sein de la majorité, cessent de nous faire croire qu’on est toujours dans l’avant 01 août 2019 ! Quelques exemples : la télévision qui passe et repasse les « réalisations » d’Aziz, le président de l’Assemblée nationale qui tweete : « et si on restait sans gouvernement, comme la Belgique » ? La rumeur entretenue par une certaine presse : rien ne va plus entre le président et l’UPR. Et, dernier, impair en date : le ministre, porte-parole du gouvernement qui, vingt-quatre heures à peine après le transfert de ce « privilège » vers son département, déclare que le pouvoir de Ghazouani est la continuation de celui d’Aziz !!! Peut-être que le brillant physicien avait vu seulement dans son maintien, lui et quelques « anciens », comme une volonté manifeste de poursuivre le « nehj », ce qui est une erreur grossière.
Ceci dit, l’UPR, bien que tout puissant parti au pouvoir, disposant d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale et trônant à la tête de tous les conseils régionaux désormais dotés de pouvoirs conséquents, doit savoir que le président de la République n’est pas son otage. Si Ghazouani décide de rebeloter, il est assuré d’avoir une nouvelle majorité confortable. D’ailleurs, on se demande qu’elle est l’apport réel de l’UPR dans ces 52% si l’on estime que certains, notamment au sein de l’opposition, ont voté Ghazouani parce qu’ils estiment que sa gestion sera différente de celle d’Aziz. Il y a aussi tous les partis satellites de l’UPR qui, probablement, ont engrangé entre 5% et 10% : UDP, Karama, Errava, etc…
Homme de raison, Ghazouani sait pertinemment qu’applaudir à tout va la volonté du Prince, n’est pas forcément un signe de soutien efficace à la politique de celui-ci. L’approbation aveugle des idées et actes d’un président nouvellement élu peut même être source de perdition, synonyme de trahison et précipitation d’un pouvoir qui ne doit tirer sa légitimité que de son adaptabilité – son adaptation – aux principes démocratiques et aux attentes des populations.
Le Président sait qu’il lui faut, dès maintenant, préparer et organiser l’adaptation de la vie politique dans la perspective des cinq années à venir. La question qui, à l’avenir, sera au centre de toutes les problématiques (politique, économique, sociale, environnementale, urbanistique… est celle de l’Unité nationale, de la cohésion sociale et de la préservation des acquis.
Tous les acquis, y compris ceux qu’on renie aujourd’hui au régime de l’ancien président Taya ! C’est aussi une marque de sagesse du nouveau président qui l’a dit et répété : chaque pouvoir a eu son « mérite », même si, côté erreurs, l’histoire jugera.
Un parti au pouvoir qui s’obstine à voir les choses en fonction de ses intérêts propres ne peut aider le président de la République à gagner son pari : faire adhérer La majorité des Mauritaniens à ses projets réformistes.
On peut même dire qu’il nage à contre-courant, provoquant des malaises politiques pires que ceux résultant de l’attitude réfractaire, et tout à fait naturelle, de l’opposition !
C’est ainsi que, pour Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, être le président de tous les Mauritaniens (comme le veut la Constitution), se poser en arbitre, plutôt qu’un juge et partie, même si le soutien d’une majorité reste nécessaire à l’action de son gouvernement, affranchit des contraintes de la politique politicienne et des pesanteurs des conflits d’intérêts de tous genres.
Libre de tout engagement qui ne va pas dans le sens de la consolidation de l’unité nationale, du développement du pays, de la gestion rationnelle des biens publics, de l’instauration de la justice et de l’équité, le président de la République ne prendrait ainsi aucun risque de s’isoler et de ralentir un projet de société qui représente l’avenir, et qui, de toute façon, deviendra indispensable.
Tous les Mauritaniens adhèrent à ce principe mais veillent à son application avec sagesse. « On gouverne les hommes avec la tête. On ne joue pas aux échecs avec un bon cœur », disait Chamfort, célèbre moraliste français du XVIIIème siècle.
Sneiba Mohamed
elhourrya.net