La stabilité sociale et politique résulte, en toute évidence de règles convenues qui régissent le fonctionnement de la société politique, par essence conflictuelle. Pour encadrer la vie politique dans la société humaine, la démocratie est considérée, à l’heure actuelle, comme la meilleure construction intellectuelle disponible. Sa valeur s’apprécie, notamment, par l’organisation d’élections libres, source de toute légitimité du pouvoir.
Le premier signe qui ne trompe pas sur les intentions d’un pouvoir, c’est le code électoral, cette loi qui fixe les règles du jeu, véritable instrument d’organisation des élections. Conçu et admis par tous les acteurs politiques (pouvoir, partis politiques, société civile…), ce code doit permettre le déroulement des élections en toute transparence, afin d’aboutir à des résultats qui ne peuvent être contestés par aucune partie. Il doit également offrir l’occasion au peuple de bien user, de façon loyale, de son pouvoir de choisir librement ses dirigeants. Pour pouvoir jouer pleinement son rôle, tout code électoral, ses textes et procédures d’application, doivent donc être nécessairement consensuels.
‘’L’Etat, c’est moi’’
Dans cet environnement, les acteurs politiques, majorité et opposition, ne doivent, en aucun cas, se considérer comme des adversaires, mais comme des partenaires loyaux, pour le bien du pays. Ils ne sont que des concurrents en une circonstance, jamais ennemis. A priori légal et pacifique, le combat qu’ils se livrent ne doit, en aucun cas, se traduire en un duel machiavélique ; de surcroît à armes inégales, entre un camp autoproclamé « choix de l’Etat » (majorité au pouvoir) et les autres ou « camp d’eux-mêmes » (diverses oppositions…) ; mais en un échange d’idées et de programmes, entre des partenaires en principe égaux, loin de cette dichotomie insane et abusive, chargée de clins d’œil alléchants, en ce temps de quasi-démission des élites.
Louis XIV déclarant, au 17e siècle : « l’Etat, c’est moi » ; ne savait certainement pas qu’il ferait des émules, bien plus tard, sous d’autres cieux. Mais un pays n’est pas un régiment qui obéit au « garde-à-vous », ni un bataillon qui défile au pas cadencé, au son de la fanfare. Ce sont, bien entendu, des contradictions qu’il faut savoir sciemment et objectivement gérer et concilier. L’opposition doit donc avoir des droits et un statut qui la protège ; elle doit être consultée et informée, pour les grandes décisions qui engagent le pays.
En ce sens, la procédure électorale, légale et réglementaire, doit constituer une camisole de force que s’imposent tous les acteurs. Dans cet esprit, la loi électorale doit fixer les conditions de la collecte de fonds par les candidats, déterminer le plafond et l’origine de ces fonds, et exclure, tout naturellement, le moindre usage de moyens publics. Cette réglementation doit également prévoir, expressément, la mise entre parenthèses, durant les campagnes, de tous les avantages et privilèges des fonctionnaires, agents et responsables publics, dans le libre exercice de leur droit à participer aux campagnes électorales, aux côtés du candidat de leur choix.
Dans une république, le pouvoir est présumé régulateur de l’ensemble de la vie politique nationale. Toute implication de sa part en faveur d’un camp lui fait perdre sa neutralité et entache, du coup, le bon déroulement voire la régularité de la compétition électorale dans son ensemble. Sans transparence et pratiques démocratiques, les élections sont alors détournées de leur sens.Truquées, elles deviennent des armes d’un coup d’Etat civil, soit par le biais d’une procédure électorale volontairement mal conçue, soit par celui des fraudes, voire tout à la fois. Les deux manœuvres convergent d’ailleurs dans une complicité idéale.
Dans cette posture le risque est grand de se retrouver dans des situations insurrectionnelles génératrices de frustrations, menaçant la démocratie et l’unité de la Nation.Une telle situation peut entraîner la déliquescence de l’autorité de l’Etat et conduire à des crises. En résumé, si les élections se résument en de vastes supercheries qui n’ont de démocratique que l’apparence, il ne peut s’agir que d’un détournement, pur et simple, de la volonté populaire, d’un holdup électoral. C’est tout le peuple qui est, en fait, bafoué.
