nterrogé depuis Tunis, Dr. AMAR est revenu sur son conflit avec le ministère de l’enseignement supérieur et le recul du numérique en Mauritanie
Le Calame : Pourriez-vous nous parler brièvement de votre différend avec le ministère de l’enseignement supérieur ?
Dr. Zakaria Amar : Pour remonter un peu dans le temps, j’ai été recruté à l’Université de Nouakchott lors du 1er concours de recrutement de cette université, Il y a environ 25 ans. D’ailleurs, ironie de l’histoire, le ministre actuel de l’enseignement supérieur, comme celui des infrastructures, plusieurs anciens ministres et des hauts responsables de notre génération ont également participé à ce concours. J’ai entrepris depuis une carrière, d’abord aux Nations Unis comme Coordonnateur régional du Programme « Initiative Internet pour l’Afrique », avant de rejoindre le ministère de l’Éducation nationale comme directeur de l’Enseignement Supérieur. Depuis mon départ du ministère il y a environ 15 ans, j’ai rejoint le Centre européen de gestion des politiques du développement (ECDPM) basé à Maastricht (Pays Bas) avec un bureau à Bruxelles, comme Consultant associé, avec lequel j’ai travaillé dans une trentaine de pays en Afrique et au Moyen orient principalement sur des questions de renforcement de capacité, de gouvernance et d’appui à la mise en place de stratégies de transformation numérique en particulier la digitalisation de l’administration et le développement de l’économie numérique.
Eu égard à l’ampleur de ces tâches, j’ai pris un congé sans salaire de l’Université de deux ans renouvelable une fois, il y a 4 ans avant de réintégrer mon poste cette année. Avant la fin de cette période de congés, j’ai reçu une correspondance personnelle du ministre demandant une copie certifiée de mon diplôme ou à défaut une procuration pour vérifier l’authenticité de mon diplôme de Doctorat. J’ai immédiatement répondu en envoyant une copie certifiée conforme de ce dernier mais le ministre a de nouveau exigé d’avoir cette procuration. Comme l’authentification des références académiques des fonctionnaires de l’Etat n’est pas du ressort de ce ministère et dans un souci de transparence, j’ai donné une procuration au ministère de la Fonction publique, il y a un an et demi, pour procéder à toutes les vérifications de mes références académiques auprès des universités françaises et belges. Mais à ma surprise générale, l’Université a reçu une lettre du ministre quelques semaines après la reprise de mes fonctions ordonnant ma suspension en attendant « d’apporter un diplôme ou une procuration nous permettant d’authentifier son diplôme de doctorat de l’ULB ». Dans un nouveau geste de bonne volonté, j’ai fourni au ministère une copie légalisée de mon diplôme de Docteur en sciences de l’Université Libre de Bruxelles (voir fac similé) et j’ai présenté l’original du diplôme en question au directeur des Ressources Humaines du même Département. Par ailleurs, ma thèse de doctorat est disponible au dépôt légal de l'Université Libre de Bruxelles (accessible en ligne au lien suivant : http://difusion.ulb.ac.be). Son niveau scientifique peut être attesté par le nombre de publications scientifiques dans des revues et conférences internationales qui en sont extraites. Il est à signaler également que l’Université Libre de Bruxelles, est une prestigieuse université publique européenne fondée en 1831, connue pour sa rigueur, son sérieux et son excellence dans la recherche (https://www.ulb.be/fr/l-universite/prix-et-distinctions ).
Selon vous, quelle est l’origine de cette affaire ?
A ce que je sache, n’ayant jamais eu de différend personnel avec ce ministre, bien au contraire, en dépit de notre divergence politique. Il fut un collègue à l’Université pendant une vingtaine d’années. Je l’ai d’ailleurs rencontré lors d’une mission de formulation d’un programme pour l’UE en 2016 et il m’avait plutôt bien reçu. Toutefois, comme beaucoup d'autres universitaires mauritaniens, j’ai usé de mon droit d'exprimer des opinions critiques sur les réformes de l'enseignement supérieur conduites par le ministre notamment la remise en cause du processus de démocratisation de l’Université pour lequel on s’est battu aux côtés de ce même ministre pendant une dizaine d’années. Ceci n'a pas eu l’air de plaire à monsieur le ministre qui, visiblement, ne supporte pas la contradiction. Je soupçonne aussi qu’il ait reçu l’appui d’autres collègues cadres dirigeants aujourd’hui au ministère, diplômés d’établissements et filières doctorales sur lesquels la commission d’équivalence des diplômes avait émis des réserves du temps où je représentais le département dans cette commission.
De plus contrairement à ce qui est mentionné dans les différentes lettres du ministre, tous les collègues de l’Université diplômés des universités belges dont l’ULB ayant des diplômes de formats identiques au mien n’ont fait l’objet d’aucune demande de vérification de l’authenticité de leurs références.
Quelles sont les actions suivantes que vous comptez mettre en œuvre pour retrouver vos droits ?
J’ai fait un recours auprès des hautes autorités concernées du pays et espère avoir une décision administrative dans les prochains jours. En parallèle, je me réserve le droit de porter ces atteintes répétées à mon honneur et à ma crédibilité devant les juridictions compétentes.
Dans un autre registre, vous avez été il y a 25 ans avec d’autres collègues parmi les promoteurs du développement de l’accès et de l’utilisation d’Internet en Mauritanie, comment vous expliquez le recul aujourd’hui de l’accès et des applications numériques dans le pays?
Force est de constater aujourd’hui que notre pays est à la traîne aussi bien sur le plan de l’accès que celui de la transformation numérique. Au moment ou de nombreux pays africains sont déjà depuis belle lurette à la 4G et les pays développés à l’image de la Corée du Sud commencent la mise en place de la 5G, nous peinons à avoir un accès minimal via la 3G ou l’ADSL et uniquement dans certains quartiers de Nouakchott et dans certaines grandes villes. Les opérateurs de télécommunications, faute d’une injonction ferme du régulateur, ne respectent pas totalement leurs cahiers de charges et ne font que des investissements cosmétiques. La qualité des appels qui laisse à désirer (taux d’échec très important), l’absence de formules commerciales attractives et le coût élevé d’interconnexion entre les opérateurs en sont une parfaite illustration. Pour ce qui de l’économie numérique, en dépit de l’investissement réalisé dans le système de gestion biométrique de l’Etat civil, très peu de services de l’administration ont été digitalisés et l’utilisation de l’informatique même dans le secteur privé demeure marginale.
L’évolution technologique vers le tout numérique est une nécessité pour le pays car elle permettra une réduction des disparités socio-économiques en facilitant l’accès à des services en particulier dans les domaines de l’éducation et de la santé. Par ailleurs, la révolution numérique, par le biais des services financiers, d’e-commerce, d’e-learning et de recrutement, constitue pour la Mauritanie une opportunité de développer de nouveaux potentiels d’affaires et de création d’emplois. La digitalisation de l’administration contribuera par ailleurs à l’amélioration l’accès à ses services, à l’augmentation de la transparence dans les procédures administratives et à la réduction de la corruption.
Propos recueillis par AOC
*Professeur à l’Université de Nouakchott et Consultant international, spécialiste de la transformation et de l’économie numérique
source lecalame.info