28 ans après les événements de 1989 qui les avaient contraints à tout laisser derrière eux, bétails, champs, et village pour prendre le chemin de l’exil au Sénégal afin échapper aux massacres, l’espoir d’une nouvelle vie renaît chez les réfugiés Mauritaniens. Établis, pour la plupart, le long de la vallée du fleuve Sénégal dans des sites, devenus, aujourd’hui, de grands villages, les réfugiés mauritaniens sont en pleine phase de reconstruction de leur vie. Rencontrés à l’occasion d’une visite de presse organisée par les services de communication du bureau régional du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Hcr), le 31 mai et le 1er juin derniers dans quelques sites sur les 16 qui les accueillent, certains d’entre eux ont fini de faire une croix sur leur pays d’origine, la Mauritanie. |
Cette visite de presse qui n’est pas une première s’inscrit dans le cadre des activités du service de communication du bureau régional du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Hcr) dans le département de Podor, dans les sites d’accueils des réfugiés mauritaniens. Pour cette année, ce sont les villages de : Niakwar, Diolly, Dodel, Taredji, Donaye, Ranéré et Arifunda qui sont à l’honneur. Autrefois de petits sites d’accueils provisoires des négro-mauritaniens qui ont traversé le fleuve pour fuir les persécutions dans leur pays, ces localités situées respectivement dans les arrondissements de GamadjiSaré et de Thillé Boubacar, sont aujourd’hui, devenues des villages incontournables dont les occupants ont même réussi à se défaire des dons en vivres qu’ils recevaient depuis leur arrivée au Sénégal en 1989 du Hcr. En effet, rassemblés dans des groupements d’hommes et de femmes, des réfugiés s’activent autour de l’agriculture et du commerce grâce au soutien du programme d’intégration locale des réfugiés mauritaniens au Sénégal du Hcr mise en œuvre par l’Office africain pour le développement et la coopération (Ofadec) qui est le bras technique du Hcr. À Niakwar, village baptisé en souvenir de leur localité d’origine en Mauritanie, Seydou Sall et ses compatriotes sont parvenus aujourd’hui, à changer complétement de mode de vie grâce à la pratique de la riziculture. Bénéficiaires d’un périmètre rizicole, aménagé à un jet de pierre du Ngalenka, un des affluents du fleuve Sénégal par Ofadec dans le cadre de ce programme d’intégration locale des réfugiés, le vieux Sall et ses compagnons produisent l’essentiel du riz que consomment leurs familles. Trouvé dans ce champ verdoyant de riz qui pousse à perte de vue sur une dizaine de parcelles, Seydou Sall, arrivé au Sénégal avec sa famille en 1989 dans les premiers groupes de réfugiés, aujourd’hui âgé de plus de 70 ans, se réjouit de sa «dignité» retrouvée grâce à l’exploitation de ce périmètre rizicole de 30 hectares qu’il partage avec d’autres compatriotes. «Ce périmètre était prévu pour 200 familles mais finalement les autres compatriotes se sont désistés pour faire autre chose. Aujourd’hui, nous sommes 55 familles de réfugiés à l’exploiter en raison de 0.5 hectares par famille. On n’a donc de petites parcelles et nous pratiquons essentiellement la monoculture du riz destinée à la consommation familiale. Ce n’est pas grande chose mais cette activité nous a permis de retrouver notre dignité perdue. Nous sommes arrivés ici les mains vides après avoir été dépossédés de tout ce que la vie nous avait donné chez nous. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de reconstruire nos vies au Sénégal grâce à notre «papa» le Hcr et notre «oncle» Ofadec. Nous produisons l’essentiel du riz que nous consommons dans nos familles respectives en dépit d’une baisse des rendements. Ces derniers sont passés de 80 sacs de 50 kilogrammes de riz lors de la première campagne par parcelle à 40, voire 30 sacs de 50 kg de riz», explique le vieux Seydou Sall tout en posant un certain nombre de doléances en sa qualité de chef de ce périmètre au nom de ses compatriotes. Devant le responsable de la communication du bureau régional du Hcr, Simplice KPANDJI et son collègue, Mamadou Ba, chargé des projets à Ofadec, le vieux septuagénaire a demandé, entre autres, un appui auprès des responsables d’Ofadec pour la construction des digues pour protéger leur champ de la remontée des eaux du Ngalenka qui rendent inaccessible leur champ pendant la saison des pluies, mais aussi l’aménagement d’autres parcelles pour, dit-il, accroître les rendements de leur production. Toutefois, il faut souligner que le vieux Sall n’est pas le seul chef de périmètre a posé le problème de l’étroitesse de périmètre rizicole et formulé la demande d’aménagement d’autres surfaces cultivables. En effet, à la suite du vieux Sall, Bra Ba, chef du périmètre