Sur fond de débat sur la juste et égale répartition des richesses et des responsabilités en conformité avec l’idée que nous nous faisons (ou pas) de la Mauritanie plurielle, a surgi la question de la « discrimination positive » comme amorce de solution.
En réaction, un mathématicien, ancien universitaire, ancien ministre, ancien ambassadeur (va tabaarakallahu, maa shaa Allahu) a partagé un billet d’opinion qui vaut le détour. Le lecteur y trouvera des arguments imparables, d’autres qui ne laissent pas de surprendre, et des passages qui frisent la caricature. Mais avant d’aller plus loin, nous devons interroger l’expression elle-même.
Parler de « discrimination positive » c’est faire le parti pris de l’injustice et de la polémique. Il serait plus judicieux de lui substituer l’expression « mesures correctives ou de rééquilibrage ».
Pour ce qui concerne le texte de M. Isselkou Ahmed Izid Bih Néyé (puisque c’est de lui qu’il s’agit), je relève d’abord l’argument selon lequel « les principaux freins (misère matérielle, séquelles de l’esclavage, népotisme, gabegie, etc.) qui freinent notre évolution souple vers une société égalitaire, démocratique et moderne, transcendent, historiquement et dans les faits, les lignes de fracture ethno-raciales supposées… ».
C’est en partie juste. Même si quelques voix ont tendance à assimiler le groupe des détenteurs de la ressource et du pouvoir à l’ensemble de « ceux qui leur ressemblent » (synecdoque), il n’en demeure pas moins que les exclus ne se recrutent pas que dans une communauté, toutes choses étant égales par ailleurs.
Et certaines revendications ont tellement pris l’habitude de se parer de l’habit identitaire et particulariste qu’il en est devenu difficile de miser sur la solidarité des exclus autour d’un idéal commun ou d’une communauté de sort (ou de condition).
Pourtant, elles eussent gagné à mettre en commun frustrations et combats en mettant de côté origines tribales, ethniques, régionales… En lieu et place, les frustrations se côtoient en s’ignorant. Pour le plus grand bonheur de la classe qui distribue cartes, privilèges, responsabilités et ressources.
Vient ensuite la proposition selon laquelle « une école républicaine universelle, égalitaire et de qualité, constitue le remède idéal pour résorber efficacement les problèmes de société, promouvoir l’équité dans la durée et asseoir définitivement la concorde sociale. ».
Le moins que l’on puisse dire c’est que l’école mauritanienne n’est pas le creuset qu’elle devait être et que dans son organisation actuelle, elle ne peut remplir les fonctions que lui assigne l’ancien président de l’université de Nouakchott et ancien ministre de l’enseignement supérieur.
Plus que jamais, les enfants du pays suivent des destins parallèles en raison d’un système éducatif à l’architecture hiératique, avec des réformes plus floues les unes que les autres, et à la fin les résultats que l’on sait. Par conséquent, vouloir compter sur l’école telle qu’elle se présente aujourd’hui pour résorber le problème de l’exclusion ne peut être un projet à court ou moyen termes.
Par ailleurs, dans son point 6, l’ancien ministre constate que « le communautarisme a révélé ses limites dans les pays qui l’avaient historiquement adopté comme mode de gestion politique; car figer artificiellement la société dans une configuration politique donnée, à logique antagoniste et archaïque, c’est en menacer la cohésion présente et en hypothéquer le développement harmonieux ultérieur ».
Oui. J’eus aimé cependant le voir poursuivre le raisonnement pour savoir ce qu’il propose à celles et ceux qui, assis sur le bord de la route, voient passer la caravane du festival sans jamais pouvoir participer à la fête.
Au nom d’un improbable idéal républicain importé (Jacobinisme de l’ancien colonisateur), nous avons voulu gommer les aspérités et nier les particularismes. Tout le monde est supposé aller à la compétition sur la base des seules compétences, à égalité de chances. Mais dans les faits, bien que les exclus se recrutent dans toutes les communautés, il y en a qui le sont plus que d’autres.
Et dans des proportions de plus en plus injustifiables et insupportables. Pour rester crédibles dans le rejet du communautarisme, il faut présenter un tableau plus représentatif, inclusif et pluriel.
A défaut de l’embarras du choix, il faut bien se féliciter de pouvoir compter avec le choix de l’embarras en attendant qu’un système plus juste, égalitaire et inclusif satisfasse plus ou moins tous les protagonistes.
L’impression générale qui se dégage du texte de M. Isselkou Ahmed Izid Bih Néyé (et le titre le suggère à suffisance) est que les mesures correctives ou de rééquilibrage créent plus de problèmes qu’elles ne proposent de solutions.
