Après bien des hésitations, l’incertitude, des pourparlers en coulisses qui traînent et des faux départs, enfin, depuis le samedi 17 Avril 2022, les protagonistes du dialogue tant souhaité se sont engagés dans la ligne droite. La Commission préparatoire, composée de 9 responsables de la Majorité présidentielle et 9 de l’opposition, a entamé ses travaux.
Au moment où le pays, comme tant d’autres de la planète terre, fait face à de multiples problèmes (unité nationale, enrôlement, gestion de la pandémie de la COVID-19, insécurité interne et aux frontières, etc.), tout le monde s’interroge sur les résultats auxquels on peut s’attendre à l’issue d’un tel dialogue, tant les attentes sont nombreuses et leur satisfaction reste une préoccupation majeure des citoyens. Tout le monde scrute, avec espoir mais aussi avec appréhension, ce qui peut sortir d’un dialogue si souhaité, tant son opportunité est devenue un impératif.
Aussi, et pour une fois que les parties semblent animées d’un esprit de conciliation et d’ouverture, ce dialogue devrait prendre à bras-le-corps toutes les problématiques et tous les problèmes saillants de nature à handicaper le développement du pays. C’est dire que ledit dialogue se doit de confronter les idées, bousculer les habitudes, les inerties et l’immobilisme qui marquent la vie politique du pays, prioriser l’analyse et la réflexion sur les objectifs à atteindre, les stratégies à adopter et les potentialités devant être mobilisées, en particulier le capital humain.
Nombreuses attentes
Le principal risque étant que le citoyen sombre dans le pessimisme et la déception dans un monde où le vrai, le faux et l’invraisemblable se côtoient, les participants au dialogue se doivent d’aboutir à des résultats qui permettent, demain, une meilleure connaissance pour le peuple de la direction qu’emprunte le pays, la vision politique de ceux qui gouvernent, les mesures à prendre pour trouver des solutions aux divers problèmes structurels et problématiques qui perdurent.
Les attentes sont nombreuses et revêtent, toutes, un caractère d’urgence. Ces attentes ne sont autres que les actes et actions qui renforcent la démocratie, assoient l’État de droit dans toute sa splendeur et contribuent au bien-être social, économique et culturel des populations. Bien entendu, ces attentes devraient transcender le simple formalisme des textes pour épouser les courbes de la réalité de tous les jours, car les notions d’égalité, de justice, d’équité, de développement seraient creuses si dans les faits le peuple n’en ressent pas le bénéfice et les retombées à court terme.
Le dialogue se doit aussi d’inscrire dans ses thèmes les moyens de raffermir le sentiment d’appartenir à une seule nation, la culture patriotique, le vivre ensemble, l’apport de tous pour le façonnement d’un pays réellement indépendant, prospère et stable culturellement, socialement et politiquement.
Autant ce dialogue doit aborder, sans tabou ni langue de bois, tous les sujets qui préoccupent les Mauritaniens, autant il doit être inclusif et ouvert ; ses conclusions devront être prises en compte et mises en œuvre par qui-de-droit.
De façon non exhaustive et non limitative, le dialogue devra porter sur la Loi fondamentale (Constitution) et les possibles modifications qui pourraient lui être apportées ainsi que le respect des lois et règles de la République. D’autres thèmes d’importance concernent l’unité nationale ternie par des passifs non encore définitivement soldés (aussi bien humanitaire qu’économique) ; la problématique de l’esclavage (et ses séquelles), sujet polémique qui doit être pris à bras le corps, sans surenchère ni désinvolture, puisque malgré les textes édictés et les tribunaux spéciaux dédiés à cette problématique, certaines ONG des droits de l’homme continuent de dénoncer son existence.
Le système éducatif reste inadapté et les multiples réformes n’ont jusque-là pas apporté de solution tangible. Ce système, qui manque d’uniformisation, contribue à la division des citoyens : écoles privées pour les riches et école publique pour les pauvres. Aujourd’hui, malheureusement, le manque de niveau est tel qu’on assiste à un nivellement aussi bien par le haut que par le bas. Et la place des langues nationales dont un projet de loi est déjà rédigé ne semble pas mettre d’accord tout le monde.
