"Diktat", "triste", "injuste"... Le monde sportif russe était amer et abasourdi mardi après la recommandation faite la veille par un comité indépendant de l'Agence mondiale antidopage (AMA) qui ouvre la voie à une suspension du pays, soupçonné de falsification de données, pour les prochains Jeux olympiques.
Selon le comité de révision de la conformité (CRC) de l'AMA, la Russie aurait fait disparaître des "centaines" de résultats de contrôles antidopage suspects de ses fichiers transmis à l'AMA au début de l'année. Or, la remise de ces données était une condition indispensable pour lever de précédentes sanctions contre l'agence antidopage russe (Rusada), au coeur d'un système de dopage institutionnel entre 2011 et 2015.
Aux yeux du CRC, le cas est "extrêmement grave". Si le comité exécutif de l'AMA, qui se réunira le 9 décembre à Paris, confirme les mesures recommandées, la Russie sera purement et simplement mise au ban du sport international pendant quatre ans, avec exclusion des compétitions dont les Jeux olympiques.
Des sportifs ayant démontré "qu'ils ne sont impliqués en aucune manière" dans les affaires de dopage pourraient toutefois être admis, sous drapeau neutre, comme ce fut le cas aux JO d'hiver 2018 ou lors des compétitions internationales d'athlétisme depuis 2015.
Une solution jugée "inadéquate" par le patron de l'antidopage américain. "L'AMA doit frapper plus fort et interdire la participation de tous les athlètes russes aux Jeux olympiques, comme le permet le règlement", a plaidé Travis Tygart, qui avait vivement critiqué la levée de suspension de l'agence antidopage russe (Rusada) l'an dernier.
"La Russie continue à se moquer des règles antidopage mondiales, à humilier les athlètes propres, à narguer l'AMA et à s'en tirer encore et encore", a tonné Tygart, pour qui "il est désormais temps de prononcer les sanctions les plus dures possibles".
Sans attendre la réunion du 9 décembre, le Comité international olympique (CIO) a indiqué qu'il "soutiendra les sanctions les plus sévères" prises à l'encontre de "tous les responsables de cette manipulation", dénonçant "une atteinte à la crédibilité du sport lui-même et une insulte au mouvement sportif mondial".
Le ministre russe des Sports, Pavel Kolobkov, a de son côté répété que la Russie avait "rempli honnêtement ses obligations" et d'ores et déjà annoncé que si l'AMA votait les sanctions demandées par le CRC, la Russie se défendrait devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) de Lausanne.
Chez les fédérations et responsables sportifs russes, certains ont appelé à attendre la date fatidique, d'autres ont laissé éclater leur colère.
La fédération de boxe, qui avait d'abord dénoncé une recommandation "très injuste" et un "diktat", a publié un communiqué dans lequel son président Umar Kremlev affirme que "les responsables du sport russe, notamment les dirigeants des fédérations sportives, sont à blâmer".
De son côté, la Fédération russe de hockey sur glace a aussi assuré dans un communiqué "s'être toujours prononcée pour un sport propre" et "respecter la décision de toutes les organisations internationales sur la question du dopage".
- Sportifs "otages" -
Le patron de l'agence antidopage russe, Iouri Ganous, s'attend à ce que l'AMA suive les recommandations et suspende la Russie, plongeant son pays "dans une nouvelle crise antidopage".
Interrogé par l'AFP, il a exhorté le président Vladimir Poutine à prendre "une part active" dans la mise en place d'une nouvelle gouvernance sportive.
Les avocats de l'ancien directeur du laboratoire antidopage de Moscou, Grigory Rodchenkov, en fuite aux Etats-Unis, ont quant à eux appelé le CIO à être intransigeant. "L'AMA mérite des applaudissements pour avoir révélé les délits de la Russie, mais si le CIO et les autorités sportives donnent un laissez-passer à la Russie, d'autres pays vont s'engouffrer dans la brèche", déclarent Jim Walden et Avni Patel dans un communiqué publié aux Etatst-Unis.
Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a dit voir une dimension politique dans la recommandation du CRC et une volonté de placer Moscou "dans une position défensive, accusée de tout et partout".
Du coup, la manière forte est préconisée: pendant quatre ans, aucun officiel russe, ni le drapeau du pays, ni son hymne n'auraient droit de cité lors des Jeux olympiques et paralympiques.
La Russie, qui a fait du sport un outil de sa puissance sur la scène internationale, ne serait aussi plus autorisée à poser sa candidature à l'attribution d'événements sportifs internationaux.
Un temps évoquée, une exclusion de la Russie de l'Euro-2020, dont quatre rencontres auront lieu à Saint-Pétersbourg, semble écartée, un responsable de l'AMA ayant assuré à l'AFP que la compétition n'était pas concernée par les sanctions recommandées.
Vladimir Poutine rencontrera mercredi à Saint-Pétersbourg le président de l'UEFA, Aleksander Ceferin.
Reste maintenant à savoir si le comité exécutif de l'AMA, composé à part égales de représentants du mouvement olympique et des gouvernements, ira si loin. Dans tout les cas, il appartiendra au Tribunal arbitral du sport (TAS) de se prononcer en dernier recours.
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AFP