L’honnêteté veut que nous rappelions que cette thèse n’est pas nouvelle dans le débat, depuis « l’affirmative action » de Kennedy en faveur des Noirs des USA en passant par le Black empowerment en Afrique du Sud (qui produira la classe moyenne parfois péjorativement appelée Black Diamonds) et l’initiative prise par certaines grandes écoles en France – Convention d’Education Prioritaire de Sciences Po- pour ouvrir les portes de ces institutions élitistes aux élèves issus des couches défavorisées des quartiers pauvres.
Dans certains cas, ces nouvelles recrues ont fait l’objet de stigmatisations cruelles qui en faisaient des « pistonnés » ou des élites au rabais.
Mais les faits historiques -depuis les USA jusqu’au gender balance universel aujourd’hui dans les institutions internationales- prouvent qu’en forçant la décision -et le destin-, les mesures correctives ont permis à des individus de briser des plafonds de verre sans rien envier, en compétences et en mérite, aux détenteurs traditionnels de privilèges de classe.
Il n’est donc pas juste de réduire le concept à une espèce de courte-échelle faite à des catégories n’ayant pas le niveau. C’est une vision étriquée et non conforme à la réalité.
Il y a des disparités nettes qui s’installent dans chaque société, chaque organisation selon des affinités sélectives, des subjectivités qui portent préjudice à des segments qui, en raison de caractéristiques n’entrant pas dans les cases des groupes dominants, finissent par se retrouver à la marge. Je cite rapidement les minorités (sexuelles, religieuses ou ethniques…), les personnes souffrant d’un handicap, certaines catégories sociales…
Le principe consiste à faire qu’à compétences égales, le choix se porte sur les catégories les moins représentées. Si l’on part du principe que tous les groupes se valent et qu’aucun n’est créé pour être naturellement supérieur aux autres, la question qui doit interpeller est celle de savoir pourquoi alors certains groupes sont moins représentés que d’autres? Puisque leurs aptitudes et leurs compétences ne sont pas en cause et qu’ils expriment le souhait de prendre part à l’aventure, c’est que forcément quelque chose quelque part les maintient en dehors du cercle.
Et ce ne peut être que la volonté des détenteurs des leviers de commande de garder jalousement leurs privilèges. C’est principalement la raison pour laquelle ces derniers sortent les dents à l’évocation d’un mécanisme destiné à mettre un terme à leur hégémonie ou qui les perturbe dans leur zone de confort.
En vérité, l’adoption de mesures correctives ou de rééquilibrage permettrait d’avoir des communiqués du Conseil des Ministres qui reflètent la diversité de la Mauritanie. Elle permettrait d’avoir un haut commandement militaire avec des généraux qui se recrutent dans tous les foyers de Mauritanie.
Elle permettrait d’avoir des photos de sortie de promotion des écoles militaires ou de la faculté de médecine plus représentatives de la pluralité du peuplement mauritanien. Elle permettrait d’avoir plus de diversité dans la détention de licence pour les banques et les médias privés. Elle permettrait de présenter un tableau plus diversifié en matière de présence des femmes dans tous les corps de métier, à tous les niveaux de décision. Elle permettrait l’avènement d’une Mauritanie où une personne souffrant de handicap n’aura pas d’autre choix que d’aller s’installer au carrefour BMD ou à Marset Lekbeid pour faire la manche.
Si c’est un pis-aller, il est de belle étoffe au regard des injustices qu’il répare. Mais encore faut-il le vouloir vraiment en sortant de la culture du déni. Les pays qui en ont fait l’expérience ont commencé par reconnaitre la réalité des disparités fondées sur le statut, la classe ou la naissance. La Mauritanie gagnerait à l’envisager sérieusement. Bien sûr que ce ne doit être qu’une mesure transitoire en attendant l’arrivée d’une société juste et égalitaire.
Finalement, le principal dans ce que j’ai compris du texte de Isselkou Ahmed Izid Bih Néyé semble être l’appel implicite au statu quo ante. Au grand désespoir de celles et ceux qui n’y trouvent pas leur compte pour avoir été exclus du banquet.
Or, forcer la décision a toujours prévalu -pour faire plaisir à un clan ou à un fidèle putatif- sans jamais susciter l’indignation outre-mesure. C’est par ce pouvoir discrétionnaire que le politique a parfois placé à la tête d’une ambassade un physicien, un économiste, un mathématicien, un journaliste… au grand dam des diplomates de carrière sans que grand monde s’en émeuve outre-mesure.
Nous ne devons a fortiori pas nous en offusquer quand il s’agit d’introduire des mesures correctives au bénéfice de la collectivité. Parce que Nous ne pouvons raisonnablement pas persister sur la voie actuelle si nous voulons vraiment le Salut. A moins que nous ne souhaitions aller au suicide collectif.
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Abdoulaye Diagana
Kassataya
rmi-info
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