La réunion restreinte du Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA) qui s’est tenue à Paris du 16 au 18 avril 2018, avec la présence de 150 représentants de pays sahéliens et ouest-africains ainsi que des partenaires techniques et financiers, a dressé un bilan alarmant de la campagne agropastorale 2017-2018. En Mauritanie, la crise s’est manifestée par une longue soudure qui a poussé les éleveurs à transhumer très tôt vers les régions verdoyantes du Fleuve, surtout au Guidimagha, avec une catastrophe écologique consécutive à la coupe des arbres face à l’épuisement du couvert végétal.
Les populations rurales de la Mauritanie sont aujourd’hui confrontées à la plus grave crise alimentaire que le pays a jamais connu, avec des prix de denrées locales en hausse et un déficit fourrager qui touche 95% du territoire national. D’où des mouvements de transhumance qui se sont annoncés tôt, dès mars 2018 (au lieu de juin) et la crainte de conflits entre éleveurs et agriculteurs.
La réunion du RPCA avait déjà annoncé une situation alimentaire et nutritionnelle sévère au Sahel, et en Mauritanie, avec le risque d’élargissement du spectre géographique de la famine et de la malnutrition. Cependant, malgré l’alerte lancée à la suite des conclusions de concertation de Niamey en février 2018 sur la situation pastorale dans la région, le gouvernement mauritanien tarde encore à mettre en œuvre un plan de réponse face à la crise humanitaire. Certes, le manque de financement est évoqué, mais le monde rural ne peut plus attendre, d’autant plus que la commande annoncée de 15.000 tonnes d’aliments de bétail tarde à être livrée.
De la déforestation du Guidimagha
Selon Idoumou Ould Ahmed Taleb, président des éleveurs du Guidimagha, «la situation est catastrophique et la pression des transhumants venus de plusieurs régions du pays est telle que la région du Guidimagha souffre d’une crise alimentaire grave mais également d’une crise écologique née de la coupe systématique des forêts ». Selon lui, l’aliment de bétail est quasi introuvable dans les magasins du Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA) et dans les boutiques Emel. «Le sac qui coûtait 300 N-UM (3.000 ancienne ouguiya) en temps normal, est remonté à la mi-mars à 650 N-UM puis à 850 N-UM ces derniers temps ». Il estime que si l’Etat ne réagit pas rapidement, le cheptel risque d’enregistrer de grandes pertes, soulignant que plusieurs éleveurs se sont rendus au Mali où les frais de transhumance ont été rehaussés et l’accès à l’eau difficile. «D’autres enjambent le Fleuve pour acheter l’aliment de bétail au Sénégal » conclue-t-il.
Plus à l’Est du pays, le maire de la commune de Djiguenni, fief du Premier ministre, a lancé selon des sources de presse un SOS à l’endroit du gouvernement, face à la famine qui «menace les habitants de la région et le cheptel à cause de la sécheresse». M’Hadi Cheikhna a en outre évoqué la hausse drastique du prix des produits alimentaires, soulignant par ailleurs que la quantité de fourrage mise en vente ne suffit plus aux besoins des éleveurs, une tonne maximale pour mille vaches, soit 1 kilo par tête. La situation nutritionnelle des enfants a dépassé les seuils critiques.
La crise en quelques chiffres
Selon l’enquête FSMS (enquête de suivi de la sécurité alimentaire des ménages) d’août 2017, 28% des Mauritaniens, soit 1.076.000 personnes se trouvent en situation d’insécurité alimentaire, dont 5, 7% (218.000 personnes) en insécurité alimentaire sévère. L’enquête nutritionnelle nationale SMART dans la même période montre que 10, 9% des enfants mauritaniens âgés de 6 à 59 mois sont affectés par la malnutrition aiguë générale (MAG) dont 2,3% en situation sévère (MAS) dépassant le seuil d’urgence nutritionnel. Sur les 52 Moughatas, 23 sont dans une situation nutritionnelle critique.
La crise politique chasse la crise humanitaire
Pendant que décideurs et intellectuels parlent politique, implantation de l’UPR, composition de la CENI, prochaines échéances électorales, la population rurale se consume lentement, loin de la préoccupation des uns et des autres. Seuls les partenaires et la société civile mauritanienne, notamment le Mouvement SUN et ROSA, semblent s’indigner du sort du monde agropastoral. Alors que le gouvernement s’enfonce dans ses dénis, niant l’existence de toute crise alimentaire dans le pays, ils continuent à solliciter les autorités pour qu’elles assurent la coordination nécessaire dans ses actions régaliennes (analyse, plan de réponse, demande de financement, etc). L’opinion publique les convie pour sa part à asseoir une politique susceptible de répondre aux attentes de la population en termes de politiques réelles de développement et de bien-être. Ces politiques ont été marquées jusqu’ici par un manque notoire de vision dans la priorisation des choix de développement, dans l’absence de coordination et de convergence d’actions. Sinon, comment comprendre que la Moughataa de Mbout classée comme la plus pauvre du pays reste scotchée à un programme «Takavoul »inapte à l’extirper de sa situation, alors qu’aucun plan de réponse humanitaire n’est mis en place pour sauver ses populations, à l’heure d’une grave crise alimentaire.
De la responsabilité politique
La démission du gouvernement mauritanien est d’autant plus patente qu’il a été incapable de prendre les mesures nécessaires d’assistance alimentaire et humanitaires pour protéger les moyens d’existence des populations et sauver des vies humaines, conformément aux recommandations nées de la concertation du dispositif régional de Prévention et de gestion des crises alimentaires (PREGEC) qui a eu lieu à Dakar (Sénégal) du 22 au 24 mars 2017. Rien aussi sur le plan de la veille informationnelle dans les zones à risques, comme dans le Triangle de la pauvreté, rebaptisée démagogiquement Triangle de l’Espoir avant de redevenir le Triangle de la Pauvreté puissance dix.
Face à la crise alimentaire qui frappe de plein fouet sa population rurale, la Mauritanie semble aussi oublier que les 60.000 réfugiés maliens installés dans le camp de MBerra relèvent plus de ses responsabilités en tant que pays d’accueil, avant d’être celles des partenaires, comme l’Union européenne, qui continue d’apporter aux réfugiés aide alimentaire et assainissement, mais aussi financement du service humanitaire aérien des Nations Unies, soutien des activités de réduction des risques, grâce à des systèmes d’alerte précoce et le renforcement des capacités locales de préparation et de réponse aux multiples crises.
Groupe des Journalistes mauritaniens pour le développement (GJMD)
source courrierdunord.com