Recroquevillée dans un caddie de supermarché, Kiki Malliora passe à toute allure devant sa sœur en riant à gorge déployée, dans un musée éphémère de Cologne en Allemagne où les habitués d'Instagram viennent chasser les "likes".
Ballons couleur bubble gum, néons à la mode des vieux "diner" préfabriqués américains... le "Supercandy Museum" expose depuis le 1er novembre, et pendant trois mois, des décors de photos totalement calibrés pour les réseaux sociaux et les usagers à la recherche de clichés originaux pour faire grimper leur audience en ligne.
"Bien sûr que la mise en scène est fausse. Mais ce qui m'importe, c'est que les gens voient que je passe un bon moment", se défend la jeune femme de 38 ans, habillée d'un simple T-shirt noir et d'un jean.
Ces "musées temporaires du selfie" se sont multipliés partout dans le monde ces dernières années, permettant à tout détenteur de smartphone de se prendre en photo devant une ribambelle de décors colorés et fantaisistes pour animer ses réseaux.
C'est d'ailleurs la seconde fois que le "Supercandy museum" s'installe à Cologne, après une première édition qui avait attiré pendant six mois 42.000 personnes, essentiellement des femmes, pour un prix de 29 euros l'entrée.
- Authenticité -
Ce concept va-t-il continuer à avoir du succès? Rien n'est moins sûr car une nouvelle tendance gagne du terrain sur les réseaux sociaux, privilégiant l'authenticité.
De plus en plus de stars de l'internet se confient sur les difficultés qu'implique la publication quotidienne d'images "parfaites" sur leur page.
En témoigne la chanteuse américaine Demi Lovato, qui a récolté 10 millions de "likes" sur Instagram en postant une photo d'elle en bikini montrant sa cellulite.
Instagram est même en train d'expérimenter la suppression du bouton "j'aime", en réponse aux critiques concernant son impact sur la santé mentale de ses utilisateurs, désespérés dès qu'une photo n'est pas suffisamment appréciée.
Frank Karch, l'homme derrière le concept du musée pop-up de Cologne, affirme lui que les ventes de billets sont "en hausse" pour cette seconde édition, organisée dans un immeuble industriel du quartier branché d'Ehrenfeld.
"Un jour où l'autre cet engouement va certainement faire son temps", admet-il. Mais selon lui, il y a de la place pour tout le monde.
"La grande tendance de fond va rester la même que depuis l'invention de la peinture : les gens veulent avoir une bonne image d'eux-mêmes", assure-t-il.
Un avis partagé par l'expert en réseaux sociaux Klemens Skibicki, professeur à la Cologne Business School. Pour lui, un gouffre est même en train de se creuser entre l'utilisateur moyen des réseaux sociaux et ceux qui en vivent.
- Photographes professionnels -
Se désintéressant des "selfies", que tout le monde peut pratiquer, les stars des réseaux sociaux n'hésitent plus à faire appel à des photographes professionnels pour se démarquer.
C'est le cas des vedettes allemandes de la téléréalité Ginger Costello Wollersheim et Bert Wollersheim, qui cumulent 85.000 "followers" à eux deux.
Visiteurs d'un jour du "Supercandy Museum", ils s'amusent avec des liasses de billets roses de 100 dollars, pendant qu'un photographe les immortalise.
"Si nous ne mettons en ligne que de mauvaises photos pendant un moment, automatiquement on a moins de likes, et les gens se désabonnent. C'est pour ça qu'on fait des photos créatives et belles", affirme Ginger Costello Wollersheim, 33 ans.
"Venir ici, c'est drôle et cela valorise nos publications. C'est bon professionnellement", ajoute son mari, Bert, 68 ans.
Mais tout le monde ne voit pas l'intérêt d'un tel studio photo géant.
Dans une rue commerçante bondée de Cologne, au pied de l'imposante cathédrale, Anna Maria, lycéenne, se dit réticente à l'idée de dépenser de l'argent pour poser devant un décor artificiel.
"C'est beaucoup trop faux. Je préfère les photos spontanées, quand quelqu'un rit, ou est occupé à faire quelque chose", affirme la jeune fille de 17 ans.
"Et je ne fais de selfie qu'à une seule condition : que mes amis soient avec moi".
AMI