rizicole de Diolly, soulignant que leur périmètre de 17 hectares est actuellement exploités par 21 familles en lieu et place des 40 a formulé la même requête d’aménagement d’autres devant le chargé de la communication du Hcr et son collègue d’Ofadec. Trouvé debout au milieu de son champ de riz qui attire le regard, même des moins curieux sous une chaleur de plomb, frôlant la barre des 45° à l’ombre, Bra Ba, enturbanné et armé de faucille pour justifier sa doléance, a évoqué la nécessité de permettre aux autres familles de son groupe, de profiter elles aussi de ce programme. Évoquant les rendements des précédentes campagnes, il a indiqué qu’ils sont de 100 sacs de 50 kg par parcelles lors de la dernière campagne. Un peu plus loin, dans le périmètre rizicole du village de Ranéré, situé à quelques encablures de la commune de Ndioum au bord du Doué, l’autre affluant du fleuve Sénégal, même constat. Ancien soldat dans l’armée Mauritanienne aujourd’hui, âgé de 53 ans, Ibrahima Diallo, marié à deux épouses et père de 8 enfants, est le responsable du périmètre de Ranéré qu’il partage avec 26 autres compatriotes. Contrairement à leurs compatriotes des villages voisins, Ibrahima Diallo s’adonne plutôt à la polyculture maraîchère. «Nous faisons ici de la polyculture des légumes parce que l’aménagement du sol n’est pas propice à la riziculture. Nous cultivons toutes sortes de légumes (poivron, piment, ognon) destinés à la vente. Notre chiffre d’affaires varie selon le type de légume vendu. Par exemple, pour le périmètre du gombo, nous pouvons récolter jusqu’à 40 kg par semaine, vendu à 25 000f pendant 4 mois», explique Ibrahima Diallo qui se dit également satisfait des conditions de sa nouvelle vie au Sénégal, grâce aux bénéfices qu’il tire de la vente des légumes qu’il produit dans son champ. Cependant, les hommes ne sont pas les seuls dans cette entreprise de reconstruction. Puisque dans chaque village visité, des femmes de réfugiés, regroupées autour des groupements féminins s’activent également dans le maraîchage et le commerce grâce à un financement de 2.5 millions du programme d’intégration du Hcr. Pour rentabiliser cet investissement, elles ont ainsi monté des microcrédits chargés de gérer ce fonds grâce à des prêts de 100 000 F CFA octroyés à chacune d’elle. Ce prêt est remboursable sur 12 mois plus un intérêt de 10500 F CFA qui servira à financer des activités essentiellement dominées par la vente de couscous, tissus et légumes dans les principaux marchés hebdomadaires, communément appelés «Louma». La réussite des initiatives personnelles A côtés de ces projets communautaires, nous avons également rencontré des refugiés qui ont su réussir des initiatives individuelles. C’est le cas de Ramarata Sow, Thierno Sow et Ndiaga Sall, respectivement propriétaire d’un atelier de couture au marché de Donaye Tarèdji, dans l’arrondissement de Gamadji Saré, situé au croisement de la bretelle de Podor avec la route nationale n°2, d’un Gérant magasin de vente de produits de phytosanitaire à Podor et d’un atelier de couture à Podor, les trois sont parvenus, grâce à un appui du projet d’intégration local, à monter leur propre affaire. Aujourd’hui, Ramarata Sow, mère de famille dont une fille en classe de TL subvient aux besoins de sa famille grâce à son activité de couture. S’agissant de Thierno Sow, marié à une femme sénégalaise, il préfère garder sa nationalité mauritanienne, tout en vivant au Sénégal, en dépit des difficultés qu’il éprouve à trouver de l’argent pour approvisionner sa boutique, il parvient tout de même à faire un chiffre d’affaires annuel d’environ un million tiré de la vente de ses produits grâce à ses compatriotes établis sur les deux rives du fleuve Sénégal. De son côté, Ndiaga Sall, jeune tailleur qui a bénéficié également du financement du Hcr pour ouvrir son atelier de couture après sa formation, se réjouit du service qu’il rend aux enfants de ses compatriotes qui échouent à l’école. Situé dans le centre-ville de Podor, son atelier est en quelque sorte devenu un réceptacle pour tous les enfants de réfugiés victimes de l’abandon scolaire. Sur place, une dizaine d’enfants dont les âges varient de 08 ans à plus de 16 ans Rêve de devenir sénégalais Aujourd’hui, grâce à cette activité agricole, la plupart des réfugiés, notamment les chefs de familles rencontrées lors de cette visite, ont clairement exprimé leur souhait de rester au Sénégal. «À mon âge, je ne pense plus retourner en Mauritanie. La décision revient à mes enfants qui sont libres de décider d’y retourner, cependant moi, je ne vois plus l’intérêt d’y poser mes pieds. Ma maison, mes champs, tout ce que j’avais a été confisqué, je ne vois donc plus l’intérêt d’y retourné. Je préfère