La suspicion, provoquée par le manque de clarté et de confiance, égare le bon sens des citoyens qui ne croient plus, ni en leurs institutions, ni en leurs dirigeants. On s’installe, ipso facto, en pleine impasse : toute idée d’alternance démocratique s’éloigne, voire tarit, et dans ce désarroi, aussi général que profond, les ingrédients de la stabilité prennent un sérieux coup. L’élection bancale produit, sans surprise, ses effets : il n’y a pas de bons perdants, parce qu’il n’y a pas eu de bons et incontestables gagnants. Les acteurs vont continuer à se toiser, dans l’espoir d’un dénouement de la crise dont certains nient, avec véhémence, l’existence, tandis que tous, sans aucune exception, en subissent cruellement les méfaits.
Bourrage d’urnes
En milieu rural, les électeurs, suffoquant sous le poids de l’analphabétisme, de la précarité, de la pauvreté et des structures sociales archaïques, abdiquent leur rôle de citoyen, cédant leur carte d’électeur, leur voix, sous l’effet du chantage ou de n’importe quelle offre matérielle, aussi minime soit-elle, soit directement en leur faveur, soit, et c’est souvent le cas, au bénéfice du chef de village, de clan ou de tribu, qui oriente à sa guise leur vote, ordonnant banalement un bourrage sans limite des urnes. Le tiers de notre électorat se prête « merveilleusement » à ce genre de manipulation.
En cet immense champ de prédilection de la fraude électorale, labouré par un pouvoir impliqué, ouvertement et sans la moindre nuance, en faveur d’un camp, il est légitime de se poser la question sur l’opportunité de compétir, à moins que la participation ait pour seule finalité d’instiller, patiemment, un message politique, estimé aussi opportun qu’utile, en l’espoir de l’émergence, un jour, d’un nouvel ordre politique et social plus lisible, plus équitable, plus harmonieux où chaque acteur pourra jouer, dans la sérénité, son rôle et rien que son rôle.
Si les citoyens d’un pays ne peuvent se dire que leur parti ou leur candidat peut remporter, à la régulière, une élection et gérer les affaires du pays d’une autre façon ; si l’idée demeure qu’une alternance démocratique reste irréalisable ; les acteurs politiques, découragés, prendront leur distance avec les débats politiques, laissant le champ libre au funeste face-à-face entre, d’une part, les autocrates, arrivés et maintenus au pouvoir par la force et/ou en manipulant les urnes ; et, d’autre part, une rue blessée, désemparée et écrasée, sous l’implacable poids de la misère, de la précarité et l’absence de perspective acceptable.
En tout cas, le verrouillage politique et les conséquences fâcheuses qui peuvent en résulter restent toujours imputables au pouvoir en charge de la sécurité et de la tranquillité du pays, bien plus qu’aux autres acteurs politiques, aux doléances et propositions auxquelles toutes les institutions de l’Etat ne réservent, de concert, qu’une provocante, cinglante et méprisante avalanche de rejets sommaires, clairs et nets.
Aujourd’hui, le climat post-électoral est chargé de lourds nuages et incertitudes. Il appelle, sans aucun doute, une approche plus consensuelle, plus inclusive et moins sécuritaire, pour désamorcer, à temps, tout ce que les ennemis, conscients ou inconscients, de la paix et de la sécurité pourraient fomenter. A ce titre, l’édifiant avertissement d’Emile de Girardin –« gouverner c’est prévoir » – mérite d’être minutieusement médité. En tout état de cause, la commune renommée et l’expérience observée, autour de nous, établissent que l’approche exclusivement sécuritaire, n’a, de tout temps et partout, engendré qu’un simulacre exaspérant de stabilité, qui a toujours cédé à la chienlit, très souvent dès la première tentative déstabilisatrice.
Nouakchott, le 06/07/2019
Mohamed Baba ould Abd El Wedoud