Les 2 et 3 juillet, Emmanuel Macron sera en Mauritanie pour le sommet de l’Union africaine, puis en visite officielle. C’est la première fois, depuis 1997, qu’un président français en exercice se rend dans ce pays sahélien. A un an de l’élection présidentielle mauritanienne, nul doute que le parti au pouvoir saura tirer un profit politique de cette visite. Alors pourquoi ne pas profiter de ce déplacement pour démontrer, de façon concrète, l’attachement de la France à la liberté d’expression et son rejet de la peine de mort ?
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Les discussions entre le président français et son homologue mauritanien, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, seront probablement dominées par la lutte contre le terrorisme au Sahel, une priorité absolue pour Macron. Le président mauritanien a par le passé loué le «pragmatisme» de Macron, mais il est essentiel que ce dernier n’oublie pas les principes et valeurs, notamment ceux des droits humains, dont il proclame qu’ils guident la diplomatie française. Lors de sa première visite officielle en Afrique de l’Ouest en novembre, Macron avait souhaité poser les jalons d’un nouveau dialogue avec ses homologues africains et proposé «d’inventer une amitié pour agir», en rappelant que «le ciment de l’amitié, c’est de commencer par tout se dire».
Sous Abdel Aziz, la Mauritanie s’est érigée en garante de la lutte contre la menace terroriste grandissante dans la région du Sahel, tout en adoptant des lois liberticides qui définissent les infractions terroristes de manière trop vague, permettant aux autorités de museler les opposants et activistes dont le discours déplaît au pouvoir. La loi antiterroriste adoptée en 2010 a valu à Abdallahi Salem Ould Yali, un activiste de la communauté «haratine» – Mauritaniens arabophones, à la peau noire, descendants d’esclaves – d’être poursuivi pour incitation au fanatisme ethnique ou racial, comportement qui constitue une «infraction terroriste». Sa faute ? Avoir diffusé des messages dans un groupe de discussion WhatsApp dénonçant la discrimination dont est victime son groupe ethnique et invitant celui-ci à faire valoir ses droits. Yali est détenu depuis le 24 janvier.
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Le même chef d’accusation pèse sur Oumar Ould Beibacar, colonel de la Garde nationale désormais à la retraite, qui a eu le courage de dénoncer les exécutions sommaires de ses co-officiers en 1992 dans une purge d’officiers noirs de l’armée et de demander des comptes au gouvernement mauritanien pour ces crimes que les autorités préfèrent ignorer. A la suite de ses déclarations en 2015, Beibacar a été placé sous contrôle judiciaire et son passeport confisqué. La justice refuse de trancher ou de classer cette affaire depuis près de trois ans.
Dans une récente interview à Jeune Afrique, le président Aziz a affirmé que «toutes les libertés sont garanties en Mauritanie, nous n’avons pas un seul prisonnier politique». Au-delà d’Abdellahi Yali, deux militants anti-esclavagistes purgent actuellement une peine de deux ans à la prison de Bir Moghreïn, aux confins du désert, au terme d’un procès inéquitable.
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Le cas le plus révélateur reste celui de Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir, un blogueur mauritanien arrêté en janvier 2014 puis condamné à mort pour apostasie après avoir publié un article en ligne remettant en cause l’utilisation par certains de ses compatriotes de la religion pour légitimer la discrimination fondée sur les castes. L’ironie est saisissante : voici un Etat qui prétend s’ériger en rempart contre l’extrémisme religieux et ses diktats, mais dont les tribunaux imposent la peine capitale pour un délit d’expression jugé offensant envers la religion d’Etat.
En novembre dernier, la peine de Mkhaitir a été commuée par la cour d’appel de Nouadhibou en une peine de prison de deux ans, le rendant éligible à une libération immédiate. Depuis lors, il demeure pourtant détenu dans un lieu inconnu, en dehors de tout cadre légal. Seule une pression extérieure semble aujourd’hui susceptible de changer le cours des choses pour ce jeune homme : le président français devrait ainsi appeler le président mauritanien à libérer Mkhaitir dans les plus brefs délais, dans le respect du droit, mauritanien comme international.
Macron devrait aussi interroger son homologue sur le durcissement des lois ayant trait à la liberté d’expression et d’association en Mauritanie. En avril dernier, l’Assemblée nationale a adopté une loi prévoyant que tout musulman coupable d’apostasie ou de blasphème sera obligatoirement condamné à mort, sans possibilité de formuler une demande de clémence fondée sur le repentir. Ce texte viole de multiples garanties du droit international protégeant la liberté d’expression, le droit à un procès équitable et le droit à la vie. Des experts des Nations unies et de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ont exhorté les députés à reconsidérer cette loi, que le président Abdel Aziz a justifié comme une revendication émanant de «la rue».
Les difficultés que pose la coopération avec les gouvernements répressifs dans la lutte contre le terrorisme ne sont pas nouvelles. Mais comment cette coopération pourrait-elle être fructueuse, à long terme, si l’Etat partenaire instrumentalise ses outils de lutte contre le terrorisme pour réprimer des manifestations pacifiques et sanctionner l’apostasie et le blasphème par la peine de mort ? Macron ne devrait pas manquer l’occasion de sa rencontre avec son homologue mauritanien, pour clairement dire que, pour être efficace, la lutte antiterroriste ne saurait passer par la suppression des droits fondamentaux et l’écrasement de toute voix critique.