Après le discours fondateur de Ouadane, en décembre 2021, rappelant aux Mauritaniens certaines amères réalités liées à un passé « qui ne doit plus être de notre temps », faut-il parler maintenant du Discours de Madrid ?
A y regarder de près, les deux adresses relèvent bien, en toute logique, d’un Discours de la Méthode. Leur effet cathartique est si évident qu’il faut bien admettre que notre torpeur « intellectuelle » a bien contribué dans notre retard sur plusieurs plans.
Comprenant parfaitement que la vérité choque, dans un pays où l’on est habitué à enrober la parole officielle pour la faire avaler au peuple, le Président Ghazouani ne veut pas entretenir l’illusion d’un pays riche. Oui, la Mauritanie est un pays pauvre ! Les potentialités qu’elle recèle (gaz, or, poisson, fer, uranium, etc.) ne sont des richesses effectives que quand elles sortent de terre ou de mer. Elles le sont moins quand il faut s’appuyer sur des sociétés étrangères qui investissent des milliards de dollars et attendent un retour sur investissement certain ; la Mauritanie, « pauvre » en ressources humaines qualifiées, en savoir et en savoir-faire, se contentant, par nécessité, de la portion congrue de cette manne.
Oui, la Mauritanie est un pays pauvre. Nous en avons toutes les caractéristiques. Les chiffres ne mentent pas. Le Produit intérieur brut mauritanien a franchi le seuil des 5 milliards de dollars US ces cinq dernières années mais il est loin encore de ceux des pays riches, ou seulement de ceux dits "émergents". Le PIB par habitant s’élève à 1 400 $. L’indice de développement humain était de 0.513 en 2016 (157ème rang sur 182 pays classés) et un tiers des Mauritaniens vivent sous le seuil de pauvreté. Un déficit de développement. Nous mangeons ce que nous ne produisons pas (la crise de Guerguarat n’est pas loin).
On allait être heureux s’il ne s’agissait que des légumes ! Le sucre, le blé, le riz, le thé, le lait (malgré notre « richesse » animale), tout nous revient cher, quand les marchés mondiaux de ces matières premières connaissent des perturbations.
Oui, la Mauritanie est un pays pauvre, malgré la « richesse » de son sous-sol. Voyons comment la Banque mondiale parle de notre précarité, avant que le Discours de Madrid ne nous dise nos quat’ vérités : « Des estimations internationales semblent pointer une aggravation de la pauvreté, corroborée par les perceptions pessimistes des ménages sur leur bien-être. Selon ces données, la pandémie de COVID-19 pourrait entraîner une hausse de la pauvreté de 5,4 à 6,3 % entre 2019 et 2020, puis de 6,4 % cette année.
Selon l’indice de capital humain de la Mauritanie, un enfant qui vient au monde aujourd’hui n’atteindra que 38 % de sa productivité à l’âge adulte. Le nombre d’années de scolarité corrigées en fonction des acquis est de 4,2 ans par enfant en moyenne, tandis que 23 % des enfants souffrent d’un retard de croissance dans un contexte de dépenses publiques de santé et d’éducation relativement faibles. À 7,5 % du PIB, les dépenses d’assistance sociale sont élevées pour la région et la protection sociale concerne 47 % du quintile le plus pauvre, soit l’une des meilleures couvertures régionales. »
Alors ?
Voulez-vous que l’on continue à vivre d’illusions, en parlant de « richesses » invisibles ? Sur la carte des PMA (Pays les moins avancés), on voit bien notre chère Mauritanie, à côté du Burkina Faso, du Mali, du Niger, du Tchad, du Soudan, de l’Ethiopie (eh oui !), du Yémen, de l’Afghanistan, de Haïti, du Sénégal (le modèle de « l’Emergence » pour certains), de la Gambie, de la Guinée Conakry, de la République démocratique du Congo (aux potentialités économiques énormes), du Rwanda (un autre « modèle »). 46 pays répertoriés par la CNUCED après la sortie de ce groupe forgé en 1970 par le Conseil économique et social de l’Onu, de quelques pays (Botswana, Cap-Vert, Maldives, les Samoa, Guinée Équatoriale, Vanuatu) qui ont trouvé la voie de l’émergence. Le seul avantage que ces pays ont sur nous, c'est qu'ils acceptent leur "condition de pauvres" et travaillent pour en sortir. Nous, nous vivons dans nos illusions de richesses à venir (le gaz est pour 2023) mais ne faisons rien pour que cela soit.
Sneiba Mohamed