donc rester ici et attendre mon jour dernier au Sénégal. D’autant plus qu’avec l’aide de Dieu et l’appui de notre papa, le Hcr et notre oncle Ofadec, nous sommes en train, petit à petit, aujourd’hui de reconstruire nos vies ici au Sénégal», tranche le vieux Seydou Sall. Toutefois, il n’est pas le seul à exprimer ce vœu de tourner définitivement la page de la Mauritanie pour se concentrer à sa nouvelle vie au Sénégal. «La plupart de nos amis et parents qui étaient rentrés dans le cadre du programme retour volontaire du Hcr vivent aujourd’hui de graves difficultés. Depuis 2005, beaucoup d’entre eux peinent encore à obtenir les papiers administratifs. En plus, d’après les informations qui nous viennent de là-bas, d’autres ont perdu leurs terres confisquées par les maures blancs «Nares». Cette situation a fait que beaucoup sont revenus quelques temps après leur départ. Dans ces conditions, aucun membre de mon clan n’envisage de repartir. Nous avons été bien accueillis ici au Sénégal par la population locale et nous comptons rester et vivre ici», témoigne Ousmane Ly, arrivé en 1989 avec sa famille aujourd’hui âgé de plus de 60 ans. Tout comme lui, la plupart des réfugiés de son groupe de Niackwar que nous avons abordé, expriment également ce désir de rester définitivement au Sénégal. Ndiaga Sall ne cache pas lui aussi son rêve de devenir un jour sénégalais de plein droit. La carte de réfugié jeté à la poubelle Toutefois, derrière ce grand arbre de renaissance, se cache une grande forêt de problèmes auxquels est confrontée cette communauté de réfugiés que nous avons rencontrés à l’occasion de cette visite de presse. En effet, dans toutes les zones où nous avons été, c’est pratiquement la même doléance qui revient : le problème de régularisation. Dépourvues de papiers administratifs, ils ne peuvent prétendre à rien qui ne leur vient du Hcr. Cette organisation des nations unies est en quelque sorte leur seul mentor dans cette lutte pour un nouveau départ. Détenteurs pour la plupart des cartes de réfugiés, délivrées par le ministère de l’intérieur et de la sécurité publique pour une validé de 5 ans et qui sont censées leurs permettre d’accéder à certains services publics et privés, ils sont très souvent éconduits par les responsables des institutions financières privées, mais aussi par les services publics. «Nos cartes de réfugiés ne servent à rien, sinon à faire la distinction entre les Sénégalais et nous réfugiés. Nous sommes mis à l’écart, nous ne pouvons pas bénéficier de financement, nos enfants qui sont à l’école n’ont pas droit à des bourses. Cette situation est vraiment difficile. Nos cartes ne sont pas acceptées dans les points d’argent. À l’hôpital, on continue de nous traiter comme des étrangers. On ne peut rien avoir qui ne vient du Hcr», dénonce Djenaba Diallo, présidente du Groupement des femmes refugiées du village de Ranéré. À côté de ces problèmes liés à la reconnaissance des papiers, il y’a également le prix de location des machines de nivellement des sols et les graders que beaucoup de réfugiés que nous avons rencontrés lors de cette visite, jugent hors de portée. Selon eux, la location de la machine de nivellement des sols est de 30 000 F CFA par hectare et celle de la machine grader 50 000 F CFA par hectare. Interpellé, à son tour, sur ces difficultés soulevées par ces réfugiés, notamment la question de documents, Mamadou Ba, chargé de projet au niveau de l’Ofadec a confirmé, tout en déplorant cette situation qui selon lui, est contraire à l’arrêté de monsieur le ministre de l’intérieur demandant la reconnaissance de la carte de réfugié à tous les services publics et privés, mais aussi la directive de la Bceao dans ce sens. Faisant le point sur les activités de sa structure au profit des réfugiés de 2008 à nos jours, il a indiqué que l’Ofadec a aidé 29 011 enfants de réfugiés nés au Sénégal à obtenir des extraits de naissance sénégalais et distribué plus de 2000 cartes de réfugiés sur une population estimée à plus de 12 000, après la fin du programme Retour Volontaire qui avait permis en 2008 à 25000 réfugiés de rentrer en Mauritanie. À cela s’ajoute également, selon toujours monsieur Ba, l’aménagement de 17 périmètre rizicoles le long de la vallée dans le cadre du programme d’intégration locale des réfugiés, 14 périmètres maraichères et le financement environ 41 projets individuels portés, entre autres, par des jeunes. Par ailleurs, il a également informé que sa structure a déjà constitué et transmis au Hcr un dossier du premier groupe de réfugiés qui demandent la naturalisation. |
Des réfugiés mauritaniens, un combat pour la reconstruction
Mardi 27 Juin 2017 - 12:47
chezvlane
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