Administration malade
Aussi, la lutte contre l’extrémisme (qu’il soit religieux ou autre) doit être renforcée et une attention particulière doit être portée à la justice dont l’indépendance est sujette à caution et elle souffre de plusieurs autres maux : lenteur, difficulté d’exécution des décisions, manque de spécialisation, garantie de l’égalité de traitement de tous, trafic d’influence, favoritisme.
A cela, il faut ajouter une administration qui, le moins que l’on puisse dire, est qu’elle est malade et a besoin d’un diagnostic sous forme d’inventaire de tous les maux qui rongent ce corps métastasé, lequel diagnostic révélera sûrement le laisser-aller, les atermoiements et les fausses thérapies du passé. Le mal s’est enraciné ; mieux, il a généré une vraie gangrène qui a comme noms la gabegie, la corruption, la démotivation, le sureffectif, le gaspillage, l’absentéisme, l’hyper centralisation, l’inefficacité des contrôles existants, le népotisme, la lenteur, l’opacité, l’autoritarisme, l’absence d’évaluation.
Ce qui est attendu de ce dialogue tant souhaité, c’est aussi :
- La prise en compte de la société civile qui doit être perçue comme un partenaire devant être associé à l’animation de la vie nationale ; elle joue un rôle de veille et d’éveil et elle est une sentinelle de défense des droits et de la démocratie qui considère que l’homme est l’alpha et l’oméga, le moyen et la fin de tout processus. Devant, le moment venu, se tenir à égale distance des antagonistes, la société civile peut apporter à ce dialogue une précieuse contribution ;
- La recomposition de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) de façon consensuelle ;
- L’adoption de tout mécanisme pouvant aider à la bonne gouvernance par la mise en place, notamment, d’une institution dédiée au recouvrement des biens spoliés et/ou mal acquis ainsi que la lutte sans merci contre la corruption.
Quelles que soient les divergences des uns et des autres, le dialogue souhaité ne saurait porter que sur l’essentiel, à savoir le renforcement de l’unité nationale et la cohésion sociale.
A ce titre, ce dialogue doit aboutir à l’adoption d’une feuille de route consensuelle qui fixe les bases d’une démocratie apaisée, d’un climat social serein et d’une coexistence pacifique, car la Mauritanie nouvelle qu’on veut bâtir passe nécessairement par l’instauration d’un dialogue ouvert, inclusif et élargi à toutes les familles politiques, dans le respect de l’opinion et des choix de chacun afin de préserver le pays de l’appel des mauvaises sirènes ; ce qui suppose la rupture avec l’étroitesse d’esprit, le chauvinisme, l’esprit du clan ou de la tribu. Cela suppose surtout l’ouverture, la tolérance, l’acceptation de l’autre, avec comme priorité la solution aux problèmes cruciaux que connaît le pays.
Ce dialogue devrait poser les jalons d’une stabilité ne devant pas se résumer à la seule absence de troubles, de coups d’État mais plutôt une stabilité où la bonne santé des populations est une priorité, l’instruction est dispensée à tous, que tous disposent d’eau potable, d’électricité, de nourriture décente ; où l’homme jouit du respect, est vêtu et bien logé dans un État de droit garant du devenir de tous et de tout un chacun.
En conclusion, on se doit de saluer cette volonté d’aller au dialogue, avec l’espoir que les résultats soient à la hauteur des attentes car il ne servirait à rien que les parties (opposition au sens large, gouvernement ou partis qui le soutiennent) ou le peuple mauritanien, par extension, versent dans l’entêtement, la contestation permanente, les voies sans issue de la part de l’opposition et le passage en force du pouvoir.
La démocratie et l’Etat de droit ne sauraient progresser, s’enraciner sans le dialogue et le consensus.
Maître Mine ABDOULLAH
Avocat à la